Rares sont les séries à survivre au passage du temps – pas dans les mémoires, là-dessus, il suffit de constater, dans la plupart des communautés de fans, le nombre d’appels à ressortir un nouveau Breath of Fire / Suikoden / Wild Arms / [insérer ici la franchise de votre choix].

Non, précisons notre pensée.

Rares sont les séries, issues de l’ancien millénaire, à jouir d’une vie active et épanouie au jour d’aujourd’hui – à mettre, encore, le nez dehors, plutôt que de rester vautrées sur un canapé à ressasser leur glorieux passé.

La plupart d’entre elles ont d’ailleurs connu, ou participé au boom du JRPG fin des années 80, à l’instar de Dragon Quest ou Final Fantasy, pour en citer les deux grands exemples, dont l’histoire continue de s’écrire à ce jour, en 2020 – petite précision pour le lecteur candide de 2050 : il s’agissait-là de deux monuments du genre, avant que Square Enix ne soit racheté par Disney pour se focaliser, exclusivement, sur le développement des jeux Kingdom Hearts.

En outre, merci de me lire en 2050.

Mais revenons au crépuscule des années 80, si vous le voulez bien, et à l’aube du JRPG, d’où naquit un certain Ys I: Ancient Ys Vanished, de chez Falcom, société alors spécialisée dans le développement de jeux sur des modèles d’ordinateurs aussi réputés que le Sharp X1, le FM-7, ou encore les MSX 1, 2, Turbo, qui plus tard donneraient, j'en suis sûr, des idées à Capcom pour ses moult versions de Street Fighter.

C’est sur PC-8801, successeur du PC-8800 et ancêtre du PC-8802 (j’en sais foutrement rien), que l’action-RPG d’inspiration bretonne fait donc ses premiers pas, et tout le monde s’en fout, j’imagine, parce que tout le monde n’a alors d’yeux que pour la Famicom, qui à côté cartonne.

Certes, ne faisant point partie des puristes de la première heure, je serais bien en peine de vous en détailler les origines, sans risquer, pour cela, de me fourvoyer gravement. Aussi, j’invite le lecteur avide d’en apprendre davantage à consulter le très bon article du Square-Handed Joueur, quant à cette question qu’il maîtrise mieux que moi.

Pour ma part, c’est avec le remake du troisième opus, Ys: The Oath in Felghana, que j’ai pris le bateau en marche, si j’ose dire – car c’est là un grand classique, semble-t-il, que de voir le héros, Adol Christin, amorcer une nouvelle aventure en sortant d’un navire, d’une barque, voire, et ça se produit au moins deux fois, en échouant sur le rivage comme une loque à la manière d’un Link’s Awakening...

Mais le premier constat, en fait non, le deuxième constat, après la cinématique d’intro, d’où l’on pouvait déjà goûter aux compositions follement endiablées du Falcom JDK Soundband, c’est que le gameplay est d’une nervosité palpable – oh là, mollo caillera !, m’exclamais-je alors, durant mon premier combat d’avec une meute de loups.

Et en revérifiant sur Youtube si c’étaient bien des loups (détail très important, je veux dire, on n’est pas là à parler de vulgaires monstres, soyons vrais, soyons concrets), je me rends compte que l’intro se trouve après ce combat, donc… en fait, c’était bel et bel le premier constat.

Des combats qui pulsent, une bande-son jubilatoire… La recette parait simpliste, minimaliste, comme une bonne tartine de Nutella (prenez du pain, tartinez, dégustez), mais sans huile de palme et sans graisses saturées. Du gras, il y en a, juste assez pour donner du goût et bien assez pour éviter le dégoût. C’est bourrin, mais technique ; intuitif, mais réfléchi. La difficulté requiert de la prudence, les combats de boss un certain sens du timing et de l’observation, ce qui, selon l’humeur ou le joueur, peut être rageant, gratifiant, ou tout à la fois, car il n’est de plaisir acquis au centuple que de voir, enfin, tomber un ennemi qui par cent fois nous aura eu.

Comme un Dark Souls – mais qui ne serait pas pour les tapettes.

L’ennui, avec ces recettes qui marchent, c’est qu’à force de s’en contenter, elles pourraient bien finir par lasser. D’où la nécessité de se réinventer, de se réorienter, quitte à bousculer le joueur dans ses habitudes, lequel entend bien qu’on le surprenne, sans qu’on se méprenne. L’équilibre à trouver prend alors des allures de Saint-Graal, et nombre de franchises à s’être lancées dans cette quête n’en sont jamais revenues.

