Pour moi, il n’aura fallu que quelques jours pour passer de Syberia 2 à Syberia 3, mais pour les joueurs ayant parcouru le jeu en 2004, l’attente aura été longue de 13 ans pour avoir la suite du destin de Kate Walker. Benoît Sokal, cette fois épaulé de son fils Hugo, revient donc sur son œuvre vidéoludique phare pour en narrer la suite. Le temps du retour est venu pour l’ancienne avocate reconvertie en aventurière et quelle que soit sa destination finale, la route sera parsemée d’embuches. C’est ce voyage que nous entamons dans ce nouvel épisode qui modernise grandement la recette de la saga tout en conservant sa magie si singulière…
REVENIR À LA VIE
C’est dans une barque perdue au milieu du Grand Blanc que les nomades Youkols retrouvent notre héroïne quasiment morte de froid. Quelques temps plus tard ils la déposent dans une clinique en compagnie de leur guide spirituel, qui lui doit recevoir une prothèse de jambe. C’est à son réveil que l’on reprend le contrôle de la demoiselle, qui n’aura alors de cesse que d’aider les Youkols dans leur migration vers le Yakastan, en ‘juste retour des choses’ pour l’avoir aidé dans sa précédente quête vers Syberia. Elle deviendra alors la ‘femme à tout faire’ ainsi que la porte-parole de la tribu dans ses tribulations vers l’Ouest. En chemin elle aura fort à faire car au-delà de devoir résoudre tout les problèmes du petit peuple elle devra aussi échapper et aux autorités russes et au détective privé que son patron à mis à ses trousses. Elle pourra cependant compter sur l’aide d’un vieil ami qu’elle parviendra à faire revenir du royaume du grand Reset…
La première chose que l’on remarque quand on lance cette troisième partie, c’est l’évolution graphique, ma foi somme toute assez normale au vue de la décennie écoulée depuis l’épisode antérieure. La deuxième chose, c’est la souplesse que la jouabilité à gagné. Et cela pour une raison bien simple: le jeu à été conçu pour être joué à la manette dès le départ, et non plus après un portage sur consoles. Ce qui à eu pour conséquence de rendre le jeu injouable sur PC paraît-il… j’ai envie de dire dans un petit rire narquois « à chacun son tour ».
Visuellement on a franchit un cap depuis Syberia 2
Pour le reste, bien que le système est évolué le principe de gameplay reste identique: on cherche, on trouve, on dialogue, on résout les problèmes un à la fois et on avance petit à petit pour parvenir à la zone de jeu suivante. Toutefois le tout est bien plus agréable et plaisant qu’auparavant, surtout dû au déplacement plus fluide de la demoiselle, qui ne se cogne plus partout pour rien. Dans l’ensemble, la saga ‘Syberia’ marque la passerelle dans le genre du Click&Play entre les jeux à l’ancienne (sans remonter non plus à l’époque des ‘verbes’) et l’ère moderne symbolisé pour moi par la franchise ‘Life is Strange’. Le troisième opus de Syberia est très proche dans le concept de ce qu’est la licence de Dontnod. Techniquement on reste toutefois un cran en-dessous (voir deux) en défaveur du titre du développeur Koalabs. Cependant rien de dramatique non plus, Syberia III est parfaitement jouable, c’est surtout en termes de réalisation pure que le jeu pêche. Dans ses transitions qui tardent, dans ses temps de chargements parfois longuets ou bien encore sur ses performances vocales peu convaincantes sur certains personnages.
Le système de jeu s'est modernisé...et fut surtout conçu pour être joué sur consoles!
