De retour auprès de Kate Walker pour poursuivre notre périple vers Syberia. Cette fois-ci elle sera accompagnée d’Hans Voralberg, le lunatique et génial inventeur des nombreux automates croisés durant notre voyage, et bien sur d’Oscar le pointilleux cheminot. Et désormais nous sommes bel et bien au cœur de la grande Sibérie et ses immenses étendues glacées, où règnent cinquante nuances de blancs (et les -50° !). Enfilez votre foulard et vos moufles et en route pour la Terre Oubliée des Grands Laineux dans cette deuxième partie de la trilogie.

TRAIN DE VIE

Nous retrouvons notre trio à peu près une semaine après les événements du premier Syberia, roulant à fond de train au milieu d’un grand rien neigeux. Leur dernier arrêt dans un lieu civilisé - ou presque - se passera à Romansbourg, où nous reprenons le contrôle de l’héroïne qui doit comme à l’accoutumée s’occuper de la maintenance de la locomotive. Car entre Oscar l’automate pointilleux mais peureux et Hans le vieillard dans son monde, heureusement que Kate est là pour mener la barque.
Là voilà donc parti à la rencontre des habitants de ce petit patelin pour trouver de quoi alimenter la machine sur rails…et comme d’habitude ce qui devait être relativement simple à la base va devenir passablement compliqué (et prise de tête). Et la suite des péripéties ne va aller qu’en s’aggravant, alors que la santé d’Hans Voralberg ne fait que décliner de manière vertigineuse. Le temps va alors plus que jamais compter si la petite troupe veut atteindre son but avant que la faucheuse ne fasse son œuvre.

Bienvenue à Romansbourg, dernier bastion de civilisation avant les plaines éternelles

La formule du premier jeu est reprise ici à l’identique jusque dans ses moindres détails (et ses moindres défauts) avec une rehausse graphique notable à la fois sur les modèles 3D des personnages et sur les environnements 2D. Une autre amélioration est à relever, même si elle peut tenir de l’anecdotique mais désormais certains tableaux sont panoramiques, c'est-à-dire que la caméra va panoter parfois sur la droite ou la gauche pour révéler un tableau de ‘plusieurs écrans’ (ceci était totalement absent dans la première partie).

Évolution graphique de l'héroïne au fil de la trilogie

Pour ce qui est du reste, bienvenue en territoire connu. Des phases de dialogues, des objets à dénicher, des énigmes à résoudre, des rencontres plus ou moins agréables et/ou farfelues… toute la panoplie classique du Click&Play est présente. Et au milieu de tout ça un joueur qui clique partout pour tenter de trouver solution à chacun de ses problèmes. Mais la plupart du temps la logique et l’observation seront suffisante… accompagné parfois d’un petit coup de pouce pour ‘capter’ la résolution effective ‘sur le terrain’.

PLUS LOIN QUE LE BOUT DU MONDE

Le gros changement viendra donc de l’histoire en elle-même, qui fait directement suite à l’opus précédent. Après les lieux urbains, scolaires et industriels à l’abandon, place à la nature sauvage où l’Humanité n’a laissé que peu de traces, voir aucune. Un voyage plus abrupt, plus élémentaire j’ai envie de dire. La colorimétrie forcément très claire, baigné de blancheur en permanence, traduit aussi une certaine forme de pureté que doit retrouver Kate. Pureté non pas morale, la demoiselle n’étant pas particulièrement encline aux malversations mais je parlerai plus d’une purge de son ‘moi d’avant’, de l’avocate des hautes sphères newyorkaises à laquelle elle ne correspond plus. Son ancienne identité devant disparaitre pour en laisser apparaître une nouvelle, une page blanche qui ne demande qu’à se remplir.

Le second épisode se passe intégralement dans le Royaume Blanc de Sibérie

Le ressenti que je vais décrire ici sera assez paradoxal j’en conviens, mais j’ai trouvé ce deuxième épisode à la fois plus cartésien et plus spirituel. En tout cas beaucoup moins fantasmagorique et mystérieux que le premier, qui avec ses nombreux automates et autres machineries fumantes diffusait une aura quasi surnaturelle à l’ensemble. Cette fois on donne dans le concret, dans le dur. Tout en laissant également un certain espace à une forme de Foi, une aura supérieure discrète et diffuse qui semble veiller sur la réussite de nos trois aventuriers du grand froid. Je pense au monastère bien sur mais aussi à cet oiseau qui guidera parfois Kate quand elle semblera perdue (Et qui me rappelle beaucoup Morai, le compagnon volatile d’Ahsoka de Star Wars, peut-être Dave Filoni à t-il joué à Syberia ?) et comment ne pas évoquer le village Youkol qui semble être un temple dédié à la glace et aux mammouths. Pour le coté plus terre-à-terre, je repense à cette petite gamine de Romansbourg, débrouillarde et chipie mais les pieds bien sur terre et qui fait écho dans un effet miroir au gamin un peu limité et à la tête dans les nuages de Viladilène. Il y a aussi les deux vilains frangins qui causeront bien du souci à Miss Walker, attirés qu’ils sont par l’appât du gain sans se soucier le moins du monde des problèmes qu’ils causent autour d’eux.

