On approche de la fin de ces publications avec cette semaine le chapitre 11 de " !"
" !"
Une nouvelle du Disque-monde
Il ne sut pas vraiment quand il reprit connaissance au milieu de ce néant absolu mais au bout d’un moment il comprit que cela faisait un moment qu’il était là. Sa tête lui paraissait plus lourde qu’à l’accoutumée et il lui fallut un gros effort de concentration pour comprendre qu’il se trouvait suspendu par les pieds, au-dessus d’une noirceur insondable. Un temps supplémentaire fut nécessaire pour que sa vue commence à s’acclimater aux ténèbres. Son esprit était encore confus du choc qu’il avait reçu et qui se manifestait par une vision brouillée et multicolore, ce qui dans ce noir d’encre lui donnait encore plus mal au crâne. Il finit par gémir sans conviction. Il perçut alors comme un mouvement sur sa gauche. Perçant comme il le put du regard l’épaisse couche d’ombre il finit par comprendre ce qu’il tentait de décrypter depuis plusieurs minutes avec un sursaut d‘effroi: le squelette d’un ancien infortuné mort alors qu’il se trouvait dans la même situation que lui ! Théodule sentit alors la panique montée en lui - ou descendre plutôt - et se mit à gigoter comme un forcené. Un autre mouvement le ramena à dévisager cet étrange faciès figé à jamais dans son sourire morbide. En y observant de plus près, on distinguait comme une lueur au fond de son orbite, qui semblait s’animer de plus en plus… puis la lueur se divisa en deux petits points lumineux bien distincts qui finirent par émerger de la tête du malheureux.
Des yeux. De rat.
Les deux êtres se toisèrent sans un bruit dans ce qui sembla durer une ou deux éternités. Puis le rongeur émit un couinement et grimpa le long du cadavre décharné à toute vitesse pour disparaître de la vue de Théo. Mais on entendait clairement la bestiole remontait la chaîne du trépassé pour tenter de rejoindre celle de son nouveau garde-manger. Pris de panique absolu, Monsieur Sourire tenta de faire basculer ses jambes mais cela se révéla impossible dans une telle position. Il ferma les yeux quand il sentit du mouvement sur la chaîne qui était sienne en espérant le moins de souffrance possible.
Puis plus rien. Le silence était revenu et plus aucun mouvement en provenance du plafond. En ouvrant de nouveau les yeux, - “AAAAAAaaH !!” - le mime renégat ne put s’empêcher de pousser un cri. À quelques centimètres de son nez se dressait face à lui un visage blafard, triste comme la mort mais pourtant bien vivant, maquillé à la va-vite de cire blanche et de suie depuis longtemps passé. S’agissait-il d’une apparition? Du fantôme du squelette? D’un autre prisonnier silencieux? Le regard de cet être lugubre transperçait littéralement celui du jeune homme, à la fois noir et éteint mais empreint d’une grande force qu’on devinait redoutable. C’est alors que le visage se mit à basculer lentement, en effectuant un demi-tour parfait telle une grande aiguille d’horloge cassée. Une fois l’apparition fantomatique positionnée de manière convenable quant au sens du sol - et donc en vice-versa du point de vue de Théo - celui-ci se mit à s’élever vers le plafond. Là il n’y avait plus aucun doute, le sang lui avait trop monté à la tête et cela lui jouait des tours. Les nouveaux bruits de chaînes à ses pieds le ramenèrent vite à sa situation délicate. Le rat était sûrement de retour pour se mettre en appétit.
