Petit tour en revue des deux adaptations du roman français ‘Vipère au Poing’, en commençant par présenter le dit bouquin, que je n’ai parcouru que récemment, contrairement à beaucoup d’écoliers qui le lurent durant leurs études.

LE ROMAN - d’Hervé Bazin (1948)

Jean Rezeau est un jeune garçon qui vit dans la demeure familiale près d’Angers avec son grand frère Ferdinand. Ils sont élevés par leur Grand-Mère, intransigeante mais juste, tandis que leur parents sont partis vivre en Chine il y a des années. Mais vient le jour où la vieille femme quitte ce bas monde, ce qui aura pour conséquence de faire revenir Mr et Mme Rezeau à la Belle Angerie (le nom du domaine angevin). Dès la première rencontre de cette ‘nouvelle famille’, Jean - dit Brasse-bouillon - se retrouve confronté à un petit frère inconnu, un père effacé et surtout une mère irascible.
Le récit contera alors le quotidien de cette maison sous la coupe tyrannique de ‘Folcoche ’, cette matrone distillant vexation et violence en permanence, et surtout suivra Jean qui petit à petit développera une résistance face à cette femme qu’il ne peut appeler « Maman ».

Cela faisait des années que le livre trainait sur ma pile de ‘bouquins à lire ’ et je ne sais pas pourquoi, un matin cela m’est venu comme une envie de pisser comme on dit vulgairement et j’ai commencé cet ouvrage d’Hervé Bazin que je souhaitai pourtant lire depuis des lustres. Résultat je le dévorai en un weekend.
Écrit du point de vue de Jean avec son ton direct parfois rude et d’une manière fluide sans cesse sur le-qui-vive, on enchaîne les pages sans s’en rendre compte. On y découvre la vie d’une petite bourgeoisie qui arrive sur ces derniers jours au sein d’un domaine de province dans la France de l’entre-deux guerres, tentant tant bien que mal de garder la face alors que l’argent commence sérieusement à manquer. Et bien sur on apprend à connaître le personnage de cette Hydre terrifiante, qui semble prendre un réel plaisir à martyriser ses enfants, pour lesquels elle n’a que peu d’affection (pour ne pas dire aucune) et auxquels elle impose un rythme et une hygiène de vie rien de moins qu’infernale. Marrant de constater aussi le pouvoir qu’une mégère peut imposer dans une maisonnée où elle enquiquine - et le mot est faible - absolument tout le monde mais que personne n’ose remettre à sa place une bonne fois pour toute, tout simplement car elle à la main sur le portefeuille qui fait vivre toute la baraque. Seul Jean osera braver cette position, tout en assurant ses arrières et peaufinant au fil du temps ses méthodes face à la fourberie de son adversaire.

Le fait est célèbre mais il est toujours bon de le rappeler, Jean Rezeau est un double romanesque de l’auteur Hervé Bazin, qui nous parle en fait dans ses écrits de sa propre enfance et de ses propres relations familiales, dont la conflictuelle avec sa mère. Une enfance singulière qui certes fut assez éloignée socialement de la mienne mais dans laquelle je retrouve pas mal de parallèle avec ma propre existence en culotte courte, toute comparaisons gardées par ailleurs.
'Vipère au Poing' frappe par sa dureté, par le caractère de son narrateur qui, il le constatera lui-même, est tellement proche de cette femme qu’il hait tant. Une histoire de haine qui forgera ce jeune homme dans sa vie future, avec cette noirceur dont il aura du mal à se débarrasser et qu’il relatera dans les autres romans de sa trilogie (quasi) auto-biographique.

LE TÉLÉFILM - de Pierre Cardinal (1971)

En 1971 donc, une adaptation télévisuelle est réalisée avec Alice Sapritch dans le rôle de la mère despotique. Il est peu de dire que le rôle est taillé pour elle, avec ses traits stricts et ses yeux noirs qui donnent une Folcoche plus vraie que nature. Mais face à elle on découvre un jeune acteur avec énormément de répondant, au visage tout aussi fermé, voir crispé - et muni d’un regard d’acier qui déstabilise : Dominique de Keuchel. Il possède une présence qui marque durement la pellicule et un phrasé sec qui indique toute la force intérieure de ce gamin pas comme les autres. Néanmoins il se révèle peut-être un peu âgé pour le rôle, mais ce n’est pas vraiment dérangeant. Le reste du casting ne marque pas beaucoup, à l’exception de la bonne sourde et muette, parfaite avec son allure de nigaude un poil plus maline qu’elle en à l’air (mais pas beaucoup plus non plus).
Je précise que le DVD que je me suis fourni est d’assez piètre qualité, basé sur des archives vidéos de l’INA qui je pense sont les seuls à avoir une copie de ce téléfilm méconnu et que la gravure étant assez peu peaufinée, certaines séquences ont ‘sautées’ lors de mon visionnage sur pourtant deux machines différentes (mais pas des lecteurs DVD de base) à savoir la PS4 et la 360.