Quelques nouveautés à mettre en exergue tout de même. Par exemple il sera demandé à l’occasion de fouiller dans des contenants (une caissette, un tiroir, un casier etc…) pour trouver un objet spécifique. On saisit un des nombreux bidules traînant dans le fatras, on le repose plus loin et on enchaine sur un autre bidule jusqu’à dénicher le Saint-Graal nécessaire. Simple mais sympa. L’autre chose que j’ai noté c’est les différentes zones bien plus espacées que dans les deux premiers. Valsemborg reste le plus frappant, c’est assez ‘grand’ pour le genre (on n’est pas non plus à Los Santos), après en soi ce n’est pas forcément utile. Dans l’ensemble on retrouve la formule habituelle avec un décorum plus élaboré, néanmoins le fait que tout soit désormais en 3D amoindri à mon sens la beauté des décors des deux premiers volets. Non pas que ce soit moche loin de là mais ça ne rends pas pareil tout simplement.
Sokal rend hommage à Hergé avec ce passage sous-marin
Du coté sonore, Françoise Cadol reprends le rôle principal, ce qui fait toujours son effet. Sauf que tristement tous les doubleurs ne sont pas au même niveau. Certains ne font que débiter des phrases sans y mettre le moindre ton, on sent que la direction d’acteur n’a pas été hyper poussée et que les comédiens n’on fait que réciter les phrases sans contexte qui on ensuite été monté pour le jeu dans le bon sens. Ce phénomène est principalement frappant avec l’infirmière en chef, qui malheureusement à un monologue qui ouvre l’aventure. L’autre erreur du coté doublage concerne le personnage de Kurk, le fameux Guide Spirituel. Dans les faits il s’agit d’un gamin d’une quinzaine d’année qui aurait appris l’anglais de manière autodidacte…sauf que son phrasé est bien trop élaboré au vu de son apprentissage censément assez limité. Cela aurait été bien plus crédible de dire que le jeune homme avait suivi une éducation à l’étranger (en Angleterre au hasard) car là le décalage est trop grand à mon sens. Laissons de coté ces petits errements pour signifier l’excellence de la Bande Originale mené par Inon Zur, un compositeur qui a pas mal roulé sa bosse dans le monde de la musique vidéoludique.
TRANSHUMANCE
Le périple de ce Syberia sera décomposé en trois partie distinctes: Valsemborg, la traversé du Lac à bord du Krystal et la ville irradiée de Baranourg, de toute évidence inspiré de Pypriat. Chacune de ces partie aura comme vous vous en doutez son lot de péripéties.
Une clinique pas du tout sinistre...
Kate Walker reprends connaissance dans l’étrange clinique de Valsemborg dans laquelle elle comprend très vite qu’on la retient poliment mais fermement. Enquêtant sur l’équipe médicale elle parvient à gagner le bureau d’Olga Efimova, l’horrible chef des soins. De là elle parviendra à trouver un moyen de sortir par les sous-sols pour retrouver plus loin au bord de la rivière le clan des Youkols. Ces derniers patientent là depuis des lustres que leur guide leur soit retourné guéri, afin de poursuivre leur route. Les tensions entre le camp et Valsemborg ne font que s’accumuler, et c’est Kate qui devra faire en sorte que la situation ne dégénère pas en négociant à la fois avec le Maire, le capitaine du navire à quai et le concepteur de la jambe artificielle pour Kurk. L’homme en charge de la création de cette jambe est en fait horloger de profession, du nom de Steiner et qui se trouve être aussi par ailleurs un ancien ami d’Hans Voralberg, qui décidément semble avoir laissé des traces de son passage partout en Russie. Après moult rencontres, avoir appris à se servir d’une grue, jouer à l’exploratrice marine et fait un tour en funiculaire là voilà de retour à la clinique pour sortir le jeune Kurk de là. La situation dégénère et c’est assez rapidement que les deux amis rejoignent le Krystal pour enfin reprendre la route…
Valsemborg possède son charme malgré son isolement
De base le bateau sert de Ferry entre différentes villes côtières de cet immense lac intérieur et son capitaine est un homme qui connaît son job. Mais depuis la catastrophe de Baranour il y a 20 ans, l’embarcation n’a pas pris le large tandis que le marin s’est réfugié dans la bouteille. Le retour de l’un et l’autre sur les flots ne se fait donc pas sans heurts. Le Capitaine Obo est hanté par ce qu’il à vu dans la ville nimbée de radiation mais aussi par cette ‘créature du lac’ qu’il est le seul semble t-il à connaître. Miss Walker devra donc jongler entre la maintenance du rafiot, les délires du Captain, les excentricités des Youkols, le mauvais temps…et les monstrueuses surprises !
