Peut-on faire un bon jeu de
boules à deux ? C'est à cette question existentielle que World of Goo
répond unilatéralement : Oui. Ce petit jeu qui ne paie pas de mine, et qui
nous permet de construire des structures en déplaçant des petites boules de Goo
(littéralement « matière visqueuse »), développé par un petit studio,
2D Boy, qui est donc composé de deux personnes, est tout simplement génial.
Alors, pourquoi ce jeu me fait-il autant perdre la boule ? Réponse dans un
test ultra-light, 100 % garanti sans jeu de mots pourris.
World
of goo, je ne l'ai connu que goote à goote. A sa sortie en 2008, j'ai
téléchargé la démo, qui offre l'intégralité du premier monde, et qui, si elle
était déjà bien sympa, s'arrêtait juste au moment où le jeu commençait à
devenir intéressant, ce que je ne découvrirais qu'un an plus tard. C'était peu
avant Noël 2009, et j'étais passé voir à quoi ressemblait le tout nouveau tout
beau tout neuf Apple Store au Carrousel du Louvre. On pouvait tester quelques
jeux sortis sur Mac (Apple marketait déjà là-dessus alors qu'on ne savait pas
encore que Steam sortirait sur la plate-forme d'Apple), dont World of Goo, et
c'est là que j'ai compris le véritable potentiel de World of Goo. Quelques
semaines plus tard, j'obtenais après une attente interminable mon cadeau de
Noël : World of Goo dans sa belle boîte en plastique. Mon père était un
peu réticent à me voir passer le réveillon à manipuler des boules
(« Apprends déjà à te servir des tiennes ! »), mais trop
tard : la jeu m'avait déjà totalement happé.
Petite boule deviendra grande
World
of Goo, vous l'aurez compris, c'est un jeu de construction, où l'on attrape une
petite Gooball, que l'on peut lâcher où l'on veut, et qui va automatiquement
créer des liens avec ses congénères les plus proches (pour peu qu'il y ait des
congénères assez proches). Et c'est là que se situe la première richesse de
World of Goo : dans son exploitation de ce système, si poussée qu'on a
l'impression, en finissant le jeu, que celui-ci ne sert plus à rien :
World of Goo l'aura usé jusqu'à la moelle. A chaque monde, plusieurs nouvelles
espèces apparaissent, et chaque niveau apporte sa petite nouveauté au niveau
gameplay.
Ainsi,
on construira une tour géante, un pont, voire une chenille, et l'utilisation du
(très bon) moteur physique nous mènera très vite à comprendre l'utilité de ces
bonnes vieilles techniques moyenâgeuses qui ont fait leur preuve comme le
contrefort, techniques que l'on redécouvrira presque inconsciemment. C'est là
aussi quelque chose d'assez étonnant dans ce jeu : n'importe qui, même
quelqu'un qui n'a jamais joué aux jeux vidéo, comprendra immédiatement les
principes du jeu et les maîtrisera en une dizaine de minutes, tant on nous y
prend intelligemment par la main dans l'évolution des niveaux et de la
difficulté : pour une fois, les gens arrêteront de, dès qu'ont leur montre
un de nos jeux, et qu'ils ne le comprennent pas, nous envoyer bouler.
World
of Goo est donc un jeu très riche au niveau du game design, ce qui fait que l'on
ne s'ennuiera pas et que l'on aura envie de continuer en se demandant ce qu'ils
auront encore bien pu inventer. Ce jeu montre en tout cas bien que l'on peut
faire plein de choses différentes et amusantes avec des boules, sans tomber
dans la vulgarité (pas comme cet article). Une belle leçon de vie.
Visqueux et acide
World
of Goo, c'est aussi une ambiance. L'histoire, ainsi que les nouveautés de
chaque niveau, vous seront contées par
le peintre des pancartes, qui, pour vous parler, ... peindra des pancartes. Et le
moins que l'on puisse dire, c'est que la qualité de l'écriture est au
rendez-vous : c'est souvent juste poilant (imaginez le contraire de ce
test). La pilule du tutoriel, parfois difficile à avaler, passe sans aucun
problème, et le scénario en lui-même est simplement surréaliste : toutes
les boules de Goo veulent construire des structures pour pouvoir rentrer dans
des tuyaux, et ce pour explorer le système de canalisation auxquels ils mènent.
On comprend aussi très vite que ces tuyaux mènent à un grand magasin, la
« World of Goo Corporation », qui les vend et dont le peintre des
pancartes ainsi que ses congénères humains, que l'on aperçoit de temps à
autres, se servent comme apéritif. Oui, vous êtes là pour leur donner à
bouffer. Et à partir de cela, World of Goo va allègrement critiquer notre
société, la place de la beauté dans celle-ci (et ce en nous faisant, je le
rappelle, empiler des boules), internet, voire le capitalisme (non, je ne
divague pas); mais toujours légèrement, au second degré, et en nous faisant
garder une âme d'enfant qui découvre un monde peut-être un peu pourri à
quelques endroits ; mais qui, au fond, reste magnifique et fascinant.
