C’est avec tristesse et effarement que nous avons tous appris la disparition soudaine de Benoît Sokal il y a peu. Dessinateur émérite, rendu célèbre par son canardeux inspecteur, il mit son art à l’œuvre dans la production de différents jeux vidéo, que je me suis décidé à (re)découvrir suite à cette tragédie. De l’Amerzone à la trilogie Syberia, c’est au travers de quatre titres que je vais modestement rendre hommage à cet artiste qui manquera grandement à la création française. Et c’est donc par l’énigmatique phare de la Presqu’île de Langrevin que débute notre périple…

EN TERRAIN CONNU

C’est alors que nous nous rendons à la demeure d’Alexandre Valembois que s’esquisse cette aventure qui nous mènera bien plus loin que prévu. De ce qui ne devait être qu’une simple interview avec l’explorateur, nous nous retrouvons à devoir acheminé un mystérieux œuf dans un pays lointain pour réparer les erreurs de jeunesse du scientifique. L’affaire s’engage plutôt mal quand le vieil homme passe à trépas sous nos yeux, visiblement plein de regret. Le journaliste que nous sommes devra donc se muer en enquêteur du bout du monde pour mener à bien cette dernière volonté quasi-mystique, en perçant pour commencer les secrets du phare…

Tout commence dans un phare, devenu demeure du vieil explorateur

Point&Clic à la première personne, le plus notable quand on (re)vient sur ce titre de 1999, c’est la toujours très grande beauté des décors. Embrumés et oniriques, entre réalisme et fantaisie, ils fonctionnent toujours autant, amenant cette ambiance absolument unique qui fait d’Amerzone un jeu à part. On aime à s’y perdre (un peu) et d’y observer ses nombreux détails. Et puis les lieux choisis possèdent en eux-mêmes une aura qui confère ce subtil brin de magie à cette atmosphère si particulière. Un phare, une île isolée, un pueblo déserté au milieu d’une jungle luxuriante…que des endroits déjà fascinant de base qui s’en retrouvent renforcé par la richesse évocatrice du jeu.

Sortie à a grande époque 'des jeux à la Myst', on retrouve cette même ambiance de solitude et de mystère

Un sentiment de solitude est aussi très présent tout du long, les rencontres étant très peu nombreuses et éparses. Mais à chaque fois marquantes. L’absence totale de personnalisation de notre avatar renforce  aussi fortement ce sentiment d’isolement. Aucune voix, aucun visage, aucune caractéristique particulière…un journaliste, un point c’est tout.
Un story-telling très intelligent est habilement mis en place avec le vieux carnet de voyage du savant, qui va permettre de contextualiser tout le reste de l’expédition de manière efficace et  limpide. On  retrouvera ainsi des environnements et des personnes déjà évoquées dans le journal de bord, et bien souvent on posera un point final sur de vieilles histoires inachevées.

Le carnet de voyage et de croquis d'Alexandre Valembois sera d'une aide précieuse pour votre voyage. Et de plus il est très beau, ce qui ne gâche rien...

VOYAGE VOYAGE

L’un des points fondamental d’Amerzone, c’est l’importance des animaux au cours du périple. Omniprésent aussi bien en croquis qu’en chair et en os, les différentes créatures seront tantôt des alliées tantôt des embuches sur le parcours. On ressent au travers de ces bestioles - certaines bien réelles mais la plupart fictives et issue de l’imagination de l’auteur - tout l’amour que ce dernier porte à la beauté de la nature sauvage. Tout le bestiaire semble (et c’est probablement le cas) extrêmement bien détaillés en terme de mœurs, de comportement social, d’alimentation etc… bien au-delà de ce que nous montre le jeu lui-même. Une bonne partie de cette fantasmagorique faune fera pleinement partie du récit, et il faudra bien souvent interagir avec elle pour poursuivre nos tribulations.

Les animaux seront nombreux sur votre parcours. À vous de voir si il est possible ou non d'en tirer parti.

