Oswald Chesterfield Cobblepot est le moins que l'on puisse dire une personnalité excentrique. Habillé à la mode désuète des dandys d'antan, son attitude maniérée et sa bonhommie joyeuse en fond un interlocuteur captivant. Passionné d'ornithologie et ayant fait ses études en Angleterre avant de revenir à la demeure familiale - de noble ascendance mais ayant perdu fortune - il est insatiable sur 'sa' ville. Il voit grand pour elle. Il voit loin. Il voit l'avenir lui sourire. A condition qu'elle vote pour lui aux prochaines municipales.

"Gotham est un formidable réservoir de talents et de main d’œuvres qualifiées. Voir tous ces pauvres gens abandonnés sur le bas-côté de la mondialisation me révolte profondément. Je sais ce que cela fait de voir toutes les portes se refermer soudainement devant soi. Il faut impérativement lancer un programme innovant pour l'industrie de notre ville, refaire partir les usines au lieu de les laisser moisir ! À partir de là tout en découlera pour le mieux... Une entreprise qui ouvre dans le quartier c'est tout un écosystème social qui se met en place. Et pour que la boîte tienne dans le temps, elle doit viser haut. Finie l'époque où sa clientèle se résumait aux gens de la région et au bouche-à-oreille. Aujourd'hui on vend au Monde Entier !! Il faut accompagner les patrons et leurs employés dans l'ère moderne, leur offrir de quoi s'équiper en informatique descente, former à l'internet les petites mains, leur ouvrir le champ des possibles... C'est sur cet aspect-là que j'axe principalement ma campagne, sur le retour de notre industrie, moderne et connectée. Dégoter les marchés porteurs et vendre nos produits réalisés par les gothamiens, les meilleurs citoyens de l'univers !"

Discours plein de promesses mais qui semble se heurter aux dures lois de la réalité. Gotham City souffre de sa mauvaise réputation et à du mal à exporter ses produits. Sa seule force c'est une fois de plus son port gigantesque, une mécanique parfaitement huilée que rien ne semble jamais arrêter. Il poursuit de sa voix rocailleuse:

"Il faut faire du port de Gotham le point de passage obligé de tous les cargos qui navigue dans les eaux alentour. Et faire de cet atout notre pièce maîtresse dans la reconstruction entrepreneuriale de la ville. Construire dans nos usines, acheminés sur notre port, exporter dans le monde entier. Elle est là la clé de l'avenir de Gotham ! Imaginez le nombre d'emplois créés rien que pour transporter depuis nos entreprises aux docks... Cela se compte en centaines, en milliers. Tout autant de gens qui ne stagneront plus ni dans leur vie ni sur le trottoir... ou sur le comptoir de leur bar favori !"

Monsieur Cobblepot, sous ces airs un peu farfelus semble être un homme d'affaires doublé d’un visionnaire certes un peu optimiste mais parfaitement censé. Le marché international semble être son rayon et il possède apparemment une certaine expérience dans le domaine. Nous laissons là notre charmant 'futur maire' pour continuer sur notre belle lancée.

Encore dans la cour de la mairie, je remarque Clark dévisageant les affiches de Lex Luthor, présente en grand nombre dans les rues de Gotham. Le milliardaire chauve est lui aussi actuellement en pleine campagne, mais de popularité. En pleine promotion de son projet immobilier visant à moderniser tout le cœur de ville, il multiplie les apparitions et les dons aux bonnes œuvres pour s'assurer du soutien médiatique et public. C'est là que je connecte mes deux neurones et réalise qu'il est également de Metropolis. "Vous le connaissez ?" que je demande au reporter. "C'est mon meilleur ami" qu'il me répond!

"Lex est un grand homme, qui fera des choses importantes dans sa vie pour améliorer le sort de l'humanité. Mais il est également impulsif et cultive une jalousie, pour ne pas dire une aigreur vis-à-vis de Superman, qu'il considère comme un rival alors qu'il pourrait constituer le plus efficace des tandems... et faire en sorte que la Terre se porte mieux !"

Lorsque j'évoque avec lui les rumeurs qui prêtent à Luthor des ambitions présidentielles, il sourit et prétend ne pas y croire une seconde. "Les États-Unis sont un terrain de jeu bien trop petit pour son incommensurable égo !" Voilà qui est dit!

