Telltale, société spécialisée dans les jeux épisodiques, sort en 2014 ‘The Wolf Among Us’ en 5 parties, adaptation vidéoludique des superbes comics 'Fables' de Bill Willingham. Le titre reprend à la lettre la formule plus qu’éprouvée du studio et aurait dû au mieux avoir bonne presse suivi d’un succès d’estime de la part du public. Pourtant il parvint à capter le petit monde des gamers jusqu’à posséder une aura dépassant de loin les attentes initiales. Ceci grâce à ses graphismes, son ambiance, son atmosphère musicale…mais surtout son héros, qui passant de l’un des plus grands méchants de l’imaginaire collectif à celui de protecteur de la vérité et de la justice à su dompter les joueurs comme jamais. Partons donc sur les traces du détective lycanthrope pour découvrir ce monde fabuleux…du moins en apparence.

LE LOUP DANS LA BERGERIE

Beaucoup ne le savent pas, mais ‘The Wolf Among Us’ est donc tiré d’un comics, ‘FABLES’ qui narre les aventures des héros tirés des contes venus se réfugier dans notre monde suite à l’assaut du terrible Empereur sur tout les Royaumes Magiques. Notre univers étant le seul n’ayant rien de fantastique, il reste à l’abri de la soif de conquête du terrible envahisseur. Et c’est donc là, à l’abri d’un quartier de New-York que vit depuis des siècles la communauté des Fables. Blanche Neige, la Belle, la Bête, Le Prince Crapaud, Barbe-Bleue, Jack (sans son haricot magique), les 3 petits cochons, Rapunzel, Ichabod Crane… tous ses personnages issus de l’imaginaire qui coexistent secrètement au beau milieu de Manhattan. Du moins ceux ayant apparence humaine ou de quoi se payer des charmes de dissimulation, les autres - animaux doué de paroles pour la plupart mais pas seulement… - sont fortement prier de vivre à ‘La Ferme’, une immense propriété agricole où peuvent vivre plus ou moins en paix farfadets et autres petites fées. À condition de ne jamais quitter l’endroit…

Bigby et Blanche sont à la tête de la communauté des Fables (enfin presque)

Seule exception à cette règle, le Grand Méchant Loup, qui lui est interdit de séjour au domaine fermier. Son passé ensanglanté ne pouvant décemment pas lui permettre de vivre parmi celles et ceux dont il a endeuillé les familles. Alors il jouit d’un statut spécial, octroyé par Blanche Neige et qui lui à permis de devenir ce que l’on appelle communément un Loup Garou. C’est ainsi qu’il peut vivre au milieu de New-York entouré des ‘Communs’ (c’est ainsi qu’ils nomment les humains de ce monde) et exercer son devoir envers les siens. Car bien que depuis leur exil, chaque Fable a pu bénéficier de l'amnistie générale sur les crimes passés, les nouveaux sont eux bel et bien soumis à la loi. Et l’aura du Big Bad Wolf demeure puissante. C’est donc tout naturellement qu’il est devenu le ‘shérif’ de la troupe. À la fois craint et respecté, c’est à lui de préserver la clandestinité et la sécurité des siens, et ce aussi bien des menaces extérieures…qu’intérieures.


Il ne faut pas s'y tromper, à la base notre héros est un loup - LE Loup - à qui on a donné la possibilité de passer pour un humain. Et non pas l'inverse. On lui à cependant accordé, au vu de ses fonctions, le droit de passer d'un état à l'autre, avec des stades intermédiaires, comme ici à mi-chemin entre ses deux formes standards.

Le comics démarre en 2003, tandis que le jeu lui prends place en 1986. C’est donc à une préquelle que nous convie Telltale. On y incarne Bigby Wolf (contraction de Big Bad Wolf) enquêtant sur une sordide affaire de prostituées décapitées. Il doit alors mener ses investigations entre ses supérieurs nantis qui réclament des résultats rapides et les habitants des bas-fonds qui sont en proie à la colère face au mépris et l’ignorance de ces privilégiés. C’est donc dans un conflit social très marqué que notre bonhomme devra marcher à pas de loup pour dénicher la vérité.

DANS LA GUEULE DU LOUP

Nous voilà donc devant un Telltale à la technique classique, c'est-à-dire un Click-N-Play 3D  avec choix de dialogue fréquents qui influenceront de manière plus ou moins importante la suite des événements. Là ou le titre à su se démarquer du reste du catalogue de la firme, c’est par son atmosphère. Visuelle tout d’abord, avec ces graphismes qui sont juste absolument divins pour retranscrire au mieux l’origine BD de l’œuvre. Chaque plan est absolument magnifique, avec ce cel-shading utilisé comme il se doit et cette palette de couleur qui tape constamment juste. En résumé, la direction artistique est parfaite, murement réfléchie et avec un vrai travail qui se ressent en coulisse pour tirer le meilleur de chaque scène. L’ambiance ensuite, avec ce Néo-Noir qui sied à merveille à ce bon vieux Bigby. Le climat est lourd, chaque parole est soigneusement pesée, chaque action dûment analysée. Il y a parfois quelques moments plus vifs qui demandent de réagir à chaud mais globalement on sent le poids de chaque instant passé en compagnie de notre fin limier. Et son caractère bourru et (faussement) sur de lui ne font que renforcer cette impression de roc venu foutre le boxon dans des affaires pas claires. Pour mieux les faire éclater au grand jour…

Le respect graphique envers le comics est saisissant.

