Chapitre 3 de ma Nouvelle disque-mondienne...
" !"
Une nouvelle du Disque-monde
Théodule Soufflet ne prêtait guère attention aux ruelles sombres qu’il traversait. Marchant sous les étoiles la tête perdue dans ses pensées, le frêle gaillard qui avait délaissé son identité de Frère Sourire dès sa sortie de la réunion repensait justement à ce drôle de nom de scène que lui avaient attribué ses comparses. Non sans une certaine ironie car il n’était pas franchement d’un naturel joyeux. Bien au contraire il affichait constamment une mine défaite, comme si tout le poids du monde lui pesait sur les épaules.
S’ajouta soudain au froid nocturne un crachin très désagréable, du genre à tremper durablement vos vêtements. Théodule s’emmitoufla alors dans son manteau de laine tout en adoptant un pas pressé pour rejoindre au plus vite la chaleur et la protection de sa petite chambre mansardée.
***
Celle-ci avait été acquise de manière aisée, chose rare ces temps-ci, car comprise dans le lot de sa formation d’apothicaire chez Aristide Cèperousse. Son père et le vieux commerçant avait été de bons camarades lors de leurs études et lorsque au détour d’un courrier l’idée d’un apprenti pour l‘officine fut évoqué, Bertholin Soufflet avait tout naturellement proposé son rejeton alors en âge de travailler. Le praticien avait approuvé la suggestion et accepté de former Théodule à ce métier qui garantissait un avenir plus prospère que celui d’assistant de son paternel vétérinaire.
Mais le jeune homme avait d’autres rêves. Des rêves d’artistes. Des rêves de poésies visuelles et de danses merveilleuses. Il avait découvert enfant l’art du mime un jour comme un autre lorsqu’un saltimbanque itinérant avait fait halte sur la place du village. Le troubadour avait épaté les gamins du patelin tout l’après-midi avec ses tours de passe-passe et ses mimiques caustiques qui rendaient hilare son infantile public. Il avait surtout captivé son auditoire par la puissance de ses expressions et la justesse de son visage d’où se dégageaient des émotions à la fois fortes et percutantes. Ce fut un moment inoubliable.
Le clown taiseux reçut le soir même un véritable festin de la part des parents, en récompense de les avoir soulagés ne serait-ce qu’une demi-journée de leur fardeau en culotte courte. Cette expérience marqua à jamais le cadet Soufflet, qui grava dans sa mémoire le nom de cet homme qui le laissa sans voix. Le mime Pouet.
Durant les années qui suivirent, alors qu’il épaulait de plus en plus souvent son père pour aider à mettre bas des grossesses difficiles dans des étables miséreuses, son esprit s’abreuva de chorégraphies éthérées, parfois drôles, parfois tristes, souvent à mi-chemin entre les deux. Lorsqu’un voyageur passait par le village, il s’informait systématiquement au sujet du mime, où il avait été vu, ce qu’il avait fait dernièrement. On lui répondait avec entrain et les nouvelles de son modèle le comblaient de joie. Puis il y eut un nouveau Patricien dans la grande ville. Celle où le Maître avait élu résidence depuis quelque temps. Ses questions sur le célèbre artiste irritèrent soudain les gens de passage. Ils évitaient le sujet ou bredouillaient quelques interjections jusqu’au jour où un marchand ambulant lui révéla la vérité: l’interdiction de la pantomime dans la lointaine cité. Ce fut un choc. Rapidement les pouvoirs de Vétérini s’étendirent bien au-delà des murs d’Ankh-Morpork, entraînant la diminution des mimes dans leur sillage. Jusqu’à leur complète disparition.
L’assistant vétérinaire laissa échapper ses rêves sans bruit, mais jamais il ne cessa de s’exercer seul dans sa chambre, mettant en pratique ce que son imagination fertile inventait pour l’art. L’homme qui marche contre le vent. L’homme qui attend la diligence sous la pluie. L’homme qui chasse. Qui nage. Qui rit. Qui pleure. Qui meurt. Son miroir resta son seul et unique spectateur durant ses longues heures de création.
Alors quand son père lui proposa d’aller à la grande ville pour être formé par un de ses vieux amis au métier d’apothicaire, il vit là l’occasion inespérée de retrouver son idole de jeunesse. Il laissa donc Bertholin Soufflet à ses agneaux, veaux et chevreaux et partit rejoindre la capitale. Où il retrouvait à présent sa petite chambre mansardée, idéalement située au-dessus de son lieu d’activité.
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La suite lundi prochain (si tout va bien)