Après une semaine de coupure pour cause de weekend surchargé, voici venir le temps de la reprise pour la publication de ma nouvelle Disquemondienne. Un chapitre particulièrement compliqué à boucler et qui une fois de plus ne me satisfait pas pleinement. Mais bon à un moment faut savoir passer à autre chose ^^'

"             !"

Une nouvelle du Disque-monde

En se réveillant dans son lit le lendemain matin, Théo se demanda si tout cela n’avait pas été qu’un mauvais rêve. Tout lui paraissait si flou, si lointain, si irréel… comme le souvenir d’une autre vie. Mais non, ses jambes fatiguées et la tension qui parcourait encore son corps lui confirmaient que la soirée de la veille n’avait pas été un cauchemar. Ne sachant pas trop comment réagir, il décida de faire comme d’habitude et se prépara à rejoindre son poste à l’officine deux étages plus bas.
La matinée ne fut marquée que par le chahut de mademoiselle Chaloupe qui une fois de plus venait réclamer des petites pastilles bleues destinées à son amant de la semaine. C’était une femme dotée d’une énergie folle et qui se faisait un point d’honneur de le démontrer dans chaque aspect de sa vie. Elle avait gagné une fois de plus cette année de nombreux prix dans les domaines culinaires, culturels et artistiques. Et avait une réputation qui n’était plus à faire en ce qui concernait son boudoir de l’allée des Neuf-Grains. Un lieu qui ferait rougir les membres de la Guilde des Couturières elles-mêmes d’après ce qu’on en disait dans les fins de diner en ville. Elle ne resta que quelques minutes qui semblèrent une éternité puis quitta la boutique alors que les étals des commerçants n’étaient qu’à peine de sortie dans cette brume des aurores. Il ne se passa rien d’autre de notable jusqu’à peu avant midi où le tintement de la porte attira le regard des deux apothicaires, affairés en cet instant à classer les onguents. Il s’agissait de Jadelia. Vêtue d’une robe rose à la coupe stricte mais chic accompagnée d’une ombrelle de la même teinte mais bien trop fine pour être vraiment efficace, elle contrebalancait sa tenue un brin sévère par un chapeau haut-de-forme fantaisie trônant comme il le pouvait au-dessus de son habituel imposant chignon.

« Théo, dit-elle sitôt le pas-de-porte franchi, j’ai eu si peur qu’il vous soit arrivé malheur. J’ai bien cru que vous et vos drôles d’amis ne soyez tous arrêt…. »
Instinctivement, Théodule laissa son rangement en plan et rejoignit la demoiselle. Ils se toisèrent un instant avant de lancer de concert leur regard sur Mr Cèperousse.
« C’est bon Théo. Prends ta pause déjeuner. Vous avez sûrement des choses à vous dire… ». Le sourire du vieil homme trahissait le fond de sa pensée, mais il était loin de se douter de la réelle nature de la discussion qui allait avoir lieu. Le temps pour l’apprenti d’enfiler sa veste et les voilà parti.

***

Flânant au hasard des rues, les deux jeunes gens étaient effectivement en pleine discussion, mais comme d‘habitude avec Jadelia, celle-ci était à sens unique.

« …Maman a voulu forcer les agents du Guet à nous laisser sortir mais tout le bâtiment était bouclé - encore une de leurs expressions qui m’horripile ! Ils posaient des questions à tout le monde, y compris ma mère et moi. Mais je n’ai rien dit à propos de vous ou de vos amis… je vous le jure ! Je ne sais pas pourquoi vous avez fait cela mais je suis sûr qu’il y a de bonnes raisons à cet acte de démence ! Et puis même le Patricien était là ! Il m’a même regardé pendant quelques secondes ! J’étais pétrifiée. Il est si…Humm… Bref. Je sais aussi que le directeur de l’opéra a été interrogé également… Peut-être qu’ils vont savoir que je vous ai fait parvenir une invitation ? Peut-être qu’ils vont venir m’arrêter chez moi ? Peut-être vais je finir ma vie en cellule ?! Ce serait horrible ! Vous pensez qu’ils ont de bons coiffeurs en prison ?? »