L'ambiance feutrée est parfaitement dans le ton.

Le générique des 5 épisodes de cette première saison

Revenons un instant sur cette notion de rythme qui avec le sous-titrage perd un peu de son effet. Car bien que l’ensemble des dialogues soient doublés, pour quelqu’un qui comme moi ne pane pas grand-chose à l’anglais la traduction est indispensable. Hors lors des phases de dialogue où il faut répondre du ‘tac-au-tac’, on n’a pas forcément le temps de lire l’ensemble des propositions mise à notre disposition…on pioche donc au petit bonheur la chance dans le court laps de temps qui nous est imparti en espérant ne pas avoir opté pour une solution qui ne nous conviendrait pas. Ce qui pourrait avoir un impact très négatif sur le reste du récit, ou tout au moins sur la manière dont nous souhaitions le mener.
Autre défaut à mettre en exergue, le fait qu’il arrive régulièrement que le jeu ‘hoquète’, surtout lors de changement de plan, et encore plus quand il s’agit de ‘nœud scénaristique’ (quand vous devez choisir entre ‘à gauche’ ou ‘à droite’ et qu’il doit charger le plus vite possible la ‘voie’ prise par le joueur). Mais le phénomène est aussi visible lors de cinématiques – et notamment le générique ! – ce qui est là tout bonnement inexcusable.

Voici un de ces fameux choix de dialogue, influençant les événements. La barre rouge en dessous qui s'amenuise indique le temps de réponse accordé (le silence est une option parfaitement valable). Cette dernière défile parfois très rapidement! Il faut alors lire et choisir à toute vitesse pour ne pas s'orienter sur une route qui ne plairait pas.

Je vais pointer maintenant ce qui reste pour moi le plus problème de ‘Fables’, et qui par répercussion frappe aussi cette adaptation vidéoludique. Mais comme je vais évoquer quelques personnages qui ne sont pas dévoilé dans le jeu je préfère en parler sous bande spoiler. Dont acte. Fables, le comics, est sujet à une incohérence tellement énorme qu’elle remet en cause la nature même de l’œuvre. Dans le récit, les exilés des mondes magiques rejoignent notre univers à peu de chose près dans la première moitié du 17ème siècle et finissent par s’installer dans un coin perdu de l’île de Manhattan, non loin d’une toute jeune bourgade du nom de New Amsterdam (qui voit le jour aux environs de l'année 1625). Mauvais calcul, car l’île va très vite devenir ce que l’on connaît. Le truc qui chiffonnes c’est que parmi la communauté se trouve des personnages qui furent créé dans notre réalité bien plus tard. Par exemple Mowgli (1894) ou même la créature de Frankenstein (1818). Alors l’auteur va plus tard tenter une explication en développant l’idée que l’ensemble des Fables ne quittent pas les Royaumes au même moment, mais par à coup, et que donc les héros plus modernes sont ‘moins vieux’ que Cendrillon ou le Chaperon Rouge par exemple. Viendra ensuite, après la fin de la Grande Guerre contre « l’Adversaire » l’arc des ‘narrateurs’, qui donnera une version plus métaphorique et poétique à tout cela. Mais j’avoue que je ne fus guère convaincu. Et c’est là que j’arrêtai de suivre la série que je conseille fortement tout de même, surtout jusqu’à son numéro 100 qui marque la fin de la trame principale. Ensuite le récit se diluera jusqu’au 150ème numéro et de nombreux spin-off à la valeur inégale.

Ma collection Fables, qui couvre à peu près les 100 premiers numéros US. Les versions françaises sont passées par plusieurs éditeurs (Panini tout d'abord puis chez Urban Comics) toujours sous le label Vertigo.

L’HOMME EST UN LOUP

Notre bon shérif, à force de remuer le cocotier, fini par mettre au clair au sein de la communauté magique tout un marché parallèle, tenue par une bande organisée dont les fondations sont basées sur de ‘menus services’, de l’intimidation et de l’escroquerie. Piégeant les petites gens à qui l’administration ‘légale’ ne prête plus la moindre attention et qui se tournent alors vers ces malfrats sans scrupules pour finir par s’endetter auprès d’eux sans jamais voir le bout du tunnel. C’est ainsi qu’une Mafia à pu prendre patiemment autant de pouvoir sur les Fables sans que personne ne s’en aperçoivent véritablement, jusqu’au jour du dérapage de trop. Jusqu’au jour où l’organisation se révèle plus efficace que la voie hiérarchique légitime. D’un crime odieux, le Loup va remonter la piste et va finir par se rendre compte que beaucoup de ses administrés sont en fait sous la coupe impitoyable de ce groupe mafieux. Ce qui ne fera que renforcer sa détermination à les combattre…

Blanche Neige est garante de la bonne tenue administrative de la communauté, mais n'a pas tout les pouvoirs. Elle est la Numéro 2 de Fableville. Bigby lui gère plutôt l'arrière-boutique, les mains un peu plus dans le cambouis. Bien qu'ils se chamaillent tout le temps ils forment un duo efficace. Un bon moyen de se mettre à dos le shérif est d'insinuer qu'il est le 'bon petit toutou de sa maîtresse', mais gare à vos fesses après cela!

