Nouvelle cuvée pour Assassin's Creed, c'est désormais presque un rituel, chaque fin d'année doit s'accompagner de son épisode canonique. Le cru Black flag est une composition étrange, les saveurs ne sont pas nobles, les arômes sont banals, l'arrière goût est amer, mais il a ce parfum exotique qui attire curieusement les papilles.

 

Black flag est un jeu paradoxal. Paradoxal dans ses gestes de générosité qu'il alourdit par des réflexes conservateurs hérités de ses aînés. J'aurais souhaité bien des choses sur cet opus, qui m'a pourtant satisfait sur plusieurs aspects. Mon aventure dans l'univers d'Edward Kenway a été un jeu d'amour et de haine permanent, une jonglerie entre frustration et jouissance, admiration et dépit, la saga AC a tellement de potentiel et de choses à offrir qu'il est presque criminel qu'Ubi persiste à lui donner la direction qu'elle prend actuellement.

 

Narrativement dans un premier temps, c'est un titre qui a le mérite de changer l'angle de vision de son histoire puisque Desmond n'est plus le main character. Ubi a eu l'excellente idée de rendre le nouveau personnage muet, ce qui lui évite de dire des bêtises et nous épargne les fatigantes séquences que son prédécesseur nous faisait supporter. Les passages au XXIème siècle sont comme toujours aussi inintéressants que superficiels, mais leur présence limitée soulage le joueur, très heureux de ne pas avoir à subir de façon trop régulière dans le présent les péripéties de la méta-histoire qui nous vomit sa méta-connerie à la figure. Place au capitaine Kenway, pirate chevronné qui navigue sur les mers caribéennes en quête d'or et de liberté. L'histoire de Black Flag narre les événements qui ont ponctué le monde de la piraterie au début du XVIIIème siècle. Barbe-Noire, Anne Bonny, ou encore Charles Vane, les plus célèbres pirates habitent le scénario et construisent l'aventure de Kenway, mais de façon fort peu convaincante. La réécriture parfois fantaisiste des personnages historiques s'allie avec le traitement un peu creux réservé à leur développement dans la narration. On a l'impression que le scénariste se force à intégrer ce panel de fameux pirates, plus par volonté d'intégrer des noms célèbres que pour leur donner une véritable profondeur. Il en résulte un édifice plutôt bancal, parsemé de personnages anecdotiques dont on ne comprend pas toujours les motivations qu'ils ont à aider notre protagoniste. Kenway lui-même est un personnage assez plat (Ubi a régressé par rapport à AC III) qui trouve que c'est pas très gentil de tuer des gens mais qui en tue des milliers quand il tient une épée. Il est le modèle-type du pirate avide de richesses, mais avec un peu de conscience tout de même, puisque dans le fond il cherche à subvenir aux besoins de sa femme restée en Angleterre. Sauf qu'un jour, il se rend compte qu'il n'a pas d'amis et que l'argent ne fait pas le bonheur. Trop dur la vie. Du coup, on obtient un Kenway 2.0 plein de remords qui s'est engagé auprès des assassins pour racheter ses péchés mais qui continue de couler des flottes entières de navires. Voilà. Je crois qu'AC restera toujours dans le fond du caniveau quand il s'agit d'écriture. Scénario : un quart d'étoile.

 

Le problème, c'est qu'en terme de gameplay, les choses ne sont pas toujours reluisantes non plus. Depuis ses origines, la série souffre d'un système de combat terriblement insipide. Les ennemis ont beau être 15 autour de Kenway, ils restent aussi réactifs qu'une huître, attendant patiemment que l'on vienne les achever à coup de martèlement infini de la touche attaque et pendant qu'on prie pour réussir un chain kill afin d'abréger au plus vite l'affrontement. La meilleure astuce consiste à employer les bombes fumigènes, qui permettent d'anéantir très rapidement les groupes d'ennemis. Pour les gardes isolés, rien de mieux qu'un coup de fusil ou de lame dans le dos pour en finir au plus vite. L'IA est absolument déplorable, déclencher un coup de feu ne suffit pas toujours à les alerter. Initier un combat bruyant contre les gardes sur un bateau côté cabine n'alertera pas les gardes situés à l'autre extrémité du navire. Voir Kenway sauter du haut d'un toit dans un tas de foin ne les fera pas non plus réagir. La partie plateforme n'est pas là pour nous réconforter. Tout est trop automatisé. Et les nombreuses imprécisions du personnage dans les phases d'escalades sont plutôt agaçantes. Chez Ubi, ils traînent toujours cette idée stupide qui consiste à attribuer à l'action d'escalade et à la course à pied une seule et même touche : résultat des comptes, on s'insurge du nombre incalculable de fois où l'on grimpe au mur parce-qu'on était trop près de celui-ci alors que courir était notre objectif initial. Par ailleurs, la série ne fait que simplifier et raccourcir un peu plus son gameplay à chaque épisode. Les combats deviennent de moins en moins techniques (si tant est qu'ils l'aient été un jour), l'usage de la touche A (360)/X (PS3) pour la grimpette n'est plus d'actualité (seule la gâchette est utilisée), la course n'est plus progressive en fonction du degré de pression de la gâchette, etc... ce sont des petites choses, mais mises bout à bout, elle dévoilent une tendance générale à l'amincissement du gameplay, qui laisse à s'interroger sur l'avenir ludique de la série.

