Pour la faire courte, après m'être créé une certaine
popularité avec mes quelques 40 (41 à ce jour) images de
ré-interprétations de jeux, j'ai publié un journal sur Deviantart,
pour faire faire un appel à d'éventuels projets de jeu indy sur
lesquels je pourrait mettre ma patte.
Une seule réponse est arrivée, celle de Yacine Salmi, ex de chez
Havok, qui avait développé, dans son coin, un moteur de fluide. Il
me fait essayer une démo assez agréable, où l'on dirige une bulle
à travers des petits monticules de terre. Je trouve immédiatement
qu'il y a potentiel. Yacine semble très ouvert sur ce que peut
devenir son jeu, et il y a quelque chose d'instinctif et de subtil
dans le contrôle, qui me fait penser à mes jeux préférés,
Uniracer, Waverace...
Vidéo de la première version du jeu de Yacine Salmi
Nous nous entendons très bien, il parle français couramment et
semble très gentil. Le premier problème que nous allons rencontrer
est l'absence de réelle direction en terme de game design. Je me
vois commencer à établir un style graphique pour le jeu, sans
réellement savoir quelles seront les nécessités en terme de
plateforme, de level design.. Quelque chose cloche. Il faudra de
nombreuses discussions et quelques semaines pour se décider sur un
gameplay orienté puzzle, gestion de l'eau et des actions a
effectuer, façon Toki Tori. Il reste alors à trouver un équilibre
entre la tendance émergente et expérimentale de Yacine, qui veut
naturellement donner libre cour à ses idées physiques, et ma
volonté de commencer (car c'est un premier jeu, pour nous deux) par
quelque chose de très classique et de structuré.
Nous butons pas mal sur des questions liées à l'eau, à la façon
de la donner, de l'enlever au joueur, de lui redonner, de la
sauvegarder etc... Un réel casse tête insoluble en terme de level
design. A l'aube de l'IGF 2009, nous avons une démo, basée sur 5
niveaux en forme de tutorial. Il est bien évidemment très dur de
faire un tutorial. C'est presque une discipline en soi, et j'espère
que les différentes écoles de jeu vidéo ont un cour dédié au
problème de l'apprentissage du joueur. Il nous faut d'abord lui
apprendre à diriger la bulle, ce qui se révèle très instinctif et
agréable pour certains, et assez dur pour d'autres. Il est donc
difficile de bien cerner la balance à adopter. Un jeu basé, en
partie, sur la plateforme et l'adresse, n'a aucun intérêt si on n'y
fait qu'avancer bêtement. Toute la force du moteur est de nous
laisser le sentiment de diriger la bulle très précisément, en
épousant chaque pente, chaque courbe du niveau pour prendre de la
vitesse et de la hauteur. Il faut donc le montrer, et donner aux gens
l'occasion de s'y essayer, de s'amuser avec ça. Mais la marge est
petite, car la recherche de variété entraine immédiatement une
montée de la difficulté.. C'est dur, en tant que level designer, de
se borner à faire des niveaux un peu répétitifs et faciles au
début, pour ne pas tout de suite être dans une course au challenge.
De plus, il y a la partie puzzle. Il faut lui apprendre les
règles, basées sur une quantité définie d'eau, permettant
différentes actions à utiliser au bon endroit et en bonne quantité.
Comment lui expliquer cela, à quel moment... Nous découvrons que
cela peut être frustrant. Nous avons une action rigolote, et la
donner au joueur, tout en lui disant qu'il n'a pas le droit de
l'utiliser trop, car sa réserve d'eau va diminuer, et qu'il devra
trouver le bon endroit pour l'utiliser, c'est un peu crispant. Alors
il faut se demander comment ils font, dans certains jeux, pour que ça
passe bien. Il faut se demander ce qui amuse le joueur dans son jeu,
fondamentalement, et ce qui perturbe cet amusement... Il faut se
remettre en question!
