Qu'on ne s'y trompe pas, même si Race Driver GRID n'est pas suivi d'un chiffre, il est le résultat d'une lignée de jeux qui
l'ont forgé jusqu'à aujourd'hui. A chaque génération de consoles, cette
saga de jeux de voitures a toujours évolué. Le premier symptôme de cette évolution est la mutation de son titre. Ainsi, GRID est le descendant de la série des TOCA (pour Touring Car) sur PlayStation. Principale qualité du jeu et
première pierre à l'édifice présent encore aujourd'hui comme marque de
fabrique : la déformation extrêmement détaillée et réaliste des
véhicules aux impacts. Devenu TOCA Race Driver à l'ère des 128
bits, ces nouveaux épisodes introduisent audacieusement la fiction dans
un genre qui en est dépourvu. Ainsi, le joueur est devenu acteur et
héros d'une vie de pilote faite d'objectifs, de gloire et de renom sur
fond de rivalité latente. Sur Xbox 360 et PlayStation 3, la marque TOCA laisse se place à une nouvelle gamme de jeux développée par l'éditeur Codemasters : Race Driver GRID (il ne reste plus que deux Touring Cars sur la quarantaine de véhicules proposés dans GRID, signe assez révélateur des changements opérés), aux côtés de DiRT, l'autre grande nouvelle franchise réactualisée de Codemasters, celle de Colin Mac Rae.

Le monde de GRID, mode principal de ce nouveau jeu, est la nouvelle
innovation. Assimilable à un mode carrière, le jeu prend du recul sur la fiction de ses prédécesseurs dans le but de laisser une plus grande
marge au joueur. Cette carrière est votre histoire personnelle de pilote virtuel. Le jeu commence par demander le nom et le prénom du joueur,
pour le situer dans un classement de 500 pilotes. Si vous avez un peu de chance, votre prénom est enregistré dans la base de données vocale. Ainsi, les membres qui composent votre équipe, le
directeur d'écurie, la manageuse et votre coéquipier pourront prononcer
votre prénom en pleine course, renforçant l'identification du joueur au
pilote imaginaire du bolide (le jeu est d'ailleurs assez vivant grâce
aux nombreuses répliques qui émaillent les courses).
Ne laissant pas
complètement tomber la fiction, le jeu s'ouvre sur un plan de la Terre
vue de l'espace avant de zoomer sur la Californie pour enfin arriver sur la grille de départ à bord d'une Viper, entrecoupé par le titre et le
nom du studio de développement sur fond noir, comme l'ouverture d'un
film. Cette course de test est effectivement le début d'un film, celui
de votre vie, une idée sans doute à l'origine de l'intégration du mode
flashback qui permet au joueur de revenir en arrière après un crash
fatal pour repartir sur les chapeaux de roues. Vous faites ensuite la
connaissance de votre directeur d'équipe par micros interposés et vous
l'imaginez tout droit sortie d'un film de série B comme Le Jour du
Tonnerre, chewing-gum, casquette de base-ball, barbe de cinq jours,
lunettes d'aviateur et un blouson de cuir comme accessoires.
L'interface du jeu prend pour décor le garage du joueur, encore miteux, et d'une
voiture beaucoup moins rutilante que celle de test. La manageuse,
inévitablement doublée d'une voix sexy vous présente dans les grandes
lignes les objectifs de votre carrière : agrandir votre garage, vous
faire un nom, devenir riche. Le jeu propose ainsi trois circuits :
américain, européen et japonais, chacun réparti en trois marches
couronnées d'un tour mondial, le défi ultime. Au joueur maintenant, de nommer son écurie et de choisir le motif et
les couleurs de celle-ci à travers un système de customisation très
complet aux designs plus réussis les uns que les autres. L'histoire
étant personnelle, les voitures seront elles aussi personnalisées aux
couleurs du joueur, comme un emblème, une marque.
Le jeu va jusqu'à
intégrer une certaine forme de dramaturgie en distillant une musique
soutenant le suspens de certaines courses clés : la dernière pour
boucler une marche dans une des régions, les dernières trois heures
avant la fin des 24 heures du Mans ou encore, en réalisant des défis
contre la plus réputée et crainte des écuries aux deux meilleurs pilotes mondiaux : Ravenwest (amusant : votre directeur d'écurie se montrera
toujours résigné quand vous courrez contre elle).

