Deuxième chapitre de la nouvelle de mon cru.

~Chapitre 1~

"             !"

Une nouvelle du Disque-monde

«                                               !» s’exclama le premier.
«                     !!» protesta le deuxième.
«                                       …» tempéra un troisième.
«               ?!» renchérit le premier.
«                                                                       !» lui relança-t-on.
«                        !» contesta le troisième, qui s’emportait désormais.
Puis la cacophonie s’installa, nul ne s’écoutait plus.
«                           !»
«                  ??!»
«                            !»
«     !» conclu un dernier, qui ne s’était jusqu’à présent pas encore exprimé.

La discussion allait bon train en cette énième réunion secrète. Il faut dire que les derniers évènements avaient de quoi faire jaser. Le Mime Pouet en personne s’était fait alpaguer. La figure de proue inébranlable de leur mouvement clandestin était désormais derrière les barreaux, si ce n’est pire. Une tragédie qui mettait à bas le moral des troupes. Mais qu’était-il donc venu faire au milieu de cette foule? Nul ne l’avait vu depuis des années et le voilà réapparaissant sans prévenir au détour d’une kermesse ?!
Ce soudain retour bousculait profondément les membres de la Ligue du Silence qui s’étaient regroupés en séance extraordinaire quelques jours après cette arrestation qui fit grand bruit. En vérité, pas même eux n’étaient en contact avec le distingué mime, mais sa puissante aura avait été une source d’inspiration pour la fondation de cette association, dernier noyau de résistance dans cette cité à la botte du tyran. Autour de la table se trouvait donc l’ultime ligne de protestation envers le dictateur qui régissait la vie des citoyens bien au-delà de l’Ankh. À savoir cinq pauvres bougres en tout et pour tout.
Dans cette cave humide éclairée à la seule lueur d’une bougie vacillante se tenait cet incongru conciliabule où chacun ne se connaissait que par son nom d’artiste muselé par la force des choses. Il y avait donc là Monsieur Long, chef de séance hebdomadaire, avec à ses côtés La Barbe, nain de son état et bras droit dévoué. S’en suivait Maître Majeur, car c’était avec ce simple doigt qu’il s’exprimait le plus souvent. Ensuite on découvrait Le Roi Chaussette, un type affable au titre un brin pompeux sur lequel tout le monde se questionnait. Et enfin Frère Sourire, le petit nouveau.

***

Ce dernier était arrivé à Ankh-Morpork quelques mois auparavant malgré l’interdiction bien connue d’y exercer sa passion. Le jeune homme souhaitait - comme chacun de ses collègues - en fait rencontrer son idole. Et avec un peu de chance échanger quelques mots avec lui. Mais il ignorait alors que Pouet avait totalement disparu de la circulation. Il se mit alors à sa recherche, poussé par l’énergie du désespoir, la seule qui reste quand toutes les autres vous crient à l’oreille qu’il serait plus raisonnable de passer à autre chose. Ses questions sur l’un des individus les plus recherchés de la ville commençaient à attirer vers lui des regards de plus en plus méfiants quand il fit la rencontre totalement inopportune mais néanmoins intéressée de La Barbe, alors serveur dans un bistrot mal famé du quartier des Ombres.
Cette rencontre fut la plus étrange que vécue Frère Sourire au cours de sa vie. Car bien que cet inconnu à la pilosité faciale fournie exprimait une montagne de choses, pas un son ne sortait de sa bouche. Communiquant uniquement par des gestes d’une précision et d’une expertise redoutables, il réussit à faire comprendre au jeune novice toute une foule d’informations. Dont son premier rendez-vous pour une réunion illicite prévue dans une cave humide de la rue du Dixième-Œuf.

C’est ainsi qu’il fit connaissance il y a quelques semaines de ses nouveaux compagnons et de leur lutte souterraine - quoique peu productive - pour la réinsertion de leur savoir-faire dans les rues. Un savoir-faire invisible depuis l’avènement de Vétérini, être sans cœur comme tout à chacun le savait. Au début, la lubie de ce nouveau Patricien prêtait à sourire. Après tout chacun ses excentricités. Et puis les dirigeants vont et viennent si vite qu’à peine on a retenu leur nom qu’ils ont déjà été remplacés. Mais ce dernier se révélait bien plus coriace que les précédents, et sa lubie avait fait place à une tradition tenace, puis à une loi tacite. Leur gagne-pain avait progressivement disparu et les temps étaient devenus difficiles pour chacun d’entre eux. La filière d’apprentissage à la Guilde des Fous avait cessé son enseignement tandis que la plupart des mimes en exercice avaient tout simplement abandonné leur métier pour trouver une autre vocation. Un grand nombre d’entre eux s’était alors retrouvé à la triste Guilde des Victimes où ils s’encroûtaient en attendant des jours meilleurs.
C’est là-bas que s’étaient rencontrés les membres fondateurs de la Ligue du Silence. Marre de voir leur art être vulgairement banni de la citadelle, ils avaient alors décidé de se retrouver chaque semaine dans un lieu discret pour mener à bien leur but commun: la réhabilitation de leur métier. Voir éventuellement la chute du tyran. Mais étant tous mimes par vocation, discuter comme tout à chacun leur aurait semblé dénigrer à la fois leur profession et leur cause. D’où cette décision radicale de respecter un vœu de silence absolu, ne connaissant aucune exception. Ils ne s’exprimèrent dès lors entre eux que par le biais de leur expérience dans le domaine de la pantomime. Et juraient à chaque fin de réunion de garder lèvres closes également dans leur vie civile, afin de faire perdurer dans la plus grande prudence leur sourde révolte. Discrétion devait effectivement rester leur maître-mot car au moindre soupçon, il serait dénoncé par la frange à la botte du Patricien et jeté dans la cellule spéciale de la prison de la Prâline. Cellule d’où seules ressortaient les pires rumeurs. Car en effet aucun de leur infortuné collègue n’en était jamais revenu pour les démentir…

***

La réunion se poursuivit jusque tard dans la nuit. Il y eut des contestations, certains haussèrent le ton et la table trembla plusieurs fois sous quelques véhémences bien senties. Malgré les craquements inquiétants dus à son grand âge elle tenu bon une fois de plus. Comme à chaque séance ce fut elle qui fit le plus de bruit constata Frère Sourire, qui restait lui-même assez peu bavard comme à son habitude.
À la fin, le chef de séance prit la parole - si l’on peut s’exprimer ainsi - et entonna un ballet de mouvement d’une fluidité remarquable pour résumer les débats de la soirée. Tous était émerveillé devant une telle prestance. Nul doute que Monsieur Long avait eu une prestigieuse carrière dans le milieu avant l’interdiction. Il conclut cependant par une idée qui n’avait pas été évoquée lors des échanges: la déclaration d’une prochaine opération de grande envergure. Il soumit l’idée au vote des membres qui tous hochèrent positivement la tête.
La rencontre se termina ainsi et chacun retourna chez soi avec la consigne de se préparer pour une action d’importance.

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La suite lundi prochain (si tout va bien)