Après ces temps de fêtes, on est certainement plus occupé à s'évider les bourrelets qu'on a honteusement pris et à jouer aux cadeaux qu'on a reçus. J'aurais pu déblatérer de ce que j'ai récolté, mais tout le monde a forcément dit son petit mot (et puis la vie privée, zut !). Alors je vais vous faire une invitation à la réflexion, genre celle qui ne fait pas trop mal à la tête (puisqu'on martyrise son corps pour perdre les bouées) en nous questionnant sur l'assise des mythologies dans l'univers vidéoludique.
Depuis que les jeux vidéo ont su mettre en place un semblant de scénario (grosso modo début des années 80), la mythologie, autrement dit, si j'en crois mon Petit Larousse, l'ensemble des légendes et récits propre à un peuple, une civilisation, s'est incrusté de façon plus ou moins visible parmi les pixels. Cela peut s'expliquer par le fait que les mythes sont plus ou moins incorporés dans l'inconscient collectif et qu'il est facile de se les réapproprier. Pour le développeur, cela facilite l'inspiration (pas besoin d'utiliser random.org pour trouver un nom au hasard), et pour le joueur, l'immersion peut soit être rendue plus aisée, parce qu'il a en général une vague connaissance du mythe en question, soit lui donner envie de se cultiver plus et de s'interroger sur la provenance de tel ou tel élément.
Un des premiers jeux à avoir exploiter la notion de mythologie est The Raiders of the Lost Ark (Atari 2600, 1982). D'une certaine façon, on peut dire que cette exploitation est détournée, car elle correspond à l'adaptation du premier Indiana Jones dont la trame repose sur la recherche de l'Arche de l'Alliance, artefact d'importance dans la mythologie biblique. Paradoxalement, bien qu'il s'agisse d'une des cultures proches de la nôtre, elle est en général peu exploitée d'une façon directe dans le jeu vidéo. Serait-ce dû à la vivacité des croyances qui s'y rapportent et aussi au contexte politique ? (Un jour, je m'étendrais sur le politique et le jeu vidéo, ça va être drôle je sens).
Les aventuriers de l'arche perdu sur Atari 2600...
"This is not madness !"
La première mythologie qui viendrait à l'esprit d'une personne est certainement celle correspondant à la gréco-romaine. Ce n'est pas pourtant la plus exploitée. Dès 1983, des jeux ayant pour référence Persée, Andromède (Perseus and Andromeda) ou encore Hercules fleurissent sur les ordinateurs de l'époque. En 1986, les Japonais s'emparent du sujet avec le cultissime Kid Icarus chez Nintendo, ou le moins connu Athena de SNK (qui deviendra un des personnages caméo de la firme par la suite). Coïncidence, au début de cette année-là avait commencé Saint Seiya, ce qui a sans doute popularisé la thématique. N'oublions surtout pas Altered Beast et la voix rauque de Zeus qui nous demandait de sortir de notre tombe et des héros bodybuildés qui déchiraient leur vêtement avant de se transformer en lycanthrope, en ours, en dragon ou en tigre. Par la suite et jusqu'à aujourd'hui, l'usage, voire l'abus de la mythologie, ne s'est pas démenti, avec une décennie 90 assez marquée par Hercules (le dessin animé Disney n'est pas étranger à cet engouement) et un début des années 2000 gravé par les dieux de l'Olympe et les Titans, avec des titres tels que Zeus : Master of Olympus (PC, 2000), ou encore Age of Mythology (PC, 2002). En 2005, un homme au doux nom de Kratos est venu balayer tout ça. La série des God of War a fait de cette mythologie son fonds de commerce. Elle est celle que les joueurs citeraient en premier si on en parlait. Nonobstant, maintenant que les dieux de l'Olympe ne sont plus, peut-être que Kratos ira botter les fesses des autres dieux.
Athena, ou comment les déesses chez SNK se baladent en maillot de bain ! (et les cheveux violets comme une certaine Saori...)
Le treizième guerrier
Autre mythologie abondamment utilisée : la mythologie scandinave. Certainement moins connue que sa consoeur méditerranéenne, elle n'en demeure pas moins très employée. En 1983 paraît le premier logiciel qui a pour cadre Asgard et Midgard avec Valhalla sur ZX Spectrum et Commodore 64. C'est un jeu à texte comme il était courant d'en trouver à cette époque vu les capacités sommaires des machines (un équivalent actuel serait le visual novel, mais celui-ci reste pour sa plus grande partie ancré au Japon). D'autres softs suivront les traces de Valhalla. II faudra attendre 1999 pour qu'un véritable hit transcende cette mythologie. Il s'agit de Valkyrie Profile sur PlayStation qui se réapproprie le mythe du Ragnarök. En 2002, Ragnarök Online propose au joueur de parcourir en ligne des lieux de la mythologie nordique comme le Valhalla ou le Nifiheim. L'usage de cette mythologie reste d'actualité avec le magnifique Odin Sphere ou encore Valkyrie Profile dont la dernière itération remonte à 2008 sur DS. Beaucoup de publications utilisent quelques éléments de cette mythologie, que ça soit dans le titre (comme un des meilleurs jeux de la Megadrive qui n'est autre que La Légende de Thor) ou dans le contenu. Je pense notamment à l'Yggdrasil présent dans Tales of Symphonia ou dans Dragon Quest IX. Et n'oublions pas les jeux qui comprennent des elfes dont le plus admirable et le plus courageux d'entre eux.
