Réaliser le reboot d'un jeu aussi marquant et innovant que Deus Ex, dans un contexte actuel où toutes les licences sont casualitées à outrance pour cibler un public plus large, c'est le défi qu'a dû réaliser Eidos Montréal. Depuis l'annonce du jeu, nos cousins québécois avaient mis les puristes en confiance avec des trailers de haute volée, mais les nombreux retards qu'ont subis le jeu n'étaient pas très rassurant.
Cependant, cette attente est justifiée, largement. Techniquement Deus Ex : HR est un bijou : pas que son moteur graphique et physique soient particulièrement bluffant ou au (même ?) niveau des FPS actuels, mais l'effort graphique qui ressort de chaque recoin, regorgeant de détails, est étonnant. L'univers dystopique cher à la série, vision très cyber-punk et très sombre d'un futur assez proche sur Terre, est plus que respecté, il est encore plus abouti et crédible que dans le premier jeu.
Les quelques villes que vous allez visiter au cours de votre aventure possèdent toutes une ambiance bien particulière. Centres urbains high-tech aux vitrines de magasins remplis de trésors, elles comptent aussi de nombreux ghettos et autres ruelles coupe-gorges fréquentés par divers rebuts de la société. Le level design est d'une qualité quasiment jamais vue : pas de longs couloirs vides et autres rues bloquées par un camion au milieu de la route : non, ici vous évoluez dans un véritable quartier ouvert (pas immense mais on peut quand même se perdre un peu) mais dont la densité de population vous rendra presque claustrophobe. Vous pourrez visiter ces endroits à votre bon vouloir, des égouts jusqu'aux toits des immeubles, avec des panoramas sur la ville très réussis. Ce sont des lieux de passages où vous remplirez des quêtes annexes entre vos missions principales.
Il ne s'agit en aucun cas d'un autre de ces shooters futuristes comme on en voit arriver tous les mois, non Deus Ex est vraiment identifiable entre mille, loin des habituels clones faits à l'Unreal Engine.
Le design se veut très réaliste, bien que sombre (la plupart du jeu se déroule de nuit et dans des lieux plutôt mal éclairés), les lumières souvent dorées ou argentées apportent une touche artistique qui sait tout à fait mettre en valeur des textures assez simples à la base, pour un rendu final d'une propreté exemplaire. Parmi les influences notables, on notera un côté Blade Runner pour les connaisseurs. Ces environnements sont tellement bien pensés, que le simple fait de se rendre dans une « base ennemie » dans un coin reculé de la ville peut nécessiter un travail d'exploration énorme. Passer par la porte principale très bien gardée est peu recommandé, et les chemins annexes ne sont pas si évidents que ça à trouver. Ils sont surtout très nombreux, proposant par exemple de contourner la base à revers par les égouts de la ville pour se retrouver en plein milieu du camp ennemi. Ou alors de monter sur le toit d'une rue proche pour rejoindre le champ de bataille par la hauteur. Chacun de ces chemins risque de ne pas vous être accessible en fonction de la façon dont vous avez fait évoluer votre personnage. Pas assez fort pour porter le distributeur qui cache la bouche d'aération, pas assez athlétique pour sauter par dessus le vide sur le toit, ou encore pas assez puissant pour casser le mur fragile qui vous permettrait de prendre un raccourci.
En gros pour faire simple, rejoindre le lieu pour terminer votre mission demande un vrai travail d'exploration, de contournement, il va falloir s'adapter pour passer. Il est aussi possible de foncer dans le tas, et de la jouer comme n'importe quel fps classique, et passer à côté d'un tas de choses (et de points d'XP), par contre même en normal le jeu est très dur, 3 balles et vous êtes mort, donc si vous alarmez les gardes vous avez quasiment aucune chance d'en venir à bout, mieux vaut fuir, surtout que les stocks de soins sont assez rares.
À titre de comparaison on retrouve vraiment le plaisir qu'on pouvait avoir à jouer au premier Metal Gear Solid par exemple, sauf qu'ici on meurt bien plus vite. Par contre là où la comparaison avec MGS s'arrête, c'est au niveau du scénario. Rien à redire sur le background de l'univers, la richesse des détails et l'immersion proposée. Cependant le déroulement du scénario est assez prévisible et classique. Dans la même idée, les rares choix à faire au cours de l'histoire ont un impact assez limité sur la suite des évènements, et les fins multiples promises sont certes déblocables en fonction de vos actions (dans la dernière mission principalement), mais ne vous proposeront que de changer la cinématique de fin. Il suffit de faire une sauvegarde avant la fin pour toutes les voir à la suite, ce système est un peu trop cartésien à mon goût.