Mais une autre question brûlait les lèvres de Théo, ou tout aux moins ses doigts. Il se tourna soudain vers elle pour lui faire face et apposa délicatement ses mains sur les oreilles de son joli visage, avant de lui montrer la petite place sur laquelle ils étaient parvenus et qui était inondée de bruit. Elle comprit, et son visage se mit à rougir instantanément tandis qu’elle baissait son regard devenu timide. Il lui prit délicatement le menton et lui releva sa tête, il voulait entendre ses explications. Elle répondit par un sourire gêné puis fouilla dans son minuscule sac à main pour en sortir un petit sachet. Qu’il reconnut de suite, c’était celui que Jadelia et sa mère étaient venues chercher à l’officine, le jour de leur rencontre. Elle prit une petite pilule, qu’elle goba aussi sec sous les yeux étonnés du jeune homme. Enfin elle reprit la parole:

« C’est grâce à ça que je peux entendre les sons autour de moi. C’est basé sur une plante d’un lointain pays, la Fleur-de-Lyre je crois qu’on l’appelle ainsi. Je n’en suis pas sure, il faudra demander à votre maître. C’est lui qui a proposé à ma mère d’essayer ce traitement quand mon état a empiré il y a quelques années. Je ne suis pas sourde de naissance. J’ai très bien entendu durant toute mon enfance.
Mon père était un musicien réputé dans toute la région, un grand joueur de cor traditionnel. Très respecté de tout le monde, surtout des jeunes demoiselles… Un jour lors d’un concert, pour impressionner une quelconque fermière qui lui faisait du charme il souffla de toutes ses forces dans sa maudite flutîne de 12 pieds de long. Il se trouva que je passais devant à ce moment-là. Haute comme trois pommes ce fut comme me prendre un coup de massue. J’étais sonné mais j’allais bien. Mais de ce jour-là je gardai des séquelles qui ne se manifestèrent que quelques années plus tard quand je me rendis compte que je percevais de moins en moins bien les bruits autour de moi. Je l’ai immédiatement dit à ma mère, qui m’a fait jurer de ne jamais en parler à personne. Entretemps nous avions quitté notre village (et ma mère mon père) et nous nous étions installées dans la vieille demeure familiale d’Ankh-morpork, héritage de mes grands-parents, issus de la petite bourgeoisie morporkienne de l’ancien temps. Elle a toujours espoir qu’un bon parti - comme elle le dit - me mette la main dessus et fasse de moi ‘Une Vraie Dame’. Et les vraies Dames ne sont pas sourdes, ça non ! Alors elle alla voir discrètement Mr Cèperousse, le plus vieil apothicaire de la ville. Celui-ci avait peut-être une solution, qu’il rêvait d’expérimenter depuis des années. Elle accepta et m’emmena le voir. Avant même que je ne perde complètement l’ouïe, on commença le traitement. Et ça a plus ou moins marché. Cela ne m’a pas empêché de devenir sourde mais ces petites pilules… enfin…Vous connaissez les Fleurs-de-Lyre ? Ce sont des plantes capables de reproduire des sons, grâce à un… je ne sais pas quoi qui produit des vibrations à l’intérieur de… Pfioouu !! Enfin c’est des fleurs qui font du bruit quoi ! D’après le vieux Cèperousse elle attirent les oiseaux en imitant le son des insectes et elles pousseraient un cri ignoble quand on veut les cueillir. Je n’en ai jamais vu. Elles restent rares et faire venir les extraits de plantes dont votre maître a besoin pour faire ses pilules est très onéreux. Et leur effet ne dure qu’un moment.
Elles ne me rendent pas totalement mes oreilles… mais je peux entendre la plupart des sons proches de moi. C’est comme écouter une conversation en étant au fond de l’eau. Ce n’est pas idéal mais c’est mieux que de ne rien percevoir. Je n’en prends pas souvent… ces quelques pilules doivent me durer des semaines. Le temps que des nouvelles soient préparées… »
Comme toutes les fois précédentes, Théo buvait ses paroles sans jamais l’interrompre. Elle avait vraiment l’art de ne jamais s’arrêter de palabrer, et devait se sentir terriblement seule quand il n’y avait personne pour l’écouter.