Link, l'elfe qui a eu l'honneur de manier Excalibur dans A link to the past !
"Itineris, on va pas se laisser faire !"
Concentrons maintenant sur une dernière mythologie dont le monde vidéoludique a puisé énormément de son inspiration et qui fait rêver les petits en classe de sixième : l'égyptienne ! Un certain nombre ont pour cadre l'Égypte parce que les pyramides, les pharaons et les momies possèdent ce côté exotique, mystérieux et les ruines sont assez bien conservées (pour rappel, la dernière merveille du monde encore debout sont les pyramides). Dès 1979, Pyramid of Doom sur les ordinateurs de l'époque invite le joueur à une chasse au trésor au pays des sphinx. En 1982, Dunjonquest : Curse of Ra, add-on de Dunjonquest, invoque le dieu du soleil pour une aventure tout en bichromie. La même année, The Sands of Egypt sur TRS-80 propose de découvrir la tombe de Râ. Beaucoup d'autres jeux vont avoir l'Égypte pour décor, mais assez peu vont exploiter sa mythologie. Un titre m'a particulièrement marqué dans ce domaine : Exhumed sorti en 1996 sur Saturn (aussi sur PC et PlayStation). L'action se déroule dans le complexe de Karnak, où des extraterrestres ont pris possession des lieux. Ce qui est intéressant ici, c'est que les ennemis et les armes font appel à la mythologie, que ça soit à travers les Anubis qu'on doit dégommer ou encore la plume de Maat qui permet au joueur de voler quelques instants. Beaucoup de jeux ayant pour thème l'Égypte sont sortis durant cette période si on prend les statistiques de Mobygames. Stargate a certainement contribué à ce phénomène, tout comme ont dû le faire les films La momie et Le retour de la momie à l'aune de ce nouveau siècle. Pour autant, et ceci n'engage que moi et mes connaissances, je trouve que l'univers égyptien n'a pas aussi bien été exploité que les deux précédentes mythologies, je veux dire qu'il n'existe pas véritablement de jeu marquant qui ait tiré profit d'un monde aussi riche que celui qui est occupé par la bande à Osiris.
Comment? On ne sort pas assez de jeux sur la mythologie égyptienne? C'est un scandale, je vais appeler Teal'c de ce pas et il va menacer les éditeurs, vous allez voir !
Les autres
De façon plus subsidiaire, les jeux vidéo ont tiré parti d'autres mythologies, moins connus pour le quidam français, mais qui ont permis de pimenter certains scénarios. Évidemment, quand on constate qu'une bonne partie de la production mondiale de pixel provient du Japon, on ne peut s'empêcher de prendre en compte le tsunami de jeux mettant en valeur le folklore nippon. Je concède ne pas avoir un savoir suffisant pour traiter la matière qui devrait certainement nécessiter un dossier à lui tout seul, mais si on devait se fier aux titres les plus récents, on citerait d'emblée Okami et son incarnation de la déesse du soleil Ameterasu ou encore Project Zero ainsi que ses histoires de fantômes et Dead or Alive lorsque les filles ne font pas de beach-volley et se battent contre le Tengu. Parfois les inspirations peuvent être proches de l'entreprise qui développe un jeu. Prenons le cas de Star Fox. Le choix d'un renard ne se trouve pas si innocent qu'il paraît, puisque non loin de la firme de Kyoto se trouve un des plus fameux temples de la ville, le Fushimi Inari-taisha, sanctuaire dédié à la divinité des céréales et du commerce Inari qu'on a coutume de représenter par un renard.
Tengu dans Dead or Alive
Il y aurait aussi des choses à dire sur les légendes chinoises, que ça soit avec les Dynasty Warriors, Kessen et autre consoeurs de chez Koei ou encore les relectures du roi singe (Son Goku, on pense à toi). Une petite pensée pour Tomb Raider 2 et sa dague de Xian et une grande pour Shenmue qui lorgnent vers les croyances de l'Empire du Milieu. Non loin de la Chine se trouve un autre grand pays, l'Inde. Bien que la mythologie hindoue soit assez peu présente dans le jeu vidéo, on peut trouver ici ou là des grains de sable comme Mahabharata : The Dawn of Kaliyuga. D'ailleurs, fan de SoulCalibur, ce nom de Kaliyuga doit vous être familier puisqu'il s'agit du bâton de Kilik. Et ceux qui aiment Final Fantasy savent bien qu'une des invocations les plus connues est la déesse "de glace" Shiva.