Par exemple ? Suikoden III, et l’idée saugrenue qu’en ne contrôlant que la moitié de nos unités, on ne puisse jamais s’énerver, ou pire encore, Suikoden IV, qui aura tant fait jaser que le cinquième opus, comme un aveu d’échec, aura dû revenir à ses fondamentaux pour retrouver des critiques positives. Citons aussi Front Mission, bonne petite série de RPG tactiques, qui se sera laissée envoûter par les sirènes du jeu d’action insipide, ou encore Breath of Fire V qui, à l’image de son chiffre décolleté, tient sa réputation de jeu clivant. La suite, on la connait. Ou pas.

À côté de ça, des formules éprouvées comme celle d’un Dragon Quest ou d’un Pokémon continuent de cartonner, sans vraiment donner l’impression de forcer. L’audace a bien des mérites, certes, mais pas celle de garantir la fortune. Hélas…

Tout ça, c’est bien beau, me diriez-vous, mais c’est quand qu’on parle du jeu ?

Ys SEVEN, donc.

2010 sur PSP tout d’abord, puis 2017 sur PC.

C’est à cette ressortie que j’ai joué, non sans perplexité. Déjà, parce que mon PC est tout juste bon à faire tourner... en bourrique ; ensuite, parce qu’on sort du moteur graphique qui aura servi de support à Felghana, Napishtim (Ys VI) et Origins, et auquel je m’étais fait. En outre, impossible de m'ôter à l'esprit cette impression mitigée que m’inspire la nouvelle direction artistique, et le trait épuré de son character-design.

Perplexité qu’est vite venue renforcer la première heure de "jeu", que j’ai trouvée d’une lenteur presque rédhibitoire pour un Ys. Je veux dire, moi, quand je m’imagine en train de jouer à un Ys, je ne me vois pas dérouler une grosse demi-heure à parler à des PNJ pour apprendre à jouer, je veux me lancer dans l’action dans les cinq minutes qui suivent le démarrage d’une nouvelle partie, bim, paf, pouf, etc.

Pour autant, quand vient, enfin !, le moment de sortir d’entre les murailles suffocantes de la ville, les réflexes reviennent eeeeeet…

C’est génial.

Le changement de moteur n’a pas altéré la nervosité du gameplay ; ça fuse dans tous les sens, ça répond du tac-au-tac, bref, c’est fun, pas prise de tête, et les musiques envoient comme il faut. Cette fois ça y est, j’en suis sûr, je joue bien à Ys.

Mais il ne s’agit pas d’un Ys comme les autres : c’est un épisode-pivot, qui opère des changements radicaux.

Et pas besoin d’aller très loin pour s’en rendre compte, car le premier changement notable se trouve juste à côté de nous, et il s’appelle Dogi.

Dogi, c’est le bro d’Adol, qui venait déjà le tirer d’un mauvais pas dans sa toute première aventure. De son surnom le Casse-Murailles, pour ses aptitudes au jeu d’échec, peut-être, le voila qui s’invite à la castagne, comme d’autres le feront plus tard, histoire de nous prêter poing-fort, entérinant de ce fait le virage opéré : fini le guerrier solitaire, terminé le héros seul qui règle tous les maux, exit David contre Goliath, adios Adol contre tous ; allez hop, place aux copains !

Ah, oui, les copains…

Ces fameux "copains" gérés par l’IA.

Ceux qui ne font jamais rien de bien, qui meurent sans arrêt, qui dépensent sans compter, ou qui restent bloqués dans une boucle infinie de leur propre bêtise ?...

Aussi déconcertant que ça puisse l’être, figurez-vous que non.

Ces copains-là sont bizarres, comme si on les avait affublés d’un bon sens. On en viendrait presque à penser que les gens qui ont codé leur cervelle avaient pour idée, quelle idée !, de ne pas en faire des fardeaux pour le joueur.

Non seulement ils n’entament en rien votre jauge de SP, même quand ils lancent leur attaques spéciales (qu’ils semblent coordonner avec les vôtres), mais en plus, ils ne se font quasiment jamais toucher, se gardant bien, à cet égard, d’imiter votre piètre exemple.

Mais qui sont ces gens, et pour qui se prennent-ils !?

Qu’on les envoie au bûcher, vite, avant qu’ils ne signent l’arrêt de mort de notre espèce !

