Hello tous,

Voilà un moment que je n'avais plus pris la plume pour aborder un sujet transversal qui me tenait vraiment à coeur concernant les loisirs numériques. La découverte de quelques vidéos postées sur youtube et toute une série de messages lus à travers moult sites de passionnés de retrogaming m'amènent cependant ce soir à partager avec vous la petite introspection à laquelle je me suis livré. Celle-ci concerne mes pratiques d'acheteur compulsif en quête de la bonne affaire pour enrichir un peu plus la collection que j'édifie patiemment depuis maintenant un peu plus de quinze ans. Elles concernent l'éthique qui doit, à mon sens, être prise en compte lors de chaque transaction. Dans un monde où règnent désormais embrouilles et spéculation, ces interrogations ne prennent que plus de sens, et j'espère qu'elles vous amèneront à vous demander, vous aussi, ce que vous pouvez faire pour que le futur du retrogaming ne soit pas de faire dormir derrière une vitrine des consoles et des jeux en boite en attendant qu'ils prennent de la valeur - en espérant qu'ils soient authentiques, d'ailleurs.

Commençons donc par un simple constat : depuis maintenant un peu plus de trois ans, la valeur des jeux vidéo d'ancienne génération a tendance à croître de façon exponentielle. Inutile de s'attarder sur le cas Ebay, où les prix pratiqués ont toujours été abusivement élevés. Désormais, le phénomène touche tout le monde, jusqu'aux forums les plus obscurs au fil desquels surgissent les débats commentant cette montée de prix assez remarquable. Ne soyons pas naïfs : l'évolution des cotes est évidemment en partie dûe à des internautes qui ont professionnalisé leur activité, mais elle se nourrit aussi de la raréfaction des produits, devenue structurelle. D'un côté, les années passant, les machines et les jeux encore fonctionnels ont en effet tendance à être mécaniquement de moins en moins nombreux. De l'autre, nombre de proches ayant fait un tour par Tokyo ces dernières années me confirment que la source mondiale à laquelle tous les rétrocollectionneurs allaient s'abreuver - le fameux quartier d'Akiba - a tendance à se tarir. Or, voici plus de quinze ans maintenant qu'Akihabara régulait les cotes en imposant des tarifs bas dictés par une relative opulence. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas : les tarifs affichés sur place voisinent ceux qui sont pratiqués en Europe, voire se mettent à niveau quand il s'agit de la vente en ligne. C'est aussi cela, la mondialisation.

Dans un tel contexte, il devient difficile de contenir la spéculation sur certains titres et hardwares devenus particulièrement rares. Et cette spéculation mène à des aberrations qui ne peuvent que heurter le joueur qui sommeille en chacun de nous : on a beau le regretter, mais comment imaginer, par exemple, qu'un passionné ose introduire la cartouche originale d'un Neo Turf Masters AES - un titre fabuleux, qui plus est - dans sa Neo Geo en connaissant la valeur qu'a atteint la pièce ces derniers mois - plus de 10 000 euros - et la décote que signifie une simple rayure ? J'entends également chaque jour, autour de moi, des amis collectionneurs s'enthousiasmer d'avoir acquis telle ou telle pièce en état "mint", voire neuf et encore emballé... et qui n'envisagent pas un instant d'ouvrir cette boite pour renouer avec ce qui les a pourtant amenés à effectuer l'acquisition à prix d'or : l'envie de jouer. Il s'en trouve même quelques-uns pour s'offrir une version "loose" ou "convert" de la pièce afin de pouvoir en profiter malgré tout, sans toucher au graal qui désormais dort sagement à l'abri du soleil - le sunfade est sacrilège ! - et de la poussière. Nous touchons du doigt, ici, l'irrationnalité du système qui se met en place, obligeant à choisir entre le plaisir de jouer et la préservation de l'investissement consenti. Or tous  les retrogamers vous le diront : ce ne sont pas les solutions alternatives - émulation, conversion... - qui restitueront les sensations originales délivrées par un hardware et ses logiciels. Car l'expérience ludique est un tout : elle englobe le jeu, mais aussi la machine, ses composants spécifiques - on ignore encore comment émuler parfaitement le fameux mode 7 de la SNES - ainsi que la manette d'époque, le tout branché au tube cathodique qui va bien. Un bon émulateur PC n'est jamais qu'un pis-aller.

