Voilà une petite histoire que j'ai écrit il n'y a pas si longtemps. Elle est courte et très inspirée de Stephen King. 

OGB

Vide


1.

Croire, croire en quelque
chose la rend réelle à nos yeux. Nous croyons car nous espérons, mais la
croyance peut aussi être d'une certitude implacable et c'est ce qui est le plus
beau chez l'enfant.

«Quand je serai grand,
je serai un super-héros !» cria l'enfant à sa mère alors qu'il sautillait
en se tenant à la barre du bus. Simon, qui était assis en face, sourit et le
flot de ses souvenirs revint en un coup. Juste à cause de la phrase prononcée
par l'enfant, telle une phrase magique qui permettait de le renvoyer dans le
passé.

Simon avait toujours
voulu être un super-héros; enfant, il était fan de comics. Il connaissait
chaque super-héros qui pouvait exister, qu'il soit fictif comme Superman ou
réel comme ceux qui sauvent des vies, les docteurs, les pompiers ou juste de
simples personnes lambdas capables de se dépasser pour aider leur prochain.
Mais son super-héros préféré était Batman. Il le préférait car ce dernier
n'avait pas de pouvoir, il n'était pas un extraterrestre comme Superman.
C'était un homme, qui n'avait pas non plus été transformé grâce à une araignée
radioactive. Simon avait souvent essayé d'être une sorte de Batman ; sans
y arriver. En effet, il n'avait pas assez d'argent pour confectionner des
gadgets extraordinaires et, comme tout enfant, il n'avait pas la patience
nécessaire pour devenir un pro de karaté ou de tout autre sport de combat que
pouvait pratiquer son héros de prédilection. Passé ses 20 ans, Simon alla à
l'université, il sortit avec la fille qu'il trouvait la plus jolie et se maria
finalement avec elle à 35 ans, sans qu'une quelconque pression parentale ait
été exercée. C'était comme ça que ça devait se passer, pas de sauts sur les
toits de la ville pour aller sauver des vies. Il avait rencontré sa femme de la
plus simple des façons : ils étaient inscrits au même cours et un jour,
lors d'un test, il vit qu'elle avait de la peine et la laissa copier sur sa
feuille. Ils se sourirent et se revirent lors d'une soirée organisée par un
ami, pour finalement passer ce temps à parler de ce qu'ils voudraient faire
plus tard. Ils avaient peur de leur futur et s'embrassèrent pour l'oublier,
pour se réconforter, pour se sentir et se fondre l'un dans l'autre. Simon était
très amoureux et lorsqu'ils firent l'amour pour la première fois, tout se passa
parfaitement bien. C'était comme ça que tout devait se passer; naissance,
amour, mort.

Maintenant, Simon était
dans ce bus qui allait le conduire à son travail. Il avait 40 ans et fut tiré de
ses souvenirs par un klaxon de voiture.

 

 

2.

Le bus ouvrit ses
portes. Simon se leva - c'était son arrêt - et descendit du bus. Son lieu de
travail était à côté de l'arrêt.

Il était écrivain et
pas super-héros. A 18 ans, quand l'impression de devenir adulte s'était glissée
sous sa porte sous la forme d'un impôt, Simon s'était rendu compte qu'être un
super-héros ne serait pas possible. Il allait devenir écrivain, après tout ce
n'était pas si différent. Le héros est là pour changer le monde dans lequel il
vit. L'artiste ou du moins l'écrivain était aussi là pour changer ce monde.
Simon ne savait pas raconter des histoires, comme le faisait si bien son agent et
ami Paul. Mais, il savait les écrire. Il avait tellement de choses dans sa tête
qu'il devait trouver un moyen quelconque pour les exprimer. Pour Salvador Dali
c'était la peinture, pour Freddie Mercury, le chant et pour Simon l'écriture.
Il n'était pas une super star reconnue de tous, en revanche il avait tout de
même une petite mais certaine renommée. Ses histoires parlaient souvent
d'événements de sa vie qui l'avaient marqués : Son premier amour (sa
femme), son accident de voiture ou encore le suicide de Paul. L'écriture était
son exutoire, comme pour beaucoup d'écrivains.