Les décors on gagné en finesse

Je vais mentionner rapidement le parcours effectué au cours de ce périple glacé, et donc je préviens il y aura forcément des révélations, de l’anecdotique à l’extrêmement important. Vous voilà prévenu.
Romansbourg donc où débute le récit, patelin isolé peuplé d’hommes bourrus et solitaires. Nous y ferons la rencontre du colonel Emiliov Goupatchev qui tient la boutique, de Malka la petite fille débrouillarde élevée par Cirkos le tenancier du cabaret-bar du coin (qui fait donc office de maire au vu de sa position centrale). On y croisera surtout les frères Bourgoff qui nous causeront du tort tout le long, surtout le petit teigneux Ivan. Les deux vauriens sont coupables de petits trafics divers et variés, dont celui d’animaux exotiques. C’est dans leur repaire que nous découvrirons le youki, bestiole entre le chien et le phoque et qui nous suivra durant tout le jeu.
Aux portes du village se trouve un imposant monastère où Kate sera forcée d’amener Hans pour le soigner. Seul petit bémol, les femmes n’y sont pas les bienvenues. Sa ruse lui permettra tout de même d’en franchir le seuil. Ici nous rencontrerons principalement le grand prêtre orthodoxe dit simplement le Patriarche, un être pas très sympathique. J’avoue que j’ai beaucoup apprécié le moine amateur d’ornithologie, un fieffé religieux pas très catholique. Dans ce chapitre sont clairement référencés les films ‘Le Nom de la Rose’ de Jean-Jacques Annaud (oui je sais, adapté du livre d’Umberto Eco) ainsi que le très fantasque ‘Bal des Vampires’ de Polanski.

Hans Voralberg redécouvre certaines de ses créations. Le vieil homme qui à subi un traumatisme enfant qui l'affecta dans sa croissance mentale n'en reste pas moins un génie dans le domaine de prédilection familiale: les automates.

Après un retour au bourg où Kate se voit abandonner par le train, elle le poursuit en draisine jusqu’à un pont qui s’effondre au milieu du grand blanc. Là elle trouvera refuge dans une cabane, entre loups et ours. Après quelques rebondissements elle retrouvera Boris Chanov le cosmonaute qu’elle avait aidé à envoyer faire un séjour dans l’espace dans le premier opus. En juste retour des choses, il lui rend la pareille en lui permettant de retrouver le train abandonné au milieu de nulle part. Malheureusement pour pouvoir poursuivre le trajet Oscar n’a d’autre choix que de devoir larguer la cabine d’habitation, devenue un poids mort.
Encore quelques péripéties plus tard, Kate parvient à découvrir le peuple Youkol, bien planqué dans une montagne creuse. Là elle aura beaucoup à faire, comme faire rentrer le train dans sa dernière demeure, soigner Hans qui se porte de mal en pis, effectuer une transe spirituelle et ouvrir un cœur mécanique qui la séparera d’un bon compagnon. Ce n’est qu’une fois tout cela fait qu’elle embarquera sur le mythique bateau pour Syberia avec Voralberg, pour la dernière partie de cette odyssée.
C’était sans compter sur un petit détour par la banquise, au milieu des pingouins où Ivan posera pour la dernière fois problème. Une fois le sort du vilain réglé, nous pouvons enfin débarquer sur l’île tant convoitée. Syberia. Pour autant il reste des choses à faire, comme ouvrir le portail qui donne sur la vallée et faire fonctionner la flute géante (dernière épreuve ô combien alambiquée !). Hans pourra alors enfin réaliser son rêve, celui de toute une vie.


COUP DE FROID

Ternissant une fois de plus l’excellence de cette belle aventure, la maniabilité connaît les mêmes revers que pour la première partie, à savoir que l’avocate se coince à peu prêt partout où cela est possible...et impossible. La voir incapable de franchir un monceau de neige de 10 cm c’est agaçant une fois, c’est rageant au bout de la millième.

On l'apprends dans le premier chapitre et on le découvre ici, les Youkols vivent en se servant des mammouths retrouvés dans le permafrost. Ils se servent des puissants laineux ainsi conservés pour leurs constructions (les os) leurs vêtements (peau et fourrure) et pour se nourrir (viande). Assez particulier comme garde-manger, mais pourquoi pas.

De même les énigmes trop capillotractés ou à la résolution trop obscures sont toujours présentes. Je relèverai pour le coup celles des chevaux mécaniques, celle de l’iris lumineux au monastère, le parcours avec le lemming (bel easter egg au passage), le coup du franchissement du ravin avec la corde, le lance-pierre à usage unique…pour les plus mémorables. Et bien sur la toute dernière épreuve, absolument impossible sans une aide extérieure. Je serai véritablement curieux de savoir s’il existe quelqu’un en ce bas monde qui a pu résoudre le mystère des glyphes anciens sans avoir eu besoin d’un recours éclairé.

La dernière énigme est un véritable casse-tête qui demandera beaucoup de patience...ou de filouterie...