En parlant de çà, il faut de toute évidence présenter notre moyen de locomotion multi-usage assez peu commun. L’Hydraflot se révèle un compagnon d’aventure fidèle qui nous emmènera assez profondément dans la lointaine contrée. À la fois avion, hélicoptère, voilier et sous-marin, la majeure partie des énigmes du jeu le concerneront (Ha ! Les fameuses disquettes !...). J’ai adoré le fait que l’engin se détériore au fur et à mesure de nos péripéties, qu’il se démonte et perde des pièces tout en demeurant robuste et frondeur. Il finira par rendre l’âme mais non sans avoir bien servi jusqu’au bout. Encore une grande réussite que ce véhicule emblématique.

Une belle bête que l'Hydraflot, aux multiples fonctions et usages.

Et sinon si on en parlait des énigmes ? C’est le cœur du titre quand même ! Alors… Déjà d’une nous sommes ici en présence d’un univers ‘réaliste’, c'est-à-dire que les résolutions seront plausibles. Point de délire à la LucasArt ou Discworld par ici (et ce n’est pas plus mal). Rien que cela rends le tout plus digeste et cohérent. La logique et le sens de l’observation seront ici de rigueur, et bien souvent cela marchera. En terme de jouabilité c’est classique, rien de particulier à noter de ce coté là, ni en bien ni en mal. Mais paaaaaaaaaaaarfoooooooiiiis on tombera sur quelques devinettes plus obscures et bien prise de tête, en fait basées bien souvent sur le même défaut…On y revient dans le prochain chapitre.

Notre périple nous emmènera dans des lieux très isolés. Gare tout de même aux mauvaises rencontres.

LES OISEAUX NOIRS

Le plus agaçant dans le genre du ‘point&click’, c’est de loin les objets introuvables, planqués dans des endroits  où jamais on n’aurait l’idée de regarder ou pire, que l’on voit  mais que l’on n’identifie pas comme ‘objet à ramasser’. Plusieurs de ces cas typiques sont présents dans Amerzone, les plus marquants étant la barre pour bloquer l’ascenseur au phare et le minuscule bout de bois planqué pourtant en plein milieu de l’écran pour l’énigme des abeilles. On trouve également les ‘problèmes de compréhension’ purement technique (et qui personnellement me rendent fou) comme le fait que pour entrer ce fichu code pour le coffre-fort (toujours au phare) il faut valider sa combinaison sur l’ordinateur en appuyant sur la touche d’astérisque (Mais POURQUUUUUOI ??!!!) alors qu’absolument rien ne le précise. Enfin les soucis de ‘précision’ que chaque joueur a rencontré au moins une fois dans le ‘pointer et cliquer’. Quand il faut donc activer sa souris sur le pixel exact qui va déclencher l’animation et qui dans le titre qui nous intéresse présentement se matérialisera dans la phase de ‘tir au grappin’ pour remonter le fleuve. On sait ce qu’il faut faire mais pourtant on perd un temps dingue car on ne clique pas sur le bon millimètre carré de l’écran… Énervant au possible.

Le passage des abeilles sera une formalité ou une gageure, en fonction de votre capacité à debusquer, bien planqué dans le décor, un tout petit bout de bois à utiliser sur le gros bout de bois.

À cela il faut rajouter…les bugs. Déjà présent - en grande quantité ! - à l’époque où je découvrais le jeu avec des camarades sur PS1, ils sont certes bien moins fréquents sur la version PC (Steam en l’occurrence) mais pas improbable, loin de là. Ici encore un exemple frappant lors de ma dernière partie avec un objet qui s’est placé sur le mauvais emplacement lors de la dernière scène (!) et qui donc à complètement bloqué la fin de ce pèlerinage. Pas eu d’autre choix que de recommencer le chapitre - heureusement assez court – pour résoudre ce ‘léger souci’. Pour pallier à cela, les sauvegardes constituent un moyen indispensable pour ne pas se retrouver comme deux ronds de flanc, à devoir repartir de zéro. Les emplacements de celles-ci ne sont pas illimités mais leur quantité est bien suffisante au vu de la durée de vie du jeu, qui va certes osciller entre les joueurs mais qui globalement ne dépassera pas les 10 heures (sauf sur les ‘objets introuvables’ qui là peuvent vous faire lâcher durant des mois).