 

Cependant, le positionnement important du système de jeu sur les phases navales donnent un nouveau souffle au jeu. Les combats sur mer ont été enrichi par rapport à AC 3. L'utilisation de différents types de munitions, l'introduction d'un mortier, les séquences d'abordage donnent de la profondeur aux assauts marins qui, à défaut d'être d'une grande technicité (ça reste du assez AC), n'en restent pas moins fun. Les affrontements sont explosifs, souvent perturbés par les conditions climatiques (vagues, tempêtes, vent, tornades, brouillard...) et très prenants, les sensations à la barre sont plutôt agréables. On se prend vite au jeu : attaquer des navires marchands nous permet d'obtenir sucre et rhum que l'on peut revendre à prix d'or. L'argent acquis, en plus des matériaux dérobés aux pauvres victimes (bois, tissu, métal) permettent d'améliorer le Jackdaw (le bateau de Kenway). Canons supplémentaires, couleur des voiles, puissance des boulets, résistance de la coque, les options de personnalisation sont nombreuses et incitent facilement à sillonner les mers en quête de navires espagnols richement équipés à piller. Ubi a eu le bon sens de remplacer la gestion du domaine dans AC 3, inutile et inintéressante, par un concept utile et intéressant, la gestion du bateau. La traversée océane nous fait croiser par ailleurs de très nombreuses îles qui regorgent de trésors en tout genre, d'animaux sauvages, de ruines mayas cachées par les siècles et de jungles luxuriantes aux couleurs bigarrées. Plus que tout autre AC, ce Black Flag est un jeu d'exploration aussi grand que passionnant à découvrir. Le soin apporté à l'esthétique caribéenne est, il faut dire, remarquable. La qualité des environnements et le soin du détail sont des plus conséquents, avec un moteur graphique qui tient encore la route. Dommage que les compositions musicales soient, comme dans AC 3, si mauvaises. Certaines sont carrément hors-sujet. Rendez-nous Jesper Kyd !

 

Parallèlement, le jeu est riche en activités annexes. Dépecer la faune locale permet de crafter de nouveaux étuis à pistolet ou de renforcer la résistance de Kenway. S'approcher des requins ou des baleines nous autorisent à essayer de les harponner, donnant alors lieu à un mini-jeu sympathique. Certains lieux sont accessibles en plongée, on peut dès lors savourer les Caraïbes dans une perspective sous-marine, qui nous laisse explorer les épaves des navires coulés, souvent protecteurs de trésors enfouis. La générosité d'AC IV s'exprime par la diversité de ses activités et la richesse visuelle de son univers, qui invite à une vraie ballade exotique.

 

Et puis Black Flag, comme les autres AC, c'est avant tout un rapport intime à l'Histoire, qui permet de traverser les âges sous format vidéoludique avec un degré d'immersion que seule cette saga est pour l'instant capable d'atteindre. Pouvoir traverser Nassau, la cité des pirates, à son apogée, ou la Kingston coloniale britannique dans un XVIIIème siècle naissant a ce quelque chose de stimulant et de palpitant qui habite les épisodes de la saga AC.

 

 

Mais en même temps, AC revêt un peu toujours ce double visage, Black Flag n'y échappe pas. Si l'aspect ambiance est inattaquable, le jeu s'égare dans un gameplay très peu intéressant et pollué par les imperfections. Black Flag s'en sort mieux grâce à la présence importance de la partie navale dans le système de jeu. Cela étant, AC c'est un peu le Windows du jeu vidéo d'Histoire, on crie devant les choix parfois incompréhensibles des développeurs, on s'exaspère devant ses défauts récurrents, mais on l'achète tous parce-que la concurrence est maigre. On souhaiterait que davantage d'acteurs émergent dans le domaine, pour donner de vraies alternatives, et trouver quelque chose qui nous convienne mieux. Mais malgré tout on l'aime quand même un peu.