Nous retrouvons le bitume et gagnons rapidement la Cathédrale de Gotham, merveille gothique perdue au milieu de tout cet environnement  art déco. On se souvient que ce fut ici le lieu du premier véritable affrontement entre le Justicier de la Nuit et son Némésis au perpétuel sourire. La première fois également que la 'légende urbaine' prenait corps et sortait de l'ombre. De ce moment-là, le monde entier bascula dans une nouvelle ère, celle des super-héros... et des super-vilains !

"À l'époque, raconte Clark, personne n'employait même les termes de 'Super quoi que ce soit'. Mais dès le lendemain de cette confrontation entre Batman et le Joker, tous les journaux ont titré sur le thème du 'héros' face au 'vilain', avec la victoire de celui qui gagna son statut de 'Chevalier Noir'. Il y avait de fait déjà à travers le monde de tels héros mais ce fut à cette occasion que pour la première fois ils firent littéralement la une des journaux. On peut donc dire effectivement que c'est de cette nuit-là que naquit le phénomène du 'Super-héros'. Qui depuis n'a cessé de croître. Il ne serait pas surprenant qu'un jour les histoires héroïques de tels personnages hors du commun deviennent un phénomène de mode, amenant avec elle tout un tas de merchandisings, voir pourquoi pas des succès au cinéma... Il y a un côté primaire et universel dans toutes ces histoires, le gentil contre le méchant, le bien contre le mal, les échecs, les réussites et finalement une certaine forme de récit commun, une certaine forme de mythe moderne. On est sans doute pas sur du Platon ou autre grand philosophe mais plus sur du partage collectif de valeurs simples. Et profondes malgré tout."

Tandis que Mr Kent me fait son récit, nous grimpons sur l'un de ces célèbres escaliers de secours typique que l'on voit dans les séries américaines, afin de gagner les toits de la ville. "On a toujours un meilleur point de vue d'en haut" me confie-t-il.

Il poursuit. "Cependant il y a un paradoxe avec cette soudaine 'naissance' du super-héros. C'est qu'elle est arrivée par un type qui en fait n'en est pas réellement un. Entendons-nous bien, Batman est un mec incroyable, plein de ressources et avec toujours un tour dans son sac, sans doute même un peu trop. Mais on sait aussi désormais qu'il n'est "qu'un homme" ordinaire ayant décidé de pousser à fond tous les leviers de ses capacités. On est assez loin du Speedster, du cyborg ou encore de l'Amazone. Sans parler de l'extra-terrestre en culotte rouge... Aujourd'hui on recense entre 2000 et 2500 métahumains sur la totalité du globe. Et ce chiffre est en constante augmentation, de manière exponentielle. Et cela commence à faire peur. Certains gouvernements en viennent même à refuser toute présence de tels individus sur leurs territoires, n'hésitant pas à mettre en place des programmes pour déceler les 'spéciaux' parmi ses populations et à expulser manu militari les pauvres malheureux. On ne choisit pas de devenir métahumains et les traiter de la sorte ne fait qu'augmenter la rancœur sur leur 'communauté' . Je n'aime pas ce mot qui en fait ne désigne rien de concret, il n'y a pas de communauté Méta-humaine. Cela serait désastreux pour tout le monde. Les gens possédant des pouvoirs vivent comme tout à chacun, au milieu de tout le monde. Untel est boulanger, tel autre facteur... encore un autre pourquoi pas journaliste, ou photographe... Les réduire à ce simple statut 'uniforme' est à mon sens très dangereux et ne fait qu'extrémiser les pensées, les réduisant à un simple 'Pour' ou 'Contre', excluant de fait toute nuance, tout parcours personnel.
J'en veux pour preuve ultime le simple fait qu'il y ait de tout chez les 'Super Gens' : des gens brillants, des gens stupides, des polis, des grossiers, des gens œuvrant pour le bien de leur ville et d'autres pour leur profit personnel. Et d'autres encore pour en revenir à notre point de départ, complètement fou et gouverné par le Chaos, comme ce cinglé de Joker. Ils ne sont au final qu'un énième reflet de notre société."

 

Notre parcours sur les toits nous entraîne sur la côte de l'île, qui laisse deviner aux loin les silhouettes des gratte-ciels de Metropolis. L'occasion idéale pour questionner le discret reporter sur les différences entre les deux cités jumelles.

