On continue notre bonhomme de chemin avec ce nouveau chapitre de "       !", petite histoire personnelle du Disque-monde

"             !"

Une nouvelle du Disque-monde

Le lendemain, Théodule se rendit place Sator, un lieu réputé pour ses écrivains publics. Malgré ses connaissances en lecture et écriture, il était loin de posséder le niveau pour adresser un courrier à une demoiselle de la stature de Jadelia Jude-Raizin. Il lui fallait donc l’aide de l’un de ses braves travailleurs, prêt à écrire une missive pour n’importe qui et au sujet de n’importe quoi pour peu que vous y mettiez le prix. Bien entendu tous ne se valaient pas, les plus économiques étant à peine capables d’écrire une phrase convenable, ce qui s’avérait déjà bien plus que la plupart de leurs clients soit dit en passant. Mais sur ce coup-là le jeune Soufflet allait faire les choses avec les manières.
Il se fit indiquer par un scribe du Jolhimôme (de toute évidence fraîchement débarqué en ville) un homme tout à fait capable de répondre à ses besoins. La conversation par signe possède l’énorme avantage de dépasser les frontières de la langue, ce qui lui avait permis de se faire aisément comprendre par le garçon à la tunique ocre qui certes semblait maîtriser l’art de l‘écriture mais pas forcément celle qui avait cours dans le coin. Théo était pleinement satisfait de ce parfait échange non verbal avec un inconnu. C’était la preuve que d’avoir côtoyé ces derniers mois des gens plus expérimenté usitant quotidiennement de cette forme de communication lui avait énormément apporté.

En arrivant dans le discret renfoncement qui lui avait été renseigné, il s’immobilisa sous le coup de la surprise. Devant lui un homme assis en tailleur à même le sol terminait une lettre pour une femme âgée, qui patientait sagement debout en le rivant du regard de toute sa hauteur, comme hypnotisée par un tour de passe-passe auquel elle ne comprenait pas le mystère. Il faut dire que l’individu maniait son trait avec une dextérité digne des plus grands artistes peintres. Sans la moindre hésitation, l’encre était disposée sur un document administratif destiné au service bancaire tout récent de la cité. Il devait s’agir de la demande d’ouverture d’un de ces étranges comptes en banque, une drôle de lubie qui semblait être à la mode en ce moment. Le calligraphe s’enquit d’un autre papier, bien plus noirci celui-là et y griffonna rapidement quelques notes qu’il désigna à la vieille dame pour l’interroger sur un point de son courrier. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il releva enfin la tête et que son regard croisa celui de Théodule. Oui c’était bien lui, pas de doute. Monsieur Long en personne qui sous couvert de son voeu de silence s’était réfugié dans l’écriture pour converser avec ses semblables.
Avec son don naturel pour la pantomime accompagné des annotations, la femme sut très vite ce qu’il demandait et lui précisa les quelques détails nécessaires pour terminer le billet. Ce qu’il fit sans tarder. En guise de paiement, il reçut deux galettes de blé et quelques choux de première fraîcheur qu’il rangea promptement dans un grand cabas disposé derrière lui, bien à l’abri entre sa personne et la muraille de l’Université de l’Invisible qui se tenait là.

Théo hésita à s’avancer, mais Monsieur Long lui indiqua avec une mine sincère de s’asseoir face à lui, de l’autre côté de la cagette faisant office de bureau. Intimidé, l’apothicaire en devenir sorti les quelques idées brouillonnes qu’il avait su coucher sur le papier pour indiquer sa demande et tendit le tout à celui qui était présentement non pas le chef de séance d’une réunion clandestine hebdomadaire mais un écrivain public à bonne réputation.
Ce dernier était particulièrement en joie car évidemment il connaissait le contenu de ces scribouillages maladroit, que Frère Sourire avait craintivement expliqué la nuit dernière au groupe. Il ne s’attendait cependant pas à voir débarquer le jeune homme au hasard de son activité quelques heures plus tard. Mais finalement ce n’était pas plus mal. Il pouvait avoir grâce à cela la mainmise sur cet aspect de sa grande opération. Décidément cette affaire s’annonçait sous les meilleurs auspices ! Il se saisit hardiment d’une feuille vierge ainsi que de sa plus belle plume puis songea quelques instants à quelle était la meilleure introduction possible pour que ce frêle Théodule Soufflet puisse parvenir à se faire inviter à ce banquet par cette fameuse Jadelia.
Sa joie ne fit que grandir davantage, ce serait facile.

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La suite lundi prochain (si tout va bien)