Nous découvrons de nouveaux personnages que nous ne croisions pas dans les cases, ces derniers étant ma foi fort bien croqués. Je souligne une fois de plus l’excellence graphique de l’ensemble, le chara-design pour ces nouvelles têtes étant là encore des plus réussi. Mention particulière pour Mary et Nerissa. Ainsi que pour le prêteur sur gages, mais là je préfère laisser la surprise. Pour ce qui est des têtes connus, pas de souci de ce coté là, on retrouve les visages tels que nous avons appris à les connaître dans leurs versions papiers. Des absents notables sont tout de même à souligner pour les connaisseurs, comme le Roi Cole, totalement éclipsé du récit et surtout Rose Rouge, la sœur de Blanche Neige qui ne fait qu’une apparition photographique en guise de caméo. Je comprends cependant ce choix, le jeu étant canon avec les comics, faire intervenir la frangine ici aurait un peu dénaturé le premier arc scénaristique de la bande dessinée pour ceux qui aurait l’intention de découvrir ‘ce qui se passe après’.

Le look de Mary est assez stylé. Une nouvelle qui fait sensation dès son apparition.

Nerissa est tout aussi réussie, mais pas dans le même genre. Ce personnage à une petite particularité étant donné le fait que le monde entier là connaît...mais sous un autre prénom...

Parlons-en de l’après, justement. La saison 2 était en chantier quand Telltale première mouture ferma ses portes sans préavis, laissant tout un tas de jeux sans suite (et bien plus d’employés sur le carreau…). Batman, Gardians of the Galaxy, Game of Thrones, le projet Stranger Thing…tout cela bascula dans le vide-ordure en quelques heures. Cependant deux de leurs franchises purent être sauvées grâce à leur popularité. La première fut bien entendu The Walking Dead, grâce à Skybound et le collectif Stillnotbitten qui parvinrent à terminer la quatrième et dernière saison mettant en scène Clémentine, pour la conclusion d’une histoire poignante qui su prendre aux tripes (et qui reste à ce jour – de mon point de vue que je partage ici – la meilleure chose qu’ait offerte la ‘licence aux zombies’). La seconde franchise à revenir d’entre les morts, comme dans un conte après le baiser du Prince Charmant, c’est donc ‘The Wolf Among Us’. Première annonce du nouveau studio ‘Telltale’, construit sur les ruines de l’ancien (et qui est composé en partie des équipes de l’ancienne boite de développement). Une bande-annonce fut dévoilée au Game Award 2019, suivie d’une courte interview pour préciser que tout le projet repartait de zéro. Aussi bien du coté du  moteur, entièrement revu, que de celui du scénario, qui certes restera la suite de la saison une mais ne reprendra pas les premiers jets écrit à l’époque pour la première version. Et depuis plus rien. D’où une inquiétude grandissante quand à la viabilité de ce projet, surtout au vu de cette sublime année 2020 que nous avons traversé (ironie). J’espère avoir des nouvelles - positives - très bientôt, tant il me tarde de connaître le fin mot de l’histoire. Car comment ne pas être intrigué face à cet épilogue qui laissait entrevoir un Bigby suivre une intuition… qui pourrait se révéler très intéressante!

C'est ce qu'on appelle une fin en 'Queue-de-Poisson'

~€~

Le Grand Méchant Loup nous offre une enquête colorée dans la forme et sombre dans le fond. Un mélange qui fonctionne à merveille, accompagné par une bande-son lancinante qui reste magnifiquement en tête. Pour les lecteurs du comics, retrouver cet univers sous forme de jeu vidéo (et racontant « l’avant ») est un immense plaisir. De plus cela apporte une nouvelle lecture des bouquins, qui ne dévoilaient que partiellement le passé de certains protagonistes (Ichabod Crane en particulier). Pour ceux qui découvrent la licence avec ce jeu, on plonge dans un monde fascinant, aux possibilités de narration folles, supporté par des graphismes aux petits oignons et des personnages charismatiques. Une porte d’entrée formidable pour se plonger dans l’œuvre de Bill Willingham.
Dans tout les cas, l’attente sera longue pour la suite qui, c’est le moins que l’on puisse dire, se fait fabuleusement désirée.

Bande Annonce du 2, qui n'a pas donné de nouvelles depuis un an

Il fut un temps où tu étais sans cœur...brutal...Un Monstre.
Et je suis fier de toi, pour avoir changé tout ça.
Mais je suis ici pour te demander de redevenir cette chose, une dernière fois.
Pour Eux.
Pour moi.
Je peux compter sur toi?

Bigby, JE. PEUX. COMPTER. SUR. TOI ?

Toujours.