Après qu'il eut salué
Lucie, sa secrétaire, il alla dans son «vomissoire à idées». C'était comme ça
qu'il l'appelait, c'était là qu'il écrivait. D'ordinaire, il mettait sa musique
le plus fort possible et il n'avait plus qu'à mettre sur le papier le flot
d'idées qui cascadait dans sa tête. Mais ce jour-là, il ne savait pas quoi écrire.
Première fois ! Première page blanche ! Les idées ne venaient pas,
elles restaient endormies dans un coin de sa tête. Pendant que la page le
narguait de son blanc éclatant, il saisit la photo de sa femme sur son bureau.
D'habitude, la regarder l'aidait à écrire. Elle avait toujours été une sorte de
muse pour lui.

Quand il est entré à
l'université pour la première fois, il l'avait tout de suite remarquée. Une
fille pétillante, drôle et tellement belle. Bien sûre, il se doutait que ce
n'était que son enveloppe physique. Pour lui, on naissait enveloppé, mais
l'enveloppe que nous montrions aux autres cachait une lettre qu'il fallait lire
pour vraiment connaître la personne. Parfois, la lettre en question était
plutôt courte et assez simpliste, d'autres longues et horribles ou encore
longues et belles. Lorsque Simon lut celle de la fille qui allait devenir sa
femme, il découvrit une lettre encore plus magnifique que l'enveloppe qui la
contenait, même si ça pouvait paraître impossible. Il l'aimait pour ce qu'elle
montrait et ce qu'elle était. Avant de sortir ensemble, elle l'attirait à un
tel point qu'il avait envie de lui sauter dessus dès qu'il la voyait, pas juste
pour la pénétrer avec son sexe mais plutôt la pénétrer avec toute son âme.
Rapprocher son âme de la sienne, pour qu'elles ne forment qu'une éclatante et
infinie lumière de plaisir. Mais à chaque fois qu'il pensait tout lui avouer,
il entendait cette mauvaise voix qui disait : «Jamais elle ne voudra de
toi, tu es trop moche !». Cette voix qui venait d'un recoin de sa tête, le
même recoin où ses rancœurs et sa haine naissaient. Cette voix ne l'avait
jamais aidé, elle le rabaissait tout le temps ou lui faisait faire de mauvaises
choses. Simon l'appelait le «crissement», car elle produisait le même son que
des ongles sur un tableau noir. Elle était sa part sombre. Pour Simon, chacun
avait une part sombre et une part de lumière en soi. Nous sommes tous capables
du pire comme du meilleur.

Quand Simon revint à
l'instant présent, il n'avait toujours pas fait redémarrer sa cascade à idées
et le «crissement» prenant la forme de la page blanche devant lui, lui
criait : «Tu es bien dans la merde, tu vas perdre ton travail et te
suicider ! Se suicider...tiens mais ça me rappelle un ami à toi !». «Ta
gueule !» hurla Simon. Sa secrétaire vint lui demander si tout allait
bien, Simon acquiesça et lui sourit le plus hypocritement possible. Tout
n'allait pas bien et même si le «crissement» se trompait tout le temps, cette
fois-ci il avait raison. Simon était bien dans la merde.

 

3.

Paul, l'ami de Simon ;
s'était suicidé il y avait 3 ans. Il ne supportait plus sa vie, il voulait la
changer, et la seule manière qu'il avait trouvée de le faire était de se
supprimer avec une balle de 9 mm. . Il ne s'était pas manqué, la balle lui avait
perforé la tête comme une vulgaire pastèque. Les hommes ne se loupent pas quand
ils veulent en finir. Cette mort avait bien sûr brisé Simon : il ne
comprenait pas, comme beaucoup, la raison de ce suicide. Il s'en voulait
tellement qu'il se mit à boire et à fumer beaucoup. Il désirait se détruire, en
quelque sorte. Détruire ce corps qui l'enveloppait avant que ce soit sa
culpabilité qui le bouffe complètement de l'intérieur. Heureusement que sa
femme était là. Elle était la seule bouée qui l'empêchait de sombrer : il
était fils unique et avait perdu ses parents, très jeune. Nous perdons toujours
les gens que nous aimons beaucoup trop tôt. Durant ces lourds moments, le « crissement »
était toujours là. Mais, il n'y avait pas que ce dernier. Il y avait aussi une
petite voix qui l'encourageait. Elle ressemblait à la voix de ses parents, de
ses grands-parents, des gens qu'il avait perdus et qu'il aimait tant.