Toujours dans le registre des griefs, le fait que tout le monde, à chaque fin de phrase se décide de nommer l’héroïne. « Bravo à vous, Kate Walker ! » « Je vous aime bien, Kate Walker » « Vous n’avez rien à faire ici Kate Walker ! » « Je crains de n’avoir besoin d’aide, Kate Walker » « Encore vous, Kate Walker !» « Took Took Kate Walker Hi hi hiii » « Merci pour tout Kate Walker » « Bon voyage, Kate Walker ». Non mais vraiment j’exagère à peine. À croire que l’équipe de développement voulait nous le faire entrer de force dans le crâne le nom de la juriste ! À devenir dingue au bout d’un moment cette manie… J’ai même fini par croire que le clébard n’allait plus aboyer mais dire son blaze, à la miss !

"Wouah Wouah!"

Un autre point qui m’a laissé perplexe, c’est cette espèce de mini-scénario parallèle avec le patron et le détective privé lancé à la poursuite de Kate. Des séquences uniquement en cinématiques ou en plan fixes qui ne montrent jamais l’enquêteur (!), qui n’ont pas la moindre incidence sur le jeu et qui n’apportent absolument rien à quelque niveau que ce soit. Il semblerait qu’il s’agisse là d’un rajout de dernière minute histoire de donner vaguement suite aux interrogations des interlocuteurs de la première partie. Et principalement donc du boss et de la mère de l’aventurière. Notez qu’il n’est absolument pas fait mention de l’ex-fiancé et de l’ex-meilleure amie dans cette suite (du moins je n’ai pas trouvé de dialogue les mentionnant).

LE CIMETIÈRE DES ÉLÉPHANTS

Revenons à Syberia pour évoquer ce final poignant, voyant Hans chevaucher un mammouth et s’en allé dans le lointain, sous le regard ému de Kate. Le vieil homme à su vivre suffisamment longtemps pour terminer son existence au milieu de ces animaux miraculeusement épargnés par la disparition de leur espèce. Heureux et en paix avec lui-même et ses aspirations, mettant un point final à la quête de toute une vie, il se retire du monde l’âme sereine, ayant atteint son rêve que tous pensaient inaccessible. Une très belle fin pour ce personnage particulier, un génie renfermé sur lui-même et incapable du moindre mal.

'Hans-Oscar' attends soit les anciens mastodontes soit la mort une fois arrivé au bout du chemin. Advienne que pourra...

Mais alors que Monsieur Voralberg s’apprête au grand voyage totalement comblé et apaisé, on laisse Kate sur cette île mystérieuse en plein milieu de son propre périple. Pouf, comme çà. Le jeu se termine sans conclure de manière satisfaisante le récit de la demoiselle, de manière assez brutale de surcroit. Qu’advient-il d’elle après cette conclusion pleine d’émotion ? S’en retourne-t-elle chez elle ? Continue-t-elle son voyage ? Reste-t-elle sur Syberia ? À l’instar d’Amerzone, une fois au bout du chemin, on ne sait rien de ce que devient le voyageur. Mais là où pour le journaliste en quête de l’Oiseau Blanc cela n’était pas grave, le personnage n’étant nullement personnifié, ici on aimerait connaître le futur de celle à qui nous nous sommes attachés.


Que devient Kate après sa quête?

Il aura fallu 13 ans pour connaître le destin de l’ancienne avocate, Syberia III ayant vu le jour en 2017. Je ne sais rien - tout comme je ne savais rien des deux premiers chapitres - sur ce que raconte cette troisième partie. Où allons-nous retrouver Kate ? Sur Syberia, pour une suite directe ? Revenue à la vie civile une décennie plus tard ? Le rigolo Youki sera-t-il toujours de la partie ? Le système de jeu à sans doute évolué, mais comment et dans quel sens ? Et quid des graphismes ? Il me tarde d’avoir les réponses à toutes ces interrogations et c’est donc sans trop tarder que je vais lancer le troisième et dernier épisode de l’œuvre vidéoludique de Benoît Sokal.

~€~

C’est avec cette seconde moitié que ce termine le voyage vers Syberia, une aventure assez envoutante malgré ses nombreuses prises de tête pour pas grand-chose. Il faut dire que même si la plupart des énigmes restent raisonnables, certaines d’entres elles on le don d’être complètement opaques, voir tout bonnement incompréhensibles. Suite directe du premier, il en améliore plusieurs aspects, notamment graphiques. Et peut-être aussi un peu niveau rythme, mais cela dépendra de l’acuité mentale de chaque joueur pour passer les différentes épreuves. En contrepoint il en garde également les défauts, dont le principal reste cette jouabilité pas du tout adaptée pour une manette, surtout en ce qui concerne les déplacements de la Miss. Moins éthéré et plus ‘brut de pomme’ dans son atmosphère, il n’en garde pas moins une spiritualité et un message sur l’accompagnement vers la fin de vie qui sonne juste et qui sait jouer sur la corde sensible comme il faut, sans en faire trop ou pas assez. Une fois de plus l’auteur de BD fait montre de tout son talent pour raconter de belles histoires de voyages et d’Hommes, et rien que pour cela il faut découvrir sa saga Syberia.