"Parler de sœurs est assez bien vu. Les deux villes ont été fondées à peu près à la même période et très vite une sorte de rivalité bonne enfant s'est installée. Puis elles ont grandi et emprunté des voies opposées. Pour donner une image simple je dirai que l'une à choisi la tête et l'autre les muscles. Metropolis s'est lancé dans la science, à fondé des laboratoires, de grandes universités, produits des cerveaux. À l'inverse Gotham a privilégié le travail manuel, l'usinage et le travail du fer. L'histoire ne fait pas dans la pitié et donna raison à Metropolis, là où Gotham s'est effondré à la fin de l'ère industrielle pour ne jamais s'en relever."

Désormais l'une brille de mille feux – surnommé 'La Ville Étoilée' - et l'autre à sombré bien bas - elle a aussi un surnom, Gotham la Fange.

Les habitants ne sont pas des plus amicaux ou enclin à l'échange dans la Dark City. Il n'y a en fait que deux sortes de Gothamiens. Les voyous à la petite semaine qui vous agressent et les simples citoyens qui vous ignorent et marchent à grands pas pour rester le moins possible à l'extérieur. Par leurs tenues et leurs attitudes on peut facilement identifier à quelle bande appartient tel ou tel gang. Les clowns pour le Joker évidemment, les hommes-plantes pour Poison Ivy etc... Chaque nuit ils imposent leur loi dans les rues et s'affrontent dans des guerres de territoires si obscures que je ne suis même pas sûr qu'eux-mêmes y comprennent quoi que ce soit...

En fait il y a une troisième population, invisible. Les nantis. Ceux qui n'ont pas besoin de fouler du pied les trottoirs crasseux en bas de leur Tour d'Ivoire. Enfin quand je dis invisible je fais une grave erreur car ils sont en fait parfaitement visibles, mais uniquement par l'intermédiaire des écrans de TV ou autres téléphones portables (NdR: en 2012, la téléphonie mobile n'en était pas encore tout à fait à ce qu'elle en est rendue aujourd'hui...). Présentateurs vedettes, journalistes sexy, grands patrons, héros de série populaire... tous ces gens qui ont la parole et donne des leçons mais que personne ne croise jamais 'en vrai'. Qui de mieux pour illustrer cela que Bruce Wayne, l'enfant chéri de Gotham. Histoire tragique - orphelin très jeune, parents assassinés par un braqueur dans une ruelle - belle gueule, riche héritier... le célibataire le plus en vue de la mégalopole est omniprésent sur les murs de la ville, en plus de sa tour de Babylone. Mais quand il s'agit de savoir qui l'a réellement rencontré en chair et en os, il n'y a personne pour vous dire 'Moi je lui ai serré la main' ou 'J'ai fait un selfie avec lui'...On lui prête une vie de débauche et de nombreuses conquêtes. Il s'endormirait souvent lors des conseils d'administration pourtant cruciaux pour bien des employés et mènerait une vie nocturne des plus agitées. En clair on ne peut pas dire que ce soit quelqu'un de proche du peuple. Et pourtant il jouit d'une bonne image et d'un taux de confiance de la part des habitants de Gotham assez hallucinante pour un tel personnage.

"Bruce est un homme qui peut sembler frivole et peu concerné, mais je peux vous assurer que ce n'est qu'une façade. Il se soucie vraiment du sort de ses concitoyens."
Étonné par cet aparté de Clark, je l'interroge: l'a-t-il déjà rencontré ?
"C'est mon autre meilleur ami...". me dit-il du tac au tac. Je suis abasourdi ! Pour un simple reporter du Daily Planet, monsieur a de sacrées relations!

Dressé sur une île à part et aperçu lors de notre petite escapade, l'observatoire de Gotham. Mondialement connu pour avoir le premier localisé ce qui reste de Krypton, la planète natale de Superman. Et toujours cette architecture dantesque avec des géants. La Longue-vue n'est en fait que décorative, le vrai télescope se trouve bien sûr sous la coupole (d'ailleurs comment font-ils pour observer l'espace dont la vue est bouchée par le monstre de métal ?). Bien que la ville soit entièrement accessible de manière assez simple, il y a des endroits - comme l’observatoire - qui requièrent une certaine expertise pour les atteindre. Un trajet en bateau vous amènera dans ce cas-là à destination mais d'autres fois il vous faudra cogiter un chouïa pour parvenir à vos fins. N'hésitez pas vous servir de toutes vos capacités et de votre grande panoplie de personnalité pour découvrir tout Gotham City !