Finalement, il
ressortit des tréfonds où l'avait envoyé la perte de Paul et en fit un
livre ; pas pour l'argent, mais pour pouvoir mettre des mots sur son
malheur. Mais maintenant Simon était face à une page vierge, perdu, sans idées.
Il quitta son «vomissoire à idées» plus tôt que d'habitude, il ne pouvait plus
rester là à regarder le vide. Il rentra chez lui et vit sa femme qui lui
demanda tout de suite ce qui n'allait pas. Il répondit de nouveau hypocritement
que tout allait bien. Elle ne le crut pas. Elle savait qu'il y avait un
problème. Entre eux, ils avaient toujours eu une sorte de lien psychologique.
Ce qui avait bien entendu contribué à faire durer leur mariage. Elle lui dit
qu'elle devait partir en Australie pour un rôle (elle était actrice) mais
qu'elle allait refuser pour rester avec lui. Il la força à partir et elle céda.
Elle n'arrivait pas à lui dire non, même le soir où il l'avait embrassée pour
la première fois, elle n'avait pas su lui dire non. Ils firent l'amour avec le
peu d'énergie qui restait à Simon. Si écrire était fatigant, trouver quoi
écrire l'était encore plus.

Le lendemain, elle
partit pour l'Australie et il resta dans le lit toute la matinée. C'était
samedi et il ne voulait pas se lever. Le «crissement» revint dans sa tête et lui
dit : «Elle va te tromper !». Alors que la petite voix lui
disait : «Elle t'aime.».

Il ne fit rien de la
journée. Ce fut «une journée de glandu» comme  disait Paul. Mais pas dans le bon sens du
terme. Il chercha les idées mais n'en trouva pas. Le soir, il n'arriva pas à
dormir. Il ferma les yeux un moment et quand il les rouvrit, il vit une ombre
au pied de son lit. Il voulu allumer la lumière mais l'interrupteur ne fonctionnait
pas. Il regarda l'ombre, terrifié, sans pouvoir s'empêcher de lâcher un cri.
L'ombre avait des yeux, mais le plus étrange était que ces mêmes yeux avaient
des dents. A part cela, l'ombre n'avait pas vraiment de forme. Simon crut
reconnaître un instant, Iorffe, le monstre des histoires que lui racontait son
cousin quand il était petit. Le monstre était un humain à tête de pieuvre avec
des pattes d'araignée. Il vivait dans les égouts et capturait les petits
enfants s'ils tombaient dans la cuvette des toilettes. Même si cela avait l'air
ridicule, Simon avait cru aux histoires de son cousin comme il avait cru à la
petite souris ou au Père Noël, il n'avait que 7 ans et à l'instant présent, il
était revenu à cet âge-là. Rien qu'en regardant l'ombre devant lui. Elle ne
ressemblait pas seulement à Iorffe, elle était aussi le Père Fouettard, un
vampire, un clown tiré d'un livre de Stephen King qui avait terrifié Simon ou
encore le Joker. Enfin, Simon reconnu Paul. L'ombre lui dit un seul mot :
«Vide.», puis elle disparut. Simon se mit à pleurer et pensa : «Elle
a la voix du crissement.».

 

4.