Leurs pas les menèrent à l’une des extrémités de la place, où un groupe d’une douzaine d’enfants était rassemblé devant un petit théâtre de marionnette. Les rires fusaient devant le spectacle qui se livrait à eux. Une femme vêtue humblement se tenait au côté de la petite structure de bois. Tout comme la petite scène elle semblait avoir pas mal bourlingué. C’est elle qui narrait les aventures des petits personnages qui s’agitaient derrière le cadre. Il y avait là Papy Pouah, son petit-fils Papavid, leur voisine Lala Couine et Sicard Sique l’irascible agent du Guet.
Même Jadelia fut captivée - cependant elle ne pouvait s’empêcher de commenter à voix basse tout ce qu’elle jugait susceptible de l’être. Elle lui avait pris le bras lorsqu’ils s’arrêtèrent pour admirer la charmante représentation et s’était ensuite accolée à lui. Cela aurait dû le faire réfléchir sur la suite des événements mais son attention avait été attirée par toute autre chose. Les marionnettes, bien que superbement mise en valeur par des accessoires astucieux, ne se révélaient au final n’être que des… chaussettes ?!  Le modèle ‘Grosse Laine pour Petit Petons au Cœur de l’Hiver‘ certes mais de simples chaussettes tout de même. Patiemment il attendit la fin de la pièce, qui ne fut pas désagréable à suivre par ailleurs. Lorsque ce fut terminé et que le petit rideau ferma la petite scène, Théo se rapprocha du minuscule théâtre et en fit le tour, non sans avoir demandé à Jadelia de l’attendre sans bouger.  Une fois passé de l’autre côté du décor, et comme il s’y attendait, il se retrouva nez à nez avec le Roi Chaussette. Ce dernier resta un moment penaud sous le coup de la surprise avant de laisser échapper un sourire profondément sincère. Il présenta alors sa femme sous le signe de ’Reine Chaussette’, qui se révéla d’une grande bonté et pleine d’humour. Quelques allusions de sa part firent comprendre à ’Monsieur Sourire’ qu’elle était au courant de la vie secrète de son mari, ainsi que de l’opération grand-guignolesque de la veille.
Le Roi insista pour montrer toute sa gamme de marionettes-chaussettes à Théo et Jadelia, et le fit avec entrain. Il y en avait tellement que les deux jeunes furent obligés de prendre congé avant de les avoir toutes admirées. L’enthousiasme du Roi-Chaussette pour son petit théâtre faisait plaisir à voir, et Théodule Soufflet était ravi de l’avoir rencontré dans de telles circonstances.

***

Plus tard, après avoir raccompagné Mademoiselle Jude-Raizin jusque chez elle, Théo hâta le pas pour au plus vite reprendre son poste. Sa pause déjeuner avait duré bien trop longtemps et Mr Cèperousse allait probablement s’imaginer des choses un peu déplacées. En la laissant sur le pas de sa porte, il avait voulu lui rendre la broche qu’elle lui avait confiée mais elle s’était contenté de la lui épingler sur son veston d’un air taquin. De tout le trajet de retour, il ne parvint pas à chasser de son esprit ce regard malicieux qui lui avait été destiné.

Lorsqu’il ouvrit la porte de son lieu de travail, la première chose qu’il vit fut le faciès désolé du vieil apothicaire. Il s’apprêtait à s’excuser de son retard quand il distingua deux silhouettes qui se retournèrent vers lui: des agents du Guet !
« Ha ! Monsieur Soufflet, c’est bien ça ? Justement nous voulions vous voir ! C’est Monsieur Paillesec qui nous envoie, mais vous devez mieux le connaître sous ce nom-là !» L’agent pointa alors dans un geste obscène son majeur en direction de Théodule, qui resta interdit. «Bien, votre silence parle pour vous. Nous allons avoir une petite conversation sur les… événements d’hier au soir. Ça vous dit quelque chose sans doute ?»
Quand l’agent qui n’avait pas parlé s’approcha de lui, Théo bondit par pur réflexe en direction de la sortie. Il s’y précipita le plus rapidement possible tout en observant du coin de l’œil ses poursuivants mais l’embrasure de la porte d’entrée était désormais occupée par un mur qui n’existait pas quinze secondes plus tôt . Emporté par son élan il fonça dessus tête baissée, à pleine vitesse. Le choc fut terrible. Il vit trente-six chandelles quand il s’étala au sol de tout son long. Les dernières paroles qu’il put distinguer avant de sombrer dans l’inconscience semblèrent provenir du mur en personne:
« Pardon Sergent, moi pas vouloir appréhender suspect en assommant lui. Mais lui fou si lui croire pouvoir bousculer troll comme c.. »

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À lundi prochain si tout va bien...