Les
graphismes, eux, ne sont techniquement pas impressionnants, mais satisfaisants,
et tourneront sur n'importe quelle machine. Mais alors esthétiquement, quelle
claque ... ils sont à la fois par endroits moches, ont l'air de loin assez
enfantins, mais justement, c'est encore une fois tout le sel du jeu :
c'est pas joli, mais qu'est-ce que c'est beau ...
Et
enfin, comme un cerise sur le gâteau, la musique, composée par l'un des 2
membres du studio (Kyle Gabler, qui s'est aussi occupé des graphismes et d'une
partie du game design, l'homme à tout faire en quelque sorte), sur laquelle je
ne vous dirais rien, puisqu'en musique, je n'y connais rien ; mais que je
ne peux que vous recommander vivement de télécharger la BO du jeu, puisqu'elle
est disponible gratuitement sur le blog du compositeur / graphiste / game
designer. Et si je vous recommande aussi directement une OST, ca veut vraiment
dire qu'elle est fantasmagorique.
Je
peux en tout cas vous dire que l'ambiance de World of Goo m'aura marqué ;
mais il y a un élément que j'ai oublié tout au long de ce test, l'élément qui
fait que World of Goo est un jeu différent des autres, le petit truc en plus
qui fait tout.
Quand Harry rencontre Sally
En
fait, si j'ai vraiment accroché à ce World of Goo, c'est parce que le game
design vient suivre intelligemment l'histoire. Ca ne veut tellement rien dire
que l'on se croirait dans une pub pour gel douche donc je m'explique : par
exemple, dans un niveau, vous allez devoir faire passer des énormes boules de
Goo moches d'un côté d'une machine ; celles-ci seront réduites en morceau
et viendront combler un trou, et ce pour que la boule de Goo « jolies »
traverse ce trou, en roulant sur les débris de ses congénères.
Ca
ne paye pas de mine quand on le raconte comme ça (surtout quand c'est moi qui
raconte), mais ces petites perles récurrentes sont vraiment ce qui m'a
passionné dans ce jeu et qui en fait un soft unique en son genre : World
of Goo fait dans le symbolisme (ce qui n'est pas si courant dans un jeu vidéo),
et je verrais presque ma (vieille, est-il besoin de le préciser) prof de
français comparer ça à un conte philosophique de la grande époque des Lumières,
ce que je n'oserais jamais faire (et que je viens au passage de faire) :
le jeu nous fait faire, en riant et en les caricaturant, toutes les pratiques
qu'il dénonce ; et c'est le joueur qui ressort changé de cette expérience, empli
de tous les messages communistes et anarchistes du jeu (désolé, la prof de
français sommeillant en moi qui reprend un peu le dessus).
Boule qui roule amasse-t-elle mousse ?
Pour
un jeu indé fait à deux, World of Goo a su plutôt bien se présenter :
versions PC, Mac, Linux et Wii, disponible en boîte, participant à des
opérations qui ont plutôt bien marché (le Humble Indie Bundle, pack contenant
quelques jeux indépendants et disponibles pendant un temps au prix de votre
choix, qui s'est écoulé à plus d'un million d'exemplaires).
Cependant,
World of Goo a su produire des chiffres assez significatifs : en effet, un
mois après la sortie du jeu, le développeur a comparé le nombre de joueurs en
ligne (qui consiste à construire la tour de Goo la plus haute possible avec
toutes les boules que vous aurez récolté) avec les chiffres de vente de son
petit protégé. Résultat ? 90 % de joueurs en ligne n'avaient pas acheté le
jeu, profitant du fait que 2D Boy n'avait prévu aucune protection. De plus, on
pouvait acheter le jeu au prix que l'on voulait pour le premier anniversaire de
celui-ci. 1/3 des acheteurs ont payé 0,01 $. Pourtant, le jeu s'est au final
très bien vendu au cours de toutes les opérations auxquelles il a su participer :
grâce à des pirates et mauvais payeurs repentis ou est-ce vrai beau succès
(bien mérité) ?
World of Goo est donc un jeu
qui m'a personnellement marqué, parce qu'il est original et qu'il apportait
vraiment de la fraîcheur : graphismes simples mais magnifiques, ambiance
réussie, game design intelligent, tous les éléments qui font un bon jeu sont
réunis. On peut le prendre comme symbole des jeux indés : marquant par son
originalité, mais qui doit faire face à l'immoralité du marché, ce qu'il aura
au final réussi. N'empêche, des fois, comme dirait Cantona, « Ca me
dégoote ».