Une fois ces précisions apportées la mise en image du roman à la télévision se veut assez scolaire, on retrouve parfois à la virgule près les scènes du bouquin et c’est assez surprenant de voir des passages quasiment tels qu’on les avait imaginé à la lecture (le passage de la barque et du ponton notamment), mais là évidemment c’est en fonction de l’imagination de chacun. Des coupes tout aussi surprenantes ont été faites et on constate qu’on saute de nombreux chapitres pourtant essentiels de l’œuvre dans ce format qui de toute évidence avait des contraintes de durée. Toutefois les grands passages marquants sont conservés comme le duel de regard à table, la partie de chasse ou le cloisonnement de Brasse-Bouillon dans sa chambre. Des changements ont également été décidé, comme par exemple la Grand-Mère qui ne passe plus à trépas mais se voit fusionnée avec le rôle de sa fille (la tante de Jean donc) ou bien la séquence d’espionnage finale qui se voit ici attribuée à Frédie, ce qui est un choix assez étrange de mon point de vue.

Le ton du métrage est sévère, allant même parfois jusqu’à l’austère. On n’hésite pas à raser les crânes de la fratrie et la chasse nous fait voir l’abatage des lapins et autres perdreaux sans ménagement (en tout cas si ce sont des ‘effets spéciaux’, c’est particulièrement réaliste…). Cette atmosphère très pesante colle parfaitement au roman dont il est tiré et à l’époque du récit, bien moins édulcorée que la nôtre. Toutefois on se retrouve ici devant une œuvre assez oubliable et convenue dont seul le duo d’antagonistes restera en mémoire. De part leur allure, leur jeu, leur confrontation, Alice Sapritch et Dominique de Keuchel impriment les esprits. C’est assez tristement que j’apprends la disparition en 2004 de ce comédien qui m’était totalement inconnu, à l’âge de 48 ans seulement. 2004, année qui voit l’arrivée de l’autre adaptation du roman d’Hervé Bazin, et sur laquelle nous allons revenir dès à présent.

Les 8 première minutes du téléfilm

LE FILM - de Philippe de Broca (2004)

Un grand réalisateur pour un grand livre, en voilà une promesse des plus alléchantes ! On sent tout de suite des moyens de production plus onéreux et une certaine patte de réalisation, même s’il faut être honnête c’est loin d’être un Broca de la grande époque. Ce sera d’ailleurs sa dernière réalisation avant sa disparition lui aussi en 2004. Le casting voit Catherine Frot prendre le rôle de Mme Rezeau et Jacques Villeret celui de son époux (il s’agira de l’un de ses derniers rôles avant sa mort en 2005). Quand à Brasse-Bouillon, c’est Jules Sitruk qui interprétera le jeune enfant en rébellion. Il livre une prestation assez convenable avec quelques sorties de route ici et là mais globalement ça passe grâce à sa bonne bouille et son assurance. Pour le coup je le trouve un peu trop jeune mais je chipote soit dans un sens soit dans l’autre alors bon (dans le bouquin l’histoire se déroule sur plusieurs années, où la transformation de Jean de gamin à jeune adulte est primordiale dans l’avancée de sa relation avec sa mère).

L’ambiance entre les deux versions filmées est radicalement différente. Là où le téléfilm était rude et âpre, le film lui transmet une atmosphère plus légère, plus imagée, plus caricaturale. On sent que le public visé n’est pas le même. Ici le métrage s’adresse aux enfants et on n’hésite pas à user des grosses ficelles pour faire passer les messages. Comme je l’entendis de la bouche de Frédéric Taddeï lors d’une diffusion du film à l’époque sur France 3 (la première fois que je le voyais - le film, pas Taddeï) il y a un coté très Disney dans ce ‘Vipère au Poing’. Et on ne peut qu’adhérer à ce constat. On croirait une version Live d’un dessin animé classique de la firme à la Souris. Les costumes, les cadrages, les couleurs, l’éclairage, voir même les allures des acteurs, tout rappelle il est vrai de l’animation pour la jeunesse.

Je trouve aussi que cette version édulcore énormément le roman. On ne retrouve pas cette rudesse, cette froideur, ce tempérament qui envahit de plus en plus le narrateur et qui finit par le faire ressembler à cette mère qu’il déteste. De même c’est assez bizarre de voir que les scènes du portefeuille et de la confrontation se retrouvent séparées en deux séquences bien distinctes alors que c’était visiblement conçu pour n’en être qu’une seule (elles se suivent dans le roman). Et puis il y a le coup de l'amant qui arrive franchement comme un cheveu dans la soupe de manière assez déplaisante. Malgré tout cela j’aime beaucoup ce film qui me parle profondément, surtout avec cette courte conclusion, qui semble avoir été écrite pour moi.

Les 4 première minutes du film

L'Avis d'Amidon, le chat de la maison:

le roman

le téléfilm

le film


Rendez-vous mercredi prochain 18H pour une nouvelle chronique