Bon, certes, j’exagère un brin, on pourra toujours trouver matière à râler, mais sur combien d’écueils s’eussent ont éperonnés en ayant mis le cap sur ces fonds à risques ? Il s’agit, à mon sens, d’un tour de force, et d’une preuve que les navigateurs, chez Falcom, ont su garder la tête froide au moment d’éviter le naufrage.

En outre, ça ne s’arrête pas là. Disposer d’une équipe de trois personnages, c’est une chose, mais à quoi bon, si c’est pour n’en jouer qu’un pendant 95% de l’aventure ?

Qu’à cela ne tienne, nous rétorque-t-on, faisons en sorte que le joueur soit amené à passer régulièrement de l’un à l’autre. Perçantes, tranchantes, impactantes ; divisons ainsi leurs armes et arrangeons-nous pour que certains ennemis y soient tantôt vulnérables, tantôt insensibles. C’est chiant d’avoir tout le temps besoin de changer de perso ? Alors restons modérés, et fluidifions la transition pour qu’elle se fasse d’une simple pression de bouton – les gâchettes, tiens, ça, c’est instinctif, surtout pour les américains, LOL, enfin, non, je veux dire, des gens meurent, c’est terrible, ne riez pas.

Et ça marche.

Malgré ce virage abrupt, ce choix de design burné, on sent que chaque élément a été soupesé avec soin pour ne rien altérer du dynamisme essentiel et fondateur de la série. S’en dégage une sensation de fraicheur, un mélange de neuf et d’ancien qui fait mouche ; la formule se complexifie, certes, mais elle conserve assez de simplicité pour procurer de bonnes sensations au joueur, qu’il soit néophyte ou plus aguerri.

Que demander de plus ?

Des musiques qui envoient le pâté ? Check. Un scénario à rebondissements ? Check. Une durée de vie honnête ? Ch– bon, ça dépend, perso, je me fiche pas mal d’un tel critère, même si je comprends qu’on puisse en vouloir pour son argent. La plupart des jeux Ys précédents avoisinaient les dix heures, celui-ci en propose au moins le double, ce qui reste court pour un RPG, pas tant que ça pour un Action-RPG ; mais ça, c’est du quantitatif, ce qui me parait plus important, ce sont les notions de rythme et de contenu. Pour le rythme, ça passe, le scénario se découpant en deux cycles : le second consistant à revisiter les donjons du premier, pour en trouver de nouveaux. Un schéma classique, peut-être un peu convenu, mais qui évite au moins l’écueil de la revisite pure et dure (et qui trahit souvent une volonté de rallonger, plus que de raison, cette fameuse durée de vie, ce qui est, quand même, malgré tout, peut-être un peu le cas ici).

Et puis le contenu, hors fil narratif, même s’il ne va pas bien loin, propose un petit système d’artisanat, certes léger mais sympathique, si l’on veut se créer quelques armes ultimes – une valeur sûre en matière de endgame, ou activités de fin de partie. C’est tout à fait faisable sans avoir à y passer des dizaines voire des centaines d’heure, là encore, un argument que je trouve fallacieux pour jauger de la qualité d’un contenu, puisque c’est toujours de quantité qu’on parle. Il n’est pas inconcevable que les deux puissent coexister, comme le fond d’avec la forme, mais mettre en avant la qualité d’un contenu en le quantifiant par le nombre d’heures qu’on pourrait y passer, c’est, à mon sens, un contresens.

La question que l’on devrait se poser, n’est-ce pas plutôt : Est-ce que je risque de m’ennuyer, et si oui, à quel(s) moment(s), pendant combien de temps, en faisant quoi ? Faire du crafting, c’est bien, mais imaginez que pour fabriquer chacun des armes ultimes, il faille passer des dizaines d’heures à tuer les mêmes ennemis en boucle pour en obtenir les objets requis. Ca serait tout de suite plus chiant, mais ça rallongerait assurément la durée de vie. Ne vaut-il pas mieux avoir un petit nombre de choses intéressantes à faire, plutôt qu’un grand nombre de tâches pénibles et chronophages ?

Tenez, par exemple – je m’éloigne encore pour un temps de Ys SEVEN, c’est OK, c’est mon blog, j’écris comme je veux, haaaaahahaha ! – je n’y consacrerai pas d’article, mais parmi les RPG auxquels j’ai joué cette année, il y a Wild Arms 4.