Pour en revenir à quelque chose de plus positif, le gameplay donc : on retrouve ce plaisir un peu vicieux qu'on a dans les deux derniers Fallout : d'aller fouiller un peu partout dans les affaires des gens, même si la mission ne le demande pas, piratage de coffres forts, d'ordinateurs personnels. Dans certains cas une porte réclamera un niveau de maîtrise que vous n'avez pas encore, tant pis, il faudra trouver un autre moyen d'accéder à cette pièce, ou revenir plus tard pour trouver un petit bonus intéressant. Soit dit en passant le « mini-jeu » de piratage proposé par Deus Ex est le meilleur qu'il m'ait été donné de voir, et sans placer des points d'XP dans ce domaine, il sera quasiment impossible de réussir à débloquer autre chose que les protections de faible niveau. Cependant de rares « jokers » peuvent être trouvés et utilisés judicieusement pour simplifier le processus et laisser une chance aux hackeurs de plus petits niveaux. Un maitre du hack qui a placé ses augmentations dans ce domaine pourra quant à lui prendre le temps de « visiter en profondeur » les réseaux pour piller de l'xp et des bonus en plus du contenu de base du coffre/ordinateur (éteindre une caméra, lire des mails privés, etc...)
Pour ce qui est de l'infiltration, on a entre les mains un petit bijou dans la veine des Splinter Cell de la belle époque. Une IA de qualité, des rondes de gardes réalistes, pas des idiots posés là sur votre passage le dos tourné à attendre que vous veniez les tuer par derrière. Il sera important de marcher lentement quand vous les approcher pour ne pas vous faire repérer au bruit, certains d'entre eux resteront toujours en petit groupe, qui sera parfois quasiment impossible de neutraliser d'un coup, et quand ils se déplacent sur leur ronde, il leur arrive de jeter un coup d'œil au hasard comme ça à droite ou à gauche, et pas juste marcher tout droit en fixant droit devant eux comme des robots sur un rail. Ah oui, ils voient à un peu plus que 10m devant eux... contrairement à certains jeux du genre.
Bref la tâche ne sera pas facile si vous voulez la jouer furtif, les cartouches de sédatifs sont rares, de plus, un garde voyant son collège dormir va le réveiller (à vous de bouger les corps). Les éliminations au corps à corps restent très efficaces, à condition d'arriver accroupi ou en marchant au pas pour limiter le bruit. Cependant la récompense d'xp pour des neutralisations non létales et furtives est grande.
Le gameplay du jeu peut être très varié, ou pas vraiment si vous adoptez toujours la même tactique. La durée de vie est donc difficile à évaluer, si vous essayez comme moi de finir le jeu sans tuer un seul garde et sans vous faire repérer, ça va prendre beaucoup plus de temps que le type qui monte sa santé à fond et fait le jeu avec un über fusil à pompe du futur !
Il y a quand même un « mais » à tout ça, les missions ont tendances à toujours proposer la même approche : infiltrer une base ennemie. On regrettera l'absence de variété de situations, du genre : tenir une position alliée, s'échapper d'un lieu, sauver des otages...
L'XP récupérée ne vous permettra pas de placer des points en "force, dextérité, endurance..." comme certains RPG. Ici vous devez seulement placer des points pour débloquer les « augmentations » de votre personnage, et vous spécialiser dans les domaines que vous jugez les plus importants, force brute, furtivité, piratage, précision,.... en débloquant des capacités bien particulières, qui peuvent considérablement changer l'expérience, allant même jusqu'à influencer sur le HUD par exemple.
Pour les anglophones la VO est fortement recommandée, d'une qualité excellente, la VF est un peu en retrait à côté. Mais l'ambiance sonore globale du titre reste de très bonne facture, avec une OST de grande qualité.
Pour conclure, je dirai donc que ce jeu, dans son domaine, atteint presque la perfection promise. Même si on aurait voulu encore plus de liberté, de possibilités, de choix... Il va mettre en tout cas la barre assez haute pour les prochains titres du genre... Qui sont malheureusement bien trop rare.
NOTE: 17/20