Un bien beau bug m'a fait faire le dernier chapitre deux fois. Mais heureusement ce dernier n'est pas très long.

Seul sujet fâcheux au sujet des graphismes, les modèles 3D des personnages qui ne sont pas des plus heureux. En fait leur seul problème vient des textures de peau qui ressemblent plus à du plâtre qu’autre chose… à la limite du papier mâché même par moment. C’est franchement dommage car l’animation reste correct, les dialogues sont bien troussés, la caractérisation et l’évolution des protagonistes marchent bien… Bon après on peut toujours prétendre que cela rajoute au charme un peu surréaliste de l’ensemble mais je ne peux m’empêcher de trouver cela un poil décevant…

Le point le plus raté du jeu concerne le physique des personnages, ou plus exactement leur peau. Ici en photo Monsieur Valembois mais ce n'est pas le pire exemple. À contrario la femme indigène elle est plutôt réussie, mais on ne la cotoie que très peu et d'assez loin.

LES OISEAUX BLANCS

Il se dégage de cette odyssée une amertume et une mélancolie qui pourrait plomber les gamers qui tenteraient l’expérience. Mais en parallèle à cela il s’y trouve aussi un sens de la poésie et du merveilleux qui ne peuvent laisser indifférent. L’atmosphère aventureuse, pleine d’énigmes et d’obstacles qui rythme le récit, permet de maintenir l’attention du joueur à plein régime (sauf quand il faut dégoter les fameux objets planqués), et ce dans des décors enchanteurs tout en 360° du plus bel effet.

Non mais vraiment quelle ambiance!

Plus on s’avance dans cette jungle Amerzonienne, plus on s’enfonce dans un monde plein de surprise, à la limite du surnaturel. On se penserait même parfois sur une autre planète. Benoît Sokal distille avec parcimonie son style singulier entre réalité crue et nature fantasmée, ce qui donne cet univers si atypique jamais vu ailleurs.
Il faut ajouter à cela un sens aigu de la narration et le plaisir du voyage vers l’inconnu, deux attributs qui finissent de parachever ce chef d’œuvre d’onirisme.

Toujours ce contraste entre beauté naturelle et déchéance humaine...

Quand on se retrouve en haut de ce volcan, après tout ce voyage extraordinaire pour donner vie à une créature fantastique, on réalise le message profondément écologique et contemplateur du titre. Le professeur Valembois, après avoir commis l’erreur de dérégler le cycle naturel des choses, et qui implore à la nouvelle génération de réparer ses torts pour permettre à la vie de poursuivre son cours en toute quiétude,  est un sous-texte qui peut parler à beaucoup. On peut voir également dans le fait que les oiseaux blancs n’existent que par l’intervention humaine l’interprétation que l’Humanité à un devoir de préservation des bienfaits de la Nature, dans un rôle de gardien bienveillant, en lieu et place de pilleurs de richesses que furent ce même Valembois et son comparse Alvarez dans leur expédition de jeunesse. L’Amerzone se révèle finalement être une terre pleine de remise en cause et de questionnement sur nous-mêmes et nos actes…

On marche sur les traces de l'explorateur et de ses anciennes constructions

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L’Amerzone: le Testament de l’Explorateur est un grand jeu vidéo français qui à su marquer toute une génération de joueurs par son ambiance si particulière et son écriture au cordeau. Ainsi que par le talent artistique de Benoît Sokal ; inégalable pour instaurer une atmosphère entre mystère et féérie. Malgré ses immenses qualités, le titre souffre des tares habituelles du genre du Point&Click, à savoir quelques énigmes un peu foireuses, de la précision dans le cliquage parfois absurde et le pire de tout, les objets trop bien planqués. Graphiquement toujours superbe (en dehors des humains à l’aspect momifié), on se plonge dans cette quête de l’oiseau blanc avec entrain, totalement happé par cette histoire à la limite du conte moderne. Et tout comme ces fameux volatiles qui jamais ne se posent à terre, même après la mort, L’Amerzone restera éternellement dans les cieux, au panthéon des Grands Jeux.