Le dimanche, sa femme
appela pour demander s'il allait mieux. Il lui assura que oui, qu'il avait juste
attrapé un virus et que c'était ça qui l'avait rendu bizarre le vendredi. Elle
ne tomba pas dans le panneau et voulut revenir à la maison. Simon la supplia de
rester là où elle était. Quoi que soit l'ombre qu'il avait vue hier soir, il ne
fallait en aucun cas que sa femme y soit mêlée. Elle accepta enfin à contre
cœur. Simon passa sa journée à penser à l'ombre, aux formes qu'elle reflétait.
C'était toutes ses peurs et tout ce qui n'allait pas dans sa vie.  Il repensa au clown de Stephen King. Dans le
livre, ce clown était le mal à l'état pur. Mais il n'était qu'une enveloppe
cachant une lettre qui ne pouvait être lue sans devenir fou ou en mourir. A la
fin, le mal était battu par un groupe d'enfants devenus adultes, grâce à leur
croyance et leur union. Les personnages devaient réapprendre à être enfants, à
croire en des choses qui semblent ridicules aux adultes. Tout en restant unis.
Après tout, c'est bien comme ça que l'on vainc les vampires, nous croyons
totalement au fait qu'une croix chrétienne peut les détruire et ça marche. Tout
comme les balles en argent pour les loups-garous. Nous croyons, donc nous
réussissons. De toute évidence, si Simon voulait battre l'ombre, il allait
devoir croire qu'il était réellement un super-héros.

Il allait peut-être frôler
la mort ce soir-là, du moins si l'ombre était réelle. Mais comme il croyait en
son existence, elle existait. Il avait déjà failli mourir étant petit. Il avait
eu un accident de voiture et avait fait plusieurs tonneaux. Il ne fut
absolument pas blessé physiquement mais intérieurement il fut complètement
changé. Il comprit que la vie était courte pour tout le monde et qu'il pouvait
mourir à tout moment. C'est d'ailleurs après ça qu'il alla à la fameuse fête et
qu'il embrassa sa future femme pour la première fois, malgré le « crissement ».

Ce dimanche soir, avant
de s'endormir, Simon prit dans son lit une feuille blanche et son stylo
fétiche, celui qu'il avait toujours utilisé pour écrire les premières versions
de ses histoires.

 

5.

Il se fit réveiller par
l'ombre à 3 heures du matin. Elle semblait vide. Vide d'idées, vide de sens,
vide de vie. Simon la regarda droit dans ce qui pour lui était des yeux et il
se reconnut en elle. Le «crissement» qui émanait de l'ombre et non de sa tête
lui dit : «Tu ne peux pas me détruire : je suis ce que tu es et je
suis aussi vide que toi ! ». Une vague pensée de suicide vint en tête
à Simon, mais il la rejeta aussitôt. Il prit son stylo et commença à écrire sur
sa feuille. En écrivant, il pensa à ses parents. A son père, le jour où il lui
avait dit pour la première fois : «Tu sais que tu as du talent.». A sa
mère, quand elle le réveillait pour l'embrasser avant de partir au travail. A Paul
et aux soirées passées avec lui à plaisanter sur tout et à dire n'importe quoi.
Ces gens qu'il aimait tant mais qui n'étaient plus là physiquement. Il pensa à
sa femme et à tout ce qui le poussait à vivre et à se rendre compte que le
monde n'est pas si mal que ça. Enfin, Simon réunit la voix de sa pensée à la
petite voix et lâcha son stylo. L'ombre avait disparu et on pouvait lire sur la
feuille : «Simon réunit la voix de sa pensée à la petite voix et
lâcha son stylo. L'ombre avait disparu.». Comme son idée avait marché, il en
profita pour ajouter : «Simon regagna son inspiration.».

La semaine suivante, sa
femme revint. Il lui expliqua que tout allait mieux et il l'embrassa comme il
l'avait embrassé la première fois. Le soir, juste après avoir fait l'amour,
Simon entendit un bruit. Il se leva et se rendit compte que c'était dans sa
tête. Le «crissement» était encore là et disait : «C'est à la vie à la
mort mon pote !». Simon sourit et se recoucha. Le «crissement» resterait
dans sa tête toute sa vie, c'était comme ça, il suffisait juste de ne pas céder
à ce qu'il disait. Simon avait retrouvé son inspiration, était-ce parce qu'il
croyait à ce qu'il avait écrit sur sa feuille ou de la magie ? Il ne le
saurait jamais. Avant de s'endormir, il eut juste le temps d'entendre ses
parents disant : «Ne t'inquiète pas, tout ira bien chaton.». Ils l'avaient
toujours appelé comme ça.

Fin