Après avoir pu goûter aux affres d'un hypothétique futur apocalyptique avec Fallout, c'est au tour de Planescape Torment (2000) d'embarquer le pauvre joueur dans les limbes de sa paranoïa. La fin des années 90' représente pour le gamer PC une sorte de saint Graal vidéoludique, une empreinte nostalgique d'une époque radicalement différente où malgré un business florissant, les oeuvres originales étaient légion.
Théorie du complot
Différente ? Pas si sur si l'on tient compte du fait que Sanitarium (1998) n'eût pas la chance de prétendre au destin qu'il méritait. En effet le titre de DreamForge Intertainment jugé trop glauque, s'attira la fulgurante mais non moins divine foudre du CSA et s'en retrouva retiré de la vente une semaine après sa sortie.
Etrange décision s'il en est, car il est de bon ton de rappeler qu'un an auparavant sortait Grand Theft Auto, sorte de simulation de gangster savamment violent pour l'époque.
Bref, une bien belle occasion de se demander s'il était vraiment question d'interdire la violence ou plutôt de brider une étrange forme de créativité, un peu morbide certes, mais diablement "aware".
Si vous voulez mon avis, la principale raison de cette censure abusive réside dans une scène où le cadavre d'un enfant mort est déterré, sujet apparemment très sensible puisque Rule of Rose a plus récemment subi le même sort. On pourrait aussi citer Fallout 3 dans lequel il est maintenant impossible d'assassiner des enfants.
Dieu merci, le jeu a maintenant reçu ses lettres de noblesses d'un public nostalgique ou tout simplement encore interessé par l'aventure sorti d'Outre-tombe.
Il est ici question d'un point'n'click prenant place dans un univers purement phantasmagorique, sorte d'échelle de Jacob vidéoludique, à mi-chemin entre un épisode de Twilight Zone et un bouquin de Stephen King, Sanitarium puise ses inspirations scénaristiques d'un peu partout tout en prenant bien soin de trimballer le joueur en Terra Incognita.
Je n'apprendrais rien aux afficionados du genre si je disais qu'il n'y a rien à voir ici avec un Discworld 2 ou un point'n'click estampillé LucasArts, puisqu'il est question d'énigmes plutôt simples, concu dans la limite d'une logique qui reste humaine. Mais que la faible dificulté ne vous dissuade pas de poser vos (sales) mimines sur ce bijou de l'aventure PC, tant le soft s'appuie sur une ambiance scénaristique hors-pair.
Home Sweet Home
Il est question de Max, un amnésique un peu concon, qui fraîchement réveillé se découvre un asyle de fous comme nouvelle demeure.
Ne se rappelant même plus de son propre patronyme, notre héro tentera, au prix de son équilibre mental, de percer le mystère de son existence et de ce qui entoure son arrivée chez les fêlés.
Mis en scène subtilement, Sanitarium dévoile ses bribes de scénario par l'intermédiaire de cinématiques représentant l'esprit torturé du jeune homme.
Il n'est pas rare alors de voir se dérouler plusieurs fois la même scène, ajoutant un tronçon de mémoire supplémentaire aux précedentes rongées par l'amnésie.
Cette façon de traiter le souvenir humain et d'appliquer le concept à la narration du jeu rappelle beaucoup Planescape Torment sorti 2 ans plus tard sur PC, si les enjeux métaphysiques et l'ambition sont différents, la façon de narrer l'histoire et d'intriguer le joueur reste très similaire.
Tout comme l'illustre pré-cité, le dépaysement est le maître môt de Sanitarium, voyage hallucinatoire entre débris de souvenirs et fantasmes morbides, le jeu se compose de neuf niveaux à difficulté grandissante. L'un d'eux, particulièrement marquant, représente une ville mystérieusement desertée par les adultes, il ne reste que des enfants aux membres tuméfiés affublés de visages terriblement déformés. Ils ont pour seul et unique "Mère" une entité qu'il ne tiendra qu'a Max d'en découvrir le vrai visage et toute une série de passe temps extrèmement glauque, du simple cache-cache à l'exhumation de cadavre.
Ces bouts de cauchemars traçent le fil inconscient d'un joueur funambule, et participent à la confusion général de Max tout en dévoilant pas à pas les ficelles d'un scénario alambiqué qui, malgré un twist décevant, parvient à passionner son audimat.
Un classique très classique
Le joueur tissera donc sa toile par le biais d'un gameplay des plus basiques, reprenant les interactions pointez-cliquez propres aux genres. Si le déplacement de Max se déroule sans encombre, le pathfinding quant à lui vous réserve quelques improvisations surprises mais ne constituent pas de freins au soft.
Vous pesterez bien plus si vous possédez la V.F du jeu, car même si la traduction est de bonne facture, il n'en va pas de même pour les doublages un brin stridant. Ceci-dit, les joueurs de l'époque retrouveront avec plaisir et nostalgie le son un peu pourri des voix Made in France.
Que dire, si ce n'est que Sanitarium marque qu'on le veuille ou non, une fin de décennie riche en perles vidéoludiques. Planescape, System Shock, Fallout, il est reflet d'une époque peut-être moins standardisée et plus permissive dans le choix de son public, où le brin de folie de certains designers parvenait à créer un onirisme uniquement atteint dans la littérature ou la bande dessinée. Scénario captivant et dépaysement suprême, il engouffre le joueur dans la spirale de ses élucubrations morbides tout en ayant la modestie de ne pas prétendre à des ambitions qui lui sont hors de portée.
Un soft mémorable qui, même s'il ne représente pas la figure de proue du genre, reste un classique que l'on se doit d'essayer.