Le rêve de centralisation des différents pôles régionaux de la branche PlayStation initié par Jim Ryan se transforme en véritable cauchemar pour la division japonaise. Ses employés désabusés témoignent sous couvert d’anonymat de leur dépit dans les colonnes du site Bloomberg.com.

Fraîchement installé dans le fauteuil de la plus rentable et non moins puissante division du groupe Sony, Jim Ryan, pure produit maison, n’avait qu’un projet en tête : consolider le retour au leadership en fédérant les subdivisions autour d’un seul centre de décision. Non sans casse visiblement. Celui-ci s’est livré à une véritable chasse aux sorcières, évinçant pêle-mêle les dirigeants opposés à cette nouvelle stratégie, plaçant ses pions à la tête d’état-major clefs. A tel point qu’un grand nombre d’observateurs ont parlé d’européanisation du nouveau centre gravité de PlayStation.

Le Japon, mauvais élève de la génération sortante (la PS3 s’est mieux vendue que la PS4 !), ne représente plus que 10% du chiffre d’affaires de PlayStation, contre 35% pour les Etats-Unis. Bien qu’elle s’en défende officiellement, « toute supposition selon laquelle nous détournons notre regard du Japon est sans fondement, réfute un porte-parole. Notre marché domestique reste de la plus haute importance ». Sous couvert d’anonymat, les langues se délient. L’équipe marketing japonaise se voit sanctionnée par son homologue américain de ne pas avoir atteint les objectifs de vente qui lui ont été assignés, glisse un haut responsable du siège californien du département PlayStation.

Conséquence immédiate, la branche nippone a été écartée de la planification promotionnelle de la PS5. Les employés sont contraints d’attendre les instructions… des Etats-Unis, un comble ! Sony Japan Studio a récemment été restructuré, après le départ de sa tête pensante Sushei Yoshida, grand fervent défenseur de la spécificité ludique et artistique des jeux nippons à l’international. Jim Ryan, chantre de la mondialisation culturelle, a eu sa tête, le reléguant à un poste de responsable de la section jeux indés. Une activité négligée durant l’ère PS4 et qui n’est pas prête de changer. Les équipes d’assistance aux développeurs basées dans l’archipel font également les frais de la recomposition de cette branche régionale. Des contrats de créatifs, de développeurs aguerris ne font tout simplement plus l’objet de renouvellement…

Et il y a bien pire encore. Les horaires deux principaux événements promotionnels en ligne de la PS5 au Japon ont été fixées à 5 heures du matin (heure locale), afin que les joueurs occidentaux puissent suivre eux aussi la présentation des jeux. Mais c’est surtout la standardisation de la signalétique de la manette PS5 qui est le symbole de cette marginalisation du marché nippon. Après plus d’un quart de siècle, les joueurs japonais valident désormais par le bouton croix et annule par le 0. Une hérésie dans ce pays où le cercle est perçu comme symbole positif, à l’inverse de la croix. Et les détaillants nippons de se plaindre des stocks de PS5 inférieurs à ceux de la PS3, pourtant grandement rationnés à l’époque…

Un état des choses qui n’a pas échappé aux analystes : « le consensus général est que PlayStation ne considère plus le marché japonais comme déterminant », glisse Kazunori Ito de Morningstar Research. Il faudra toute la force de persuasion de la branche nippone « pour faire entendre les attentes des joueurs locaux auprès du siège nord-américain » , avertit le célèbre consultant Serkan Toto. Mais compte tenu du déséquilibre des rapports de force, « il ne faudra pas s’attendre à grand-chose », souffle-t-il.

Tout auréolé du succès international écrasant de la PS4 qui pourtant ne lui appartient pas totalement, Jim Ryan se sent conforté dans ses choix stratégiques. Les perspectives de vente de la nouvelle console de Sony sont supérieures à celles du format sortant (7,5 millions d’exemplaires entre novembre et mars 2014). Cette tendance encourageante validerait ainsi sa politique d’accélération de la centralisation des centres de décision au sein d’une entité unique qu’il préside. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.