Beaucoup plus proche de chez nous, il existe des jeux faisant appel au panthéon et aux légendes celtiques, mais à ma connaissance pas de jeu réellement basé dessus. Mentionnons le cas de Tir Na Nog, jeu d'aventure publié en 1984 sur Spectrum et Amstrad et l'année suivante sur Commodore 64 et qui a failli faire l'objet d'un remake PC par Psygnosis au début des années 90. On peut rapporter les apparitions de Cat Sidhe, un grand chat noir qu'on rencontre parfois dans les Final Fantasy. Autre créature du bestiaire fantastique : les dullahans. Ceux-ci possèdent de nombreuses représentations vidéoludiques. À l'origine, il s'agissait de fées qui peuvent retirer leur tête et seraient à l'origine du mythe du cavalier sans tête. Il n'en faut pas plus pour nommer aussi les lourdes armures sans têtes dans certains RPG comme dans Vagrant Story, Dragon Quest VIII ou encore Golden Sun : l'âge perdu ainsi qu'Obscure Aurore où il fait office de boss optionnel.
Ce biais celtique est prolongé par toutes les légendes d'Arthur et du saint Graal. Certes, on m'objectera qu'Arthur est surtout connu pour se balader en caleçon afin de sauver sa dulcinée dans la série des Ghosts 'n Goblins. Rappelons qu'à l'origine il s'agirait d'un personnage historique sur lequel se sont greffés bien des mythes et légendes. Il est tout à fait naturel que le jeu vidéo les ait exploités, que ça soit récemment avec King Arthur sur PC (2010, Neocoregames) ou Tomb Raider Legend ou alors au début des années 80 avec Sir Lancelot (1983, Xonox, Atari 2600, ColecoVision, Commodore 64). Et ceux qui veulent rigoler peuvent toujours essayer de dénicher le Sacré Graal des Monthy Python sur PC.
Je pourrais parler de bien d'autres mythologies, comme la sumérienne, les amérindiennes ou jeter un coup d'oeil sur ce qui se passe en Océanie (mais bon, les commentaires sont faits pour ça :p). Néanmoins, leur utilisation par les jeux vidéo se révèlent des plus limitées. (Je peux éventuellement citer Les Chevaliers de Baphomet : le bouclier de Quetzalcoatl ou encore le cas d'Astaroth et de Gilgamesh...) En outre, une fois qu'on a regardé les mythologies du monde réel, on pourrait aller encore plus loin et s'intéresser aux mythologies créées par les jeux vidéo. Zelda, Warcraft, Myst, Starcraft sont quelques noms qui me viennent à l'esprit. On pourrait comparer quel est leur part d'inspiration dans les autres mythologies et la part fictive. Ceci serait allé trop en profondeur et je ne pense pas qu'un simple article de blog suffise pour répondre à cette question.
Gilgmaseh, ou l'un des plus gros combats de FFVI.
L'histoire sans fin
La mythologie est le creuset d'une culture, celui qui permet d'en chercher et d'en découvrir les fondements. Mettre au point une mythologie permet à une société de se donner des repères. Il est donc tout à fait naturel que le monde vidéoludique s'en soit approprié pour des processus narratifs : objets, personnages, créatures, lieux, si ce n'est une reprise du mythe lui-même. De fait, les mythologies sont énormément appelées dans les jeux d'aventure, de rôle et de stratégie, plus rarement dans les autres catégories. Certainement parce que l'emploi d'un scénario un tant soit peu travaillé est obligatoire dans ceux-là. Je dirais qu'aujourd'hui, l'usage des mythologies dans le jeu vidéo est à la fois exponentielle et restreinte. En effet, on constate que les mythologies sont de plus en plus présentes, le temps et l'implication créative aidant. Mais on constate un cantonnement à certaines mythologies, celles que le public acheteur connaît le plus. Et le public qui achète du jeu vidéo est en grande majorité occidental. Les softs sont calibrés pour ce public-là. Mais cette donne changera peut-être un jour si les marchés émergents du jeu vidéo auront la capacité à développer leurs propres titres et que ceux-ci seront accessibles au public occidental.
Je finirai par un adage : usage de la mythologie n'est pas forcément synonyme de bons titres. Si un éditeur veut se garder d'une mauvaise utilisation, qu'il regarde du côté de la belle daube que fut War Gods et son véritable environnement 3D pour épater la galerie!
P.-S. Qu'on me pardonne pour l'absence d'articles ces derniers temps, mais le concours Gamekult m'a pas mal occupé. Avec à la clef un sweat <<°o°>> Et un article comme celui-ci ne s'écrit pas du jour au lendemain !
P.-S bis : Exclusif !! On a trouvé Hercules pour le prochain Dragon Ball en Turquie !