Le Capitaine Obo lance un regard très intérressé...vers cette belle bouteille de Gin!
Après une nuit fort agitée, la petite troupe débarque exactement là ou elle ne voulait surtout pas se rendre: Baranour. Victime d’une catastrophe nucléaire il y a une vingtaine d’année la ville est en proie à une irradiation toujours très élevée, à laquelle fort heureusement la fête foraine réchappe, lieu ou on échoué nos voyageurs. C’est ici que Kate parviendra à faire revenir son camarade mécanique qui lui sera fort utile pour franchir les épreuves qui l’attendent. Elle y fera aussi la rencontre d’une survivante un peu fêlée mais fort agréable vivant dans la station de métro. C’est cette dame isolée qui apportera la solution pour traverser Baranour, en usant des tunnels sous la ville, eux aussi épargnés par les radiations.
Il y a bien longtemps qu'on ne fait plus la fête par ici...
De l’autre coté de la cité, les Youkols décideront de passer la nuit à l’ancien stade olympique resté dans les mémoires sous le sobriquet d’Olympia pour y effectuer leur rituel sacré de la nuit de la Lune Rouge. Seul Hic, le temple dédié est dissimulé quelque part dans le site à l’abandon, mais nul ne sait où. C’est à Kate bien entendu d’en trouver l’entrée… Une fois cela fait le rite est effectué et affecte beaucoup notre héroïne, qui en ressort fortement chamboulée.
Peu après le groupe arrive au poste-frontière qui les sépare du Yakastan où nous devrons subir les dernières énigmes, loin cependant d’être les plus difficiles au vu de la trilogie que l’on vient de traverser.
Les radiations ne sont pas les seuls dangers à Baranour...
Voilà en (très) résumé le parcours que nous fera faire cette transhumance ma foi fort sympathique à suivre. D’une manière globale j’ai trouvé ce jeu bien plus simple que les deux premiers, il n’y à pas d’énigmes totalement incompréhensibles comme on pouvait en voir précédemment (disons plutôt quasiment pas…) et le rythme est bon tout en nous faisant faire des choses assez variés pour le genre. Bien que j’apprécie les trois titres de la saga, je conserve une préférence ‘scénaristique’ pour le deuxième opus mais je trouve le troisième comme étant le plus agréable à jouer, et de loin (ce qui est logique au vu des progrès de jouabilité).
Les Youkols sont un peuple travailleur et inventif...mais il faut le leur rappeler parfois!
FRONTIÈRE
Pour revenir sur les énigmes qui m’ont bloqué sur ce troisième Syberia, il y eu le coup de la clé pour le chariot de charbon (la solution est très bête mais je ne l’avais pas capté…j’ai cherché les clés partout alors que cela ne servait à rien…une belle entourloupe !), celle du bateau miniature où j’ai eu beaucoup de difficulté également mais surtout celle du strapontin qui m’a juste fracassée la tête… Et pour une bonne raison: la solution n’est pas trouvable sans aide. L’épreuve consiste à trouver un code à 6 symboles grâce à ceux découvert dans un carnet. Sauf que le carnet ne dévoile que 5 symboles ! Alors j’ai essayé dans tous les sens avant d’aller voir la soluce sur le net…qui en fait pour une raison que j’ignore réutilise le premier symbole en plein milieu de la séquence. J’ai bien essayé de comprendre le pourquoi du comment mais je n’ai pas réussi. Si la licence à bien eu un problème sur sa longueur, ce serait cela: les devinettes parfois tellement obscures que même avec la solution on ne les comprend pas ! Après c’est peut-être moi (sans doute même) qui suis bête…
Tranquilité autour d'un feu de camp entre la tribu et leurs imposantes autruches sauvages...