Puis le monde bascula d’un coup. Soudainement libre de ses entraves, Théodule se vit tomber vers une abîme infini. Mais avant même que cette idée finisse de germer dans ses pensées qu’il frappait violemment le sol. Ou tout du moins un semblant de sol. Disons une petite partie d’un semblant de sol. En fait une planche. Assez épaisse et solidement ancrée de chaque côté du puits à supplice (sa vue s’adaptait très vite à l’obscurité désormais et il distinguait clairement les bords arrondis de sa cellule). Sous la planche en revanche, le noir total. Sa chute ayant provoqué quelques pertes de gravats il sut que la profondeur de cette horreur était bien trop élevée pour vraiment s’y intéresser. Ce trou sans fin menait-il directement jusqu’à la Basse-Fosse et ses démons terrifiants ? Fort probable. Puis il vit des jambes se poser également sur sa planche de salut. Levant la tête il redécouvrit le visage maussade, mais reprenant rapidement ses esprits il parvint à identifier son sauveur: Pouet en personne. Juste là à côté de lui. L’aidant à se relever délicatement sur leur sol de fortune, le célèbre mime ne put réprimer un sourire devant la mine stupéfaite du jeune homme. Il avait tant de question à lui poser, et en premier lieu d’où venait cette planche ?! Théo commença à mimer celles-ci mais Pouet posa délicatement son index sur ses propres lèvres dans le signe universel de qui demande le silence. Puis du même index il indiqua le haut de la cellule, où l’on apercevait la grille fermement cadenassée. L’atteindre ne poserait pas trop de problèmes avec toutes ces chaînes qui suspendaient depuis là-haut. Théo ramena son regard sur son idole vivante. Que voulait-il qu’il fasse exactement? Il n’avait aucun moyen d’ouvrir cette fichue grille! Les yeux du vieil homme se fixèrent alors sur le veston bien mal en point de Mr Cèperousse, attirant à sa suite ceux de Théo. Là, exactement là où l’avait fixé Jadelia, se trouvait toujours l’oiseau. Avec sa broche longue et pointue. Parfaite pour un crochetage en règle.
***
La dextérité avec laquelle le mime Pouet avait fait preuve pour ouvrir le gros cadenas rouillé de leur cellule démontrait l’habitude d’une telle manœuvre. Tout en suivant discrètement le maître dans les sombres couloirs de la prison, Théo se demandait qu’elle avait pu être la vie de cet homme autrefois si célèbre et soumis à l’opprobre désormais. On racontait tellement de choses à son sujet, et encore plus depuis sa clandestinité. Certains le prétendaient ancien professeur de la Guilde des Fous, tombé en disgrâce suite à l’arrivée du Patricien. C’était plus que probable bien que le Docteur Leblanc ait toujours nié cette information par peur des représailles du despote. Il aurait aussi été un ancien délinquant souvent passé par la case prison où il aurait appris à se taire et se faire discret - ce qui expliquerait également comment il semblait connaître tous ses couloirs identiques dans lesquels ils déambulaient tous deux à présent. L’on racontait même qu’il était tout simplement muet de naissance, et que par la force des choses il avait appris naturellement à s’exprimer par le mime, corroborant l’aisance de son savoir-faire et la maîtrise de son art. D’autres légendes circulaient, faisant de lui un religieux ayant fait vœu de silence au grand Om, ou un ancien ténor de l’opéra qui se serait cassé la voix suite à un concert de trop. La plus farfelue d’entre elles affirmait même que le mime n’était rien d’autre que le propre frère du Patricien, et que suite à une embrouille familiale la fratrie se voua une haine farouche. Ayant eu pour conséquence cette chasse à l’artiste muet dans les rues de la ville.
En attendant Théo était ravi de se retrouver auprès de son ido.. Pouet le ramena violemment en arrière pour se dissimuler ensemble derrière une alcôve. Deux gardes passaient dans le couloir qui croisait leur route, mais munis de leurs torches on les voyait venir de loin dans cette obscurité permanente. Suivant du regard l’halo de leurs flammes sur les murs de briques épaisses, on distinguait nettement qu’ils empruntaient un escalier qui semblait faire surface. Pouet et Théo s’engagèrent avec grande prudence sur cette voie. Qui offrait bien un escalier donnant à l’air libre. Libre mais toujours dans l’enceinte de la Prâline. Et cette fois les deux évadés étaient totalement à découvert, en plein milieu de la cour. Heureusement le soir qui tombait couvrait relativement leur évasion, mais il ne faudrait que quelques secondes avant que l’un des hommes en faction ne les remarque. Ils regagnèrent l’abri relatif des escaliers, réfléchissant sur la marche à suivre.
Plus loin devant eux se trouvaient les gardes qui à l’aide de leurs torches allumaient les braseros de la cour pour parer à l’obscurité de la nuit approchante. Au fond sur la gauche se trouvait une petite cabane mansardée ouverte aux quatre vents, qui devait certainement servir d’écurie. La vieille carne qui y était laissée à l’abandon était un bon indice sur l’utilisation du lieu. Mais nul ici n’avait l’utilité d’une monture. Quiconque pénétrait les murs de la Prâline était condamné à y rester. Soit devant soit derrière les barreaux. À l’opposée de la cour se trouvait la grande porte principale des lieux, la dernière que beaucoup ne verrait jamais plus.
