de Bokurano

Le visage endormi de la jeune femme m'enfonce dans ses rêves,
l'atmosphère brumeuse et la musique lancinante laisse supposer la
profondeur et les tourments dans lesquels cette Belle-au-bois-Dormant
est prisonnière. Je n'incarne pourtant pas un monstre, j'incarne une
héroïne, une héroïne de guerre. C'est ainsi que je plonge dans le
cauchemar de Velvet Assassin.

Curieux, je me demandais comment est-ce qu'un studio allemand
allait traiter l'histoire de Violette Summer, espionne anglaise durant
la seconde guerre mondiale. Je le souhaitais loin de tous ces rêves
d'héroïsmes, de toutes ces tueries maquillées auxquelles on voulait me
faire participer. Je ne voulais pas un rêve, mais un cauchemar... et je
l'ai eu.

Dans une atmosphère de fin du monde, un ciel orangé qui laisse
présager à tout moment la venue des ténèbres prochains, j'alterne entre
paysages surréalistes et bunkers glauques et angoissants.
Je m'enfonce au plus profond des lignes ennemies, je tue en
silence mais mon meurtre n'est jamais propre. Il y a tant de façons
d'abattre un homme que je suis sans cesse horrifiée par mon sang-froid,
tuant par coups secs où parfois mutilant le corps ennemi dans un recoin
sombre, ma main est comme possédée et je ne lâche pas le couteau. Ces
souvenirs me sont désagréables et mon mal est limpide puisqu'on
m'injecte une dose de morphine lorsque je patauge dans un délire
horrifique. Et là tout devient un laps de temps... plus simple.

                 

L'ennemi n'en est pas toujours un, parfois j'aimerais ne pas avoir à assassiner tel ou tel soldat, l'un boit pour oublier ses tâches
ingrates, l'autre se demande pourquoi il participe à cette folie
collective, d'autres tentent de suivre les ordres sans trop s'impliquer
tandis que certains succombent peu à peu à la folie environnante. Dans
cette abîme où les hommes tâtonnent pour donner un sens à leur
condition, j'entends de tout, une discussion sur l'art, l'un préfère les licornes et leurs rêves tandis que l'autre est fasciné par la noirceur
impénétrable d'un tableau. Pire que la haine, le mal est banalisé et un
soldat au rire gras apprend comment faire brûler efficacement les corps. J'alterne entre mépris, dégout et pitié mais au moins ils m'inspirent
encore des sentiments humains, et ce n'est pas le cas de tous. Tenant
plus de la créature que de l'homme, les soldats au lance-flamme ne
laissent passer aucune émotion sous leur masque. La mort frappe aux
fenêtres, avec la froideur de la distance, le sniper fauche
mécaniquement tout ce qui semble humain.

Et moi, serai-je une exception dans cette folie ambiante ? Je la
combat mais nul besoin de regarder l'abîme pour comprendre que je suis
déjà dans le gouffre béant, et que je m'y complais comme un abris qui me conforte et m'horrifie.
J'alterne les missions comme l'assassinat d'un SS qui tient du
boucher, j'allège de leur vie d'autres espions moins chanceux pour que
leur langue ne se délie pas sous la torture et enfin je sabote avec brio une installation pour que les Alliés effectuent un bombardement : 30 000 civils tués succomberont à la mort venue du ciel. Mais il y a une chose qui me rassure dans cette descente surréaliste dans un monde qui tient
du purgatoire et de l'enfer à la fois : ce n'est qu'un cauchemar.
Violette va se réveiller et comme Alice, son fantasme disparaitra avec
son réveil.

A demi-mot, j'entendais des voix autour de moi, je suis dans le
coma et on décide de ce que l'on doit faire de moi. Les voix résonnent, à peine audibles, j'entends des bribes, je suis une espionne et ces
Français veulent combattre l'occupation mais me garder en vie et me
cacher reviendrait à signer leur arrêt de mort. Et pendant qu'ils
débattent de mon sort je revis l'horreur. 
  Ils sont morts, je me réveille et je reprend petit à petit mes
esprits, fuir est ma priorité mais peut-être aurais-je mieux fait d'être livrée. Les SS hargneux se vengent sur le village à proximité, et c'est dans un élan suicidaire de culpabilité que je m'enfonce dans le village brûlé et vidé de ses habitants.

Les cauchemars interminables que je
venais de vivre n'étaient rien comparé à ce que j'avais sous les yeux,
les ténèbres étaient encore plus oppressants et lourds, la seule lumière qui jaillissait était celle du feu dévoreur que les SS avaient allumé.
L'apothéose de la monstruosité humaine flambe sous mes yeux, une église
brûle et à l'intérieur femmes et enfants hurlent à l'aide, j'utilise
tout ce que j'ai pour mettre en fuite les créatures dantesques qui ont
imaginé ce crématoire de fortune. Je frappe alors la porte de toute mes
forces mais rien n'y fait, je ne peux sauver personne.

C'est la fin de cette fresque sinistre, l'enfer est loin derrière
mais laisse le goût amer de l'absurdité de la guerre, je n'ai jamais pu
me sentir héros tout au long de cette aventure éphémère. Seulement
l'horreur humaine dont personne ne peut échapper à la souillure,
véritable écho au massacre d'Asnières-sur-Seine, tuerie gratuite et
immonde pour un détaché de SS qui devait faire pression suite à la
recrudescence de sabotage. On dit que les jeux vidéo ont déjà utilisé le thème de la guerre mondiale sous toutes ses coutures, mais à mon sens
il n'en est encore rien et c'est dans les ténèbres que j'ai trouvé ma
muse qui s'efface des considérations héroïques, vestige de ce que
l'homme peut accomplir et continuera d'accomplir.

Et pendant ce temps sur Sociopads, on continue "d'accomplir" nos sombres articles !