Contrairement à d’habitude on délaisse ici l’ambiance un peu onirique pour un discours plus politique, notamment en ce qui concerne les Youkols face aux habitants de Valsemborg. Méfiance, rejet de l’autre voir intolérance sont ici au cœur du sujet. Ce n’est pas forcément amené de manière très subtile mais le message est clair. L’autre grand message concerne la menace radioactive dû au nucléaire, qui à tout simplement laissé une ville à l’abandon, empoisonnant de manière irréversible ceux qui oseraient s’en approcher. Là encore l’approche est un brin naïve, un véritable spécialiste en radiations verrait surement des erreurs et des incohérences à la pelle dans la manière dont est décrit ici la radioactivité mais ce coté très ‘simplifié’ convient bien à l’atmosphère générale de la trilogie.
Certains panoramas font honneur à la série
Il existe un DLC pour Syberia 3, gratuit de surcroît. Je pensai que celui-ci faisait suite à l’aventure principale mais en fait pas du tout, il se déroule entre la cérémonie du stade et l’arrivée au poste frontière. Plus précisément encore durant l’aurore précédent le départ de la tribu du stade Olympia, quand Oscar se rends compte de la disparition de Kate et doit donc la retrouver au plus vite. Miss Walker est en fait entre les mains de Nic Cantin, le détective privé qui fait son retour dans le script. À nous donc de la délivrer. Ce petit scénario complémentaire permet d’incarner une fois de plus l’automate/androïde (on le joue également au cours de la partie classique) et d’en apprendre plus sur sa personnalité guindé, avec une haute estime de lui-même...et qui est capable d’omettre certains ‘gros’ détails pour se donner un plus beau rôle qu’advenu.
Quand on parvient au générique de fin, le périple de Kate Walker n’est pas arrivé à son terme. Annoncé il y a quelques années, Syberia: Le Monde D’Avant sera selon toute logique le dernier épisode de la saga. À la fois préquelle et séquelle, on y jouera bien sur Kate retenue prisonnière dans une mine de sel mais aussi une jeune pianiste nommée Dana Roze bien avant les événements du premier jeu, en 1937 précisément. Ce dernier opus aura donc vu au cours de sa production la disparition de son créateur Benoît Sokal, et cela confère à cette conclusion une aura particulière qui je l’espère saura rendre hommage de manière approprié à ce grand auteur français. Le jeu est attendu pour 2021, si tout va bien.
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Très mal accueilli à l’époque de sa sortie sur PC à cause de son positionnement plus orienté consoles, ce troisième et dernier épisode en date de Syberia ramène modestement la franchise à une ère vidéoludique récente. Visuellement moins fantasmagorique et plus ancré dans la dure réalité, on gagne en pragmatisme ce qu’on y perd en magie. Néanmoins le fantastique n’a pas entièrement disparu et certaines séquences baignent dans un mysticisme bienvenu, même si parfois ambigu. Le message est lui aussi moins enclin à la nostalgie et à la rêverie avec des notions comme le rejet des nomades, la dureté de la justice ou les lois contraignantes sans raisons qui occupent le titre en grande partie. Et bien entendu le danger du nucléaire, qui couvre une large part du récit, ce dernier thème étant inévitable et arrivant au bon moment pour terminer cette odyssée vers l’Ostalgie. Techniquement plus agréable que ses prédécesseurs, plus beau mais moins onirique, ce Syberia III complète plutôt bien le périple vers l’île aux mammouths et marque le premier pas de Kate Walker sur le chemin du retour. Le fin mot de ce voyage quasi-mystique trouvera sa résolution dans ce qui sera je l’espère le dernier opus à paraître pour la saga, Syberia: Le Monde D’Avant. Hâte de voir çà.