Profitant d’un moment d’inattention des geôliers ils s’élancèrent d’un pas vif vers la jument rabougrie. Une fois abrité derrière elle, le maître demanda à Théo de détacher la monture puis il empoigna une planche de bois entaillée servant modestement de barrière à laquelle il arracha de quoi se faire un bâton acceptable avant de se rendre vers le brasero le plus proche. Agenouillé derrière une frêle palissade la jument complètement atone devant lui, Théodule était aux abois. Il scrutait chaque coin de la grande cour mais il redoutait par-dessus tout le garde qu’il ne verrait pas venir. Le vieux mime lui se dissimulait à peine en parcourant le chemin qui le séparait de la flamme frétillante. Se déplaçant accroupi, les jeux de lumière dansante du feu ne projetèrent pas son ombre sur le puissant rempart tout proche. Pourtant plus d’une fois Théo frissonna en voyant un garde à quelque distance de là esquisser un mouvement vers le Mime Pouet, toujours sans conséquence néanmoins. C’était comme s’il parvenait à s’effacer dans son environnement. Plusieurs fois des gardiens jetèrent un oeil dans sa direction, mais habilement dissimulé dans ce qui l’entourait, il fallait savoir qu’il était là pour le voir, autrement il était comme invisible. Un vrai don pour s’effacer. Après une minute qui parut interminable, il parvint au brasero et à enflammer son baton puis revint avec tout autant de facilité. Mais le retour se devait d’être plus rapide en raison du bout de bois qui ne tarderait pas à entièrement se consumer. Une fois à proximité de Théo, il lâcha sa torche de fortune sur un tas de vieux foin séché qui prit rapidement feu.
Tous les gardes furent vite alertés par les cris de terreur du cheval qui se carapata en un instant à l’autre bout de la cour. Et tous se précipitèrent pour maîtriser l’incendie avant qu’il ne se propage. Agitant capes râpées et vieux seaux d’eau lentement remplis à la pompe, les hommes s’agitèrent longuement et avec effort sans remarquer les deux silhouettes qui avaient fait le grand tour de la cour pour rejoindre subtilement la grande porte principale.
S’apprêtant à en ouvrir le battant, les évadés stoppèrent net quand on frappa à celle-ci. Interloqués, les deux mimes échangèrent un regard tandis que les coups se répétèrent sur la grande porte. Ils finirent par ouvrir au visiteur apparemment insistant. Celui-ci se révéla être plusieurs, une petite dizaine d’hommes vêtus de bien curieuse façon. Tout de cuir noir, avec casque argenté. L’un d’eux prit la parole:
« Bonsoir, je me présente: Alberic, pour vous servir ! Me voici moi et mes compagnons pour vous sauver ! On vient pour l’incendie ! Nous sommes des membres de la Guilde du Feu et dès qu’on a vu la fumée …
_ Enfin anciens membres vu qu’elle n’existe pl..
_ La ferme, Loran ! Donc dès qu’on a vu la fumée on s’est dit ‘Pas de Fumée sans Feu’ hein ! Alors nous voila ! Que voulez-vous, les vieilles habitudes ! Vous avez de la chance que nous nous soyons réunis pour évoquer le bon vieux temps, tout çà…
_ Réunis pour arroser notre amertume oui..
_ Loooran s’il te plaaaîîîîît… Donc nous voilà pour vous aider à combattre votre incendie !
_ Pour une fois que c’est pas nous qui l’allumons en plus… *PAF* AÏE !
_ Alors c’est par où je vous prie messieurs ? »
Le mime Pouet, impassible (alors que Théo se liquéfiait sur place) indiqua mollement du doigt la direction de l’écurie en flamme, d’où provenait pourtant un fracas infernal. Aussitôt la petite troupe se précipita au trot, sous les ordres à peine écoutés d’Alberic. Puis le calme revint aux alentours des deux prisonniers. Devant eux se dressait la porte grande ouverte, avec quiconque alentour. Ils la franchirent. Ils étaient libres. Mais ils étaient désormais des fugitifs. Où pouvaient-ils aller pour se réfugier?
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Suite et fin la semaine prochaine si tout va bien !