Tout d'abord, loin de moi l'idée de dénigrer Final Fantasy. J'ai énormément d'admiration pour cette série, qui aborde évidemment des thèmes beaucoup plus divers que l'amour, mais il est vrai que, parfois, des scènes ont été mal comprises, ou ont été développées de telle sorte qu'au final, elles dégoulinaient de guimauve, elles étaient niaises. On pensera à Cloud et Tifa dans un espèce de jardin pour enfant qui se font des promesses sous le ciel étoilé ; à Linoa qui tombe béa dans les bras de Squall au milieu d'un champ de fleur ; à Tidus et Yuna qui s'enlacent à moitié plongés dans un lac... On pourrait penser que c'est la patte Nomura qui veut ça, volontairement adolescent dans ses représentations. Ce n'est pas tout à fait faux ; mais il y a aussi autre chose qui fait perdre de sa valeur à ces scènes, quelque chose qui vient de la tendance de la série à parler beaucoup.
Dans Shadow of the Colossus, la chose qui frappe lorsqu'on termine le jeu (la suite garantie sans spoiler), c'est qu'on a compris le propos alors même que les dialogues du jeu doivent tenir sur une page. Comment un jeu muet peut-il avoir un impact émotionnel aussi fort? Comment expliquer qu'un Final Fantasy, aussi bavard soit-il, ne parvienne pas à retranscrire aussi justement les sentiments du héros? Lorsque Tidus exprime ses sentiments pour Yuna, même implicitement, on a un peu de mal à y croire, on a le sentiment de quelque chose de factice, d'éphémère, de fade, comme si ce qu'il disait ne convainquait personne. Cette faiblesse dépasse le cadre de Final Fantasy, et c'est l'aspect très bavard de la série qu'il aurait fallut changer pour rendre ces scènes plus percutantes.
Car les mots échouent bien souvent à retranscrire des émotions, des sentiments qui sont pourtant véritables, profonds. Le langage est inneffable, car il est explicite. Au contraire d'un Shadow of the Colossus qui, lui, en laissant l'imagination du joueur travailler, demeure très implicite : en effet, si l'on s'y attarde, si l'on prend le temps de décrypter ses codes, la révélation de son message provoque alors une prise de conscience forte de nous-même et de notre rapport au monde. Révélé de manière implicite, la portée du message est autrement plus importante, plus percutante que si il n'avait été exprimé que par des mots. On le voit lors de la scène final de SotC, où le malheur qui arrive sans un mot à Wanda vis-à-vis de sa bien-aimée est hautement communicatif. On devine bien ce qu'il ressent à ce moment-là, et le fait qu'il parle peu ajoute à l'identification. Nous sommes en phase avec Wanda, on pourrait presque dire que nous sommes Wanda et que ce que les émotions qui le bouleversent nous émeuvent tout autant. C'est en cela que Shadow of the Colossus se rapproche plus de l'oeuvre d'art qu'un Final Fantasy.
Shadow of the Colossus est plus subtil, il ne cherche pas à imposer des émotions, juste les proposer de manière bien plus convaincante, car il provoque cette prise de consicnece parfois violente dont je parlais plus haut. Après tout, Baudelaire disait "Le beau est toujours bizarre." Et c'est tout à fait ça : S'il avait été explicite, s'il n'avait pas ce génie, des jeux comme Shadow of the Colossus ne seraient sans doute pas de l'art, mais des jeux utilisant un langage banal parmi d'autres. Comme une large part de mystère est préservée dans la narration et les personnages de SotC, une sensation d'étrangeté, de chose inssaisissable se fait sentir ; alors qu'un Final Fantasy préfère être plus direct, dire les choses clairement.
Au final, Shadow of the Colossus et Final Fantasy traitent du même sujet, à savoir l'amour, mais le ressenti du joueur face à cette émotion commune est très différent d'un jeu à l'autre. On pourra aussi remarquer que c'est valable pour d'autre sentiments, comme la mort, le regret, le deuil... mais curieusement, l'amour garde ce côté "à double tranchant" lorsqu'il s'agit de le traiter. Mais il s'agit sans doute d'une autre question...