Ce jeu, lui aussi, possède un système d’artisanat, que l’on mettra à profit pour forger les meilleurs équipements du jeu. Sauf que son fonctionnement est d’une absurdité pour le moins débilitante : pour fabriquer ces précieux objets, il faut des composantes qui ne s’obtiennent que dans un marché noir, lequel nous demande, tenez-vous bien, qu’on le paye avec nos niveaux.

Pire. Monnaie. D’échange. EVER.

Outre le concept même de la perte de niveaux volontaire, qui a ce petit je-ne-sais-quoi d’aberrant, c’est surtout que, pour obtenir le top du top, il est requis d’utiliser les armes précédemment forgées, parfois même en plusieurs exemplaires, pour créer une arme plus puissante, qui servira à son tour pour en créer une encore meilleure, etc.

Bref, longue histoire courte, comme disent nos amis anglo-saxons, le contingent de matières premières requises est tel qu’il vous faudra dépenser des centaines et des centaines de niveaux pour en voir le bout – ce qui vous contraint donc à regagner de l’XP dès que vous n’en aurez plus assez, en allant traquer des ennemis rares qui vous en donnent par pelletées, mais comme ils sont rares, on tourne en rond dans une zone en fuyant 90% des combats en attendant de tomber sur le bon, ce qui est MÉGA-CHIANT BON DIEU ON N’A PAS IDÉE D’INVENTER UN TRUC PAREIL.

Quant à vous révéler jusqu’où je suis allé dans un tel processus, je laisse à votre imaginaire le soin d’envisager à quel point je puisse être con.

Pour en revenir à Ys SEVEN, tout ce qui avait besoin d’être dit a été dit, je crois – quoi que, comme dirait l’autre, "tu ne le sais pas encore, mais tu as déjà tort". Je me rendrai surement compte plus tard que j’ai oublié plein de trucs. Peu importe. Jouez au jeu pour avoir le reste. Faites-vous ce plaisir, si vous êtes un brin amateur du genre. Le jeu coûte 25€ sur Steam, à vous de voir si, sur la base de ce que j’en dis et/ou sur ce que vous en avez vu, ça les vaut.

Je répondrais que oui.

Bref, par l’écriture de cet article, mon vœu était d’exprimer combien cette transition m’avait épatée, et ce, malgré mon scepticisme initial – une preuve que dépasser les premiers a priori négatifs peut avoir du bon, parfois, sans aller jusqu’à établir une vérité générale. J'espère bien y être parvenu.

En guise de conclusion, je parlerai brièvement d’Ys: Memories of Celceta, auquel j’ai eu l’occasion de jouer sur ma fraîchement acquise PS Vita. La formule reprend celle de SEVEN, en y incorporant une poignée de modifications, inspirées ou pas trop. Le feeling est toujours aussi bon et si, globalement, j’ai pris mon pied, moult détails me titillent encore, comme le fait qu’on puisse se soigner à l’envie durant les combats, pour peu qu’on ait stocké des potions par centaines, cassant par-là même le challenge du jeu ; ou encore, le casting fadasse qui donne l’impression d’avoir été réchauffé, à l’instar de Duren, alias Monsieur Muscle, alias le Compagnon du début, alias le Porte-voix du héros muet et qui, pour toutes ces raisons, n’est pas sans m’évoquer une contrefaçon chinoise de Dogi ; ou encore le rythme plus volubile de l’histoire, un vice dans lequel ne tombait pas trop, encore, Ys SEVEN, mais qui tend à nourrir les regrets d’une époque où les dialogues savaient se faire plus concis…

Mais je chipote.

Ys, c’est bien !

Ys, c’est chouette !

Qu’est-ce que c’est cool, Ys !

Ô, Ys !

S’il me fallait t’évaluer au barème de Noël, ce serait "Dinde", Ys !

Tu es bon, quelle saveur ! J’en reprends, je m’en cale, Ys !

Quelle farce que tes entrailles, le reste n’est qu’immonde, Ys !

Et ces mélopées, à quel point je raffole d’elles, Ys !

Mais, ah !, voila que mes mots te dégoutent ! Je ne pensais pourtant pas à mal, Ys !

À moins que toi aussi, tu ne te hérisses des pubs, Ys ?

Soit, j’arrêterai bientôt les rimes ; pourvu que je te joue, Ys !

Car l’Action-RPG n’est jamais aussi savoureux qu’à ta sauce...