Cette évolution du marché du retrogaming, surtout, doit nous interroger sur nos propres pratiques. Car nous sommes, à des niveaux variables, en partie responsables de ce qui se joue ici. D'aucuns cautionnent le système en faisant l'acquisition de pièces séduisantes à des tarifs indus, d'autres l'alimentent en profitant d'une flambée des cotations pour se séparer de leur jeu, de leur machine, et ainsi opérer une petite plus-value. Evidemment, il n'y a ici rien de répréhensible. Mais peut-être devons-nous prendre en considération les conséquences de ces actes de consommation sur le marché du jeu vintage, a fortiori dans un contexte où il semble désormais admis que les valeurs de ces produits ne baisseront plus à l'avenir. Chaque nouvelle vente a un prix surévalué peut contribuer à faire évoluer la cote, et à rendre un peu plus inaccessible le jeu qui vient d'être acheté. Vendre un Demon's Blazon SNES complet à 200 euros, c'est admettre l'idée que le jeu n'est plus fait pour être joué.

Il est intéressant de noter, toutefois, que des forums spécialisés tentent d'endiguer le phénomène en lui opposant le bon sens de la communauté. A coup de cotes régulièrement réévaluées mais toujours dans le domaine du raisonnable, de relations de confiance entre abonnés des topics, les prix restent relativement stables, et l'on y privilégie souvent un bon échange à une vente contre argent sonnant et trébuchant. Ces initiatives sont la preuve qu'il est possible de faire fonctionner le marché du retrogaming de manière éthique. L'on y évite aussi - sauf rarissime mauvaise surprise - les escroqueries qui ont de plus en plus souvent cours sur les grands sites de vente en ligne. Car la montée en puissance de l'argus du retrogaming a aussi eu ceci de pervers qu'il a généré toute une dynamique de contrefaçon. Et pour cause : un faux Pulstar AES écoulé 600 euros alors qu'il en a coûté 150,  un Megaman X3 SNES vendu comme un vrai à 800 euros alors que la cartouche a été reprogrammée depuis un simple Mario... L'affaire est pour le moins lucrative.

Bref. Evidemment, ces marchés parallèles font reposer leur succès sur l'acceptation que tout un chacun joue le jeu, revendant ses pièces au prix d'achat, sans plus-value. Ils supposent également que le collectionneur fasse preuve d'une certaine honnêteté intellectuelle. Car non, s'il n'est pas légalement condamnable d'acheter un Castlevania Vampire Kiss mint à 20 euros à un gamin de 12 ans qui a fouillé dans le grenier de papa-maman pour venir participer au marché aux puces du village, il n'est pas non plus particulièrement honnête de lui cacher la valeur réelle de ce qu'il a entre les mains. Ce sont des pratiques auxquelles nombre de collectionneurs ont succombé - moi y compris - très souvent innocemment, pensant uniquement à la bonne affaire alors réalisée. Mais plus encore que de léser quelqu'un, elles remettent en cause notre approche fondamentale du retrogaming, nous incitant à penser, par nature, en termes de plus-value potentielle ("Je l'ai eu à 20 euros, il en vaut au moins 300...").

Ces questions  de moralisation du marché peuvent sembler rébarbatives. Elles n'en restent pas moins cruciales si nous essayons d'envisager la chose plus largement. Aujourd'hui, je me préoccupe davantage de permettre à tout un chacun de découvrir cette histoire des jeux vidéo à laquelle je suis profondément attaché, pour l'avoir vécue depuis le début des années 1980 - et chroniquée depuis le milieu des années 1990. Et ceci passe par une mise à disposition la plus large possible de ces pièces qui méritent de vivre leur véritable vocation jusqu'à ce que mort des composants s'en suive - ce qui suppose un peu plus de responsabilité de la part de tous les passionnés qui nourrissent ce marché. A titre personnel, je refuse de devoir interdire un jour à mes nièces l'accès à tel ou tel jeu qu'elles auront repéré dans ma ludothèque, au motif que le coût de la pièce serait trop élevé pour que l'on puisse la laisser entre les mains de gamines qui auraient alors envie d'en savoir plus sur ce qui faisait rêver tonton quand il était petit. Un jeu est fait pour jouer, l'on n'y gagne jamais rien à seulement le contempler, mais au contraire énormément à pouvoir le partager...