Aprés l'IGF, et ses quelques avis constructifs, nous décidons de
réorienter le jeu. Je suis persuadé, à ce stade, qu'il y a un
soucis de cohérence dans notre concept. Le charme initial du jeu, sa
force, c'est son contrôle, et les possibilités de platforming que
cela donne. Nombreux sont les gens à nous avoir fait remarquer
qu'ils adoraient le sentiment de momentum, d'inertie qu'il y avait
dans le jeu. Ce fameux momentum dont j'ai tant entendu parler des
fans frustrés de Sonic. Il y a quelque chose à faire avec ça. Il y
a le réel potentiel, dans notre jeu, pour faire un platformer à
l'ancienne, qui fasse revivre, et même épanouisse l'âme de ce
genre disparu. C'est une ambition originale après tout, peut-être
plus que celle de faire un énième puzzle platformer. Trop de jeux
indys sont des puzzles de nos jours. Nous avons trouvé notre vraie
voie, j'en suis certain! Et, à la lumière de ce nouveau jour, la
dimension gestion doit disparaître tout bonnement du jeu. Elle est
une épine dans son pied. Le souci est très simple: Elle empêche
le joueur avide de mouvement, d'inertie, d'action, de prendre son
pied, justement. Il faut assumer ses références, et c'est pourquoi
je me mets à jouer à Sonic the hedgehog, le premier, pour
comprendre les règles du genre
Il faudra maintes et maintes discussions, pour accepter d'assumer
toutes les petites choses très classiques que nous voulions au
départ éviter, par soucis de modernisme. Le modernisme du jeu
viendra de son moteur physique, pour sur, mais de son intégration à
un gameplay simple et classique. Cela veut dire que nous finissons
par accepter l'idée des sempiternelles «coins», si clichées, mais
pourtant si utiles et même primordiales pour le level design. Pas
seulement d'ailleurs. Elles sont comme une sorte d 'assaisonnement,
de sel essentiel à ce genre. La déprime guetterait le joueur de
platformer, s'il ne foulait pas de ses pieds/nageoirs des petites
choses, rondes et brillantes, entrainant une musique de petits sons
cristallins s'enchainant rythmiquement. Visuellement même, le pick
up est essentiel à la diversité d'un tel jeu.
Je me décide pour ma part à abandonner l'idée superflue d'une
perspective réaliste dans le décor. J'avais dans un premier temps,
avant que nous ayons une réelle direction de gameplay, opté pour un
rendu « sonic » avec une fausse perspective, faite de
différents plans séparés par du vide. Puis naïvement, par
ambition déplacée, par l'idée, peut-être, que les gens habitués
à mon style attendraient du jeu ce type de réalisme, j'avais
accouché d'un décor ultra réaliste, en quasi 3D, avec une surface
s'étendant sur des dizaines de parallaxes (Visible dans le premier
trailer du jeu: https://www.youtube.com/watch?v=TczuQR-KVDM)...
Problème, le jeu nécessite une perspective plate, ou parfaitement
de profil, car il est basé sur le tracé précis du sol. Pire
encore, il est condamné à avoir des niveaux qui s'élèvent
verticalement, car on y saute et escalade beaucoup. A quoi nous
servira une luxueuse prairie, parfaitement représentée, si la
moitié du niveau se déroule dans les airs...
Beaucoup de remises en questions donc, et un repositionnent sur la
simplicité et le fun, sur des références solides, Mario World,
Yoshi's island, Sonic... Le seul élément que nous voulions
conserver étant que le joueur apprenne intelligemment à parcourir
le niveau, à connaître les possibilité de déplacement de sa bulle
pour atteindre ce qui ne semble pas évident à première vue. Il
fallait donc des niveaux à multiples chemins. Sonic est encore une
fois une référence évidente.
Ce cheminement nous a amené à prendre conscience des forces de
notre jeu, et surtout, à assumer qu'il en était un, un jeu vidéo,
tout bêtement. On essaye trop, de nos jours, de dissimuler sa
nature, de l'enrober sous un cachet réaliste, immersif... Mais le
jeu vidéo n'a pas besoin de se cacher pour être noble, ou « art ».
Je reviendrai sur ce sujet ultérieurement, peut-être...
A une prochaine donc ;)
Orioto