Pour mettre en pratique le monde de GRID, le jeu puise son système de progression dans celui d'un RPG, un peu comme la série Gran Turismo dans son propre mode GT. Cette progression, GRID la réalise selon deux paramètres. Le premier, ce sont les points de
réputation. Ces derniers sont assimilables à des points d'expérience qui permettent d'accéder aux différentes marches de chaque région. Une fois que les points cumulés de chaque région atteignent le million,
vous débloquez le circuit mondial. Nous arrivons ici au premier point
contestable de GRID. Comme souvent avec le RPG, c'est plus la
répétition et l'abnégation qui permettent au joueur de réussir que les
performances réelles, les coups d'éclats. Or, il est assez facile de
constater que les dés son pipés en faveur du joueur. En effet, même en
obtenant des résultats moyens, il est presque impossible de ne pas
réussir à progresser dans le classement. Les premiers pilotes mondiaux
atteignent entre trois à quatre millions de points de réputation et
n'évoluent presque jamais le long des saisons, ou si peu. Ainsi, le
joueur progressera dans le tableau mondial à chaque saison, le
rapprochant inexorablement de la première place. Le nombre de points
définitivement attribués au joueur (ce qui n'est pas le cas des autres
pilotes !) lui assure une place toujours quasiment solidement acquise
même lors d'une saison blanche. Une fois arrivé au circuit mondial, il lui suffit d'en gagner deux ou trois pour s'assurer la place de premier pilote mondial. Pire encore, le
joueur, le seul pilote à vraiment évoluer, pourra même rapidement
obtenir le double des points du deuxième pilote mondial qui ne le
rattrapera jamais.
On pourrait nous rétorquer assez légitimement
qu'il suffit de changer le niveau de difficulté pour palier au problème. En vérité, les points d'expérience évoluent en fonction de la
difficulté choisie. Conduire en mode extrême - le mode le plus difficile - donnera au joueur beaucoup plus de points de réputation même s'il ne
parvient pas à être premier à toutes les courses (le jeu n'est par
ailleurs pas insurmontable). Ainsi, la progression du joueur est sans
entraves puisque compensée par le rééquilibrage selon la difficulté.

Le deuxième paramètre pose lui aussi le deuxième problème : l'argent. Le
jeu propose d'ailleurs d'excellentes idées au niveau de la gestion
d'équipe. Tout d'abord, selon la renommée des compétitions remportées,
différents sponsors viendront faire des propositions au joueur. Ce
dernier décidera de placer les marques sur ses voitures comme bon lui
semble (un sponsor majeur, des sponsors mineurs) selon le contrat
stipulé : arriver à une place minimum par course, terminer sans dégâts sur la
voiture etc. Plus encore, il est possible d'acheter ses voitures
d'occasion via Ebay Motors et de tenter de faire la meilleure affaire
sur un modèle. Le joueur peut également placer une annonce pour espérer
obtenir plus d'argent via les enchères qu'en la vendant directement à un prix fixe, ce qui reste possible. Enfin, il est possible pour le joueur de courir pour des autres équipes que la sienne le temps d'une course
avec des objectifs précis. Ici, très peu de points de réputation à
gagner, mais des cachets aux montants intéressants et des primes
alléchantes en cas de réussite au contrat demandé.
A la vue de ces
différents éléments proposés, il est facile d'imaginer devoir jongler
avec les finances de son équipe pour parvenir à acheter de nouveaux
véhicules, obligatoires pour participer à certaines courses. On
s'imagine par exemple, courir pour une autre équipe pour réunir tout
l'argent nécessaire afin d'investir dans un véhicule hors de prix. Il
n'en est rien, le jeu se sabotant. Si les sponsors sont obligatoires
pour parvenir à se faire de l'argent, rien n'est spécialement
stratégique dans le choix de ces derniers. L'argent coulera de toute
manière à flot, ce qui rend inutile la participation ponctuelle dans une autre équipe. En conséquence, il est possible d'acheter, avec un
minimum de méthode, toutes les voitures neuves et de n'en revendre
aucune. Enfin, Ebay Motors est rapidement relégué au statut de gadget,
petit gimmick publicitaire intégré au jeu.
Plus encore, en dépit du masque de jeu au soupçon de gestion d'équipe, il est impossible de perdre de l'argent dans GRID. Par exemple, les accidents sévères ou la destruction complète vos
voitures ne coûteront rien à votre équipe. A la vue de la nature
volontairement virile du jeu, cela peut se comprendre. Mais qu'est-ce
qui justifie qu'une fois la possibilité d'embaucher un coéquipier toutes les voitures du jeux sont, comme par magie, en double dans votre garage ? Il est assez déconcertant de constater qu'en acquérant une voiture
comme un prototype du Mans Audi R-10 à quinze millions d'euros, une
autre vous est offerte pour votre coéquipier, gratuitement. Là encore,
rien ne vient jamais entraver la progression financière du joueur,
implacable. Le coéquipier n'est pas un risque, mais un bonus assuré, une récompense supplémentaire, une étape vers la gloire. Il n'est là que
pour gonfler vos recettes. En effet, il prend un pourcentage fixe de vos revenus. Si vous gagnez beaucoup d'argent, il en prend une part
importante, si vous ne gagnez rien, il ne prend rien non plus.

Le
monde de GRID, cette histoire personnelle, cette carrière propre au
joueur est en réalité écrite depuis le début. Vous serez l'une des
écuries les plus riches, croulant sous les euros tout comme vous
terminerez fatalement, inévitablement et même contre votre gré premier
pilote mondial. Le jeu, dépourvu d'une histoire linéaire (et de
cinématiques comme les épisodes PlayStation 2), propose de réaliser les
courses dans l'ordre qui convient au joueur. Il n'en est hélas pas plus
libre, puisqu'il ne peut échapper à sa finalité. Contrairement aux
contrats d'un V-Rally 3  entre une équipe et le pilote, le rapport donnant/donnant n'existe pas
ici. Aucune saison ne remettra en cause le joueur. Sans doute GRID fait-il partie de ces jeux qui ne veulent jamais causer de déplaisir au joueur. Il faut sans cesse le gratifier, lui montrer qu'il progresse,
qu'il est le meilleur. Mais une fois cela découvert, tout l'habillage du monde de GRID s'évanouit, carrière de pilote décidée à l'avance, sans
enjeux et donc sans mérite.

 

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