Je me désattristais comme un petit fou sur Mass Effect 2 (oui, je joue toujours avec au moins 1 an de décalage) lorsque j'entendis la porte sonner : "Tiens mais c'est The Last Story ! Qu'est-ce que tu fais là mémère? C'est qu'on avait complètement oublié ton existence."

 Qu'on se le dise, jamais l'Occident n'a été aussi puissant que sur cette génération de console ; si puissant qu'il a réussi l'exploit de laisser les Japonais en retrait.C'est bien simple, le RPG, genre auquel je ne cours pas après, semblait avoir quitté son enveloppe de vieille fille frigide pour sauter à pieds joints dans une mini-jupe et des collants racoleurs ; là où le J-RPG ne faisait que s'enlaidir à ressasser son passé et, à travers son vieux bec poussiéreux balisé d'une dent tous les six mètres, aboyait en gromelot sur les passants : "Ah, ces jeunes, quelle bande de petits cons (va!)." Mais alors que j'expliquais à une journaliste de la Citadelle ma façon de conduire une interview en lui mettant mon poing sur la gueule ; la triste réalité refit surface : la vieille folle, elle était pas morte. Pire : elle voulait qu'on lui prête mille attentions. Jacob détourna le regard, Thane replongea dans ses méditations et Garrus fit mine d'être "en plein calibrage". Bref, je me dévouais à accueillir The Last Story et à l'insérer dans mon anachronique Wii. "Appelez-là Madame" qu'on me recommande. "Un classique" me dit-on. Oh...

 

Attends, "classique" dans quel sens?

 En effet je ne fus pas déçu du voyage. A commencer par l'histoire. C'est au côté effroyablement naïf de l'histoire et d'un déjà-vu éreintant qu'on reconnait la "Sakaguchi's touch". Il y a bien quelques rares scènes sympathiques qui parviennent à vaguement surnager, mais c'est pour aussitôt replonger dans le médiocre. L'histoire ressemble d'ailleurs énormément à celle de FF IX à tel point que c'en est indécent : la princesse qui s'emmerde dans son château, la bande de petits amis qui va la délivrer des méchants ("Je vous protégerai de ma vie Calista !" Ouais, en attendant c'est elle qui te soigne donc fais profil bas), une puissance ancestrale endormie... A croire que la vieille mégère ne s'embarrassait pas de la morale lorsqu'il s'agissait d'inceste.

 Sauf qu'avec FF IX, ça passait bien, puisque l'histoire et la narration enfantine s'accordaient aux décors, aux couleurs, aux personnages, qui étaient eux aussi enfantins. Elle se payait même le luxe de glisser quelques réflexions philosophiques, parfois même dures, à travers notamment le personnage de Vivi (Kazushige Nojima rôdait sans doute derrière, à serrer les boulons du père Sakaguchi). Dans The Last Story, c'est le contraire : les persos sont de jeunes adultes et l'ambiance est souvent sombre, donc sérieuse. Il y a bien des persos assez travaillés et un peu moins niais que ce à quoi je m'attendais, ainsi qu'une timide allusion à la dissuasion nucléaire, que l'on salue poliment, mais rien de grave. Et dire que le jeu devait être encore plus sombre. Avec une histoire pareille, quel contraste ç'aurait été !

 Bon, vous me réveillerez à l'entracte...

 

Lâche cette Wii, tu veux? Elle va finir raide morte avec tes âneries.

 C'est un peu comme si Mass Effect, ce jeune et clinquant garçon, avait voulu faire une échappée sur Wii. Et bien il serait devenu grabataire le pauvre enfant. Ici, c'est pareil. J'ai quand même été étonné de voir combien certaines zones de jeu étaient grandes, à quel point les temps de chargement étaient finalement assez courts, et comment il s'en sortait remarquablement bien lors de certaines batailles, alors qu'il y a 6 alliés à nos côtés, des dizaines d'ennemis en face et que ça pète de partout. Du reste, chaussez vos verres correcteurs : mamy ne sachant plus trop se tenir, les textures bavent, certains effets de lumière rendent vraiment pas terrible, et il y a par moments de grosses chutes de framerate. Sans parler de notre ami l'aliasing en très grande forme La Wii n'en peut plus et elle préfère demander grâce, en particulier pendant les cinématiques et les tutoriels (!), où elle nous fait un tintamarre d'accès disque que je ne lui connaissais pas. Bon dieu, ma pauvre, elle t'a pas raté, mais n'ais crainte, je ne la laisserai plus t'approcher !

 Heureusement, la direction artistique est là pour nous éviter la myxomatose, et elle assure un max. Les décors et le style du château est très inspiré, on a d'ailleurs droit à chara-design que j'apprécie beaucoup. Mention spéciale d'ailleurs aux vêtements : on peut mettre tous nos persos à poil, ou au contraire les habiller de tous les types de vêtements et de toutes les couleurs possibles, avec répercussion dans les cinématiques. Même si je me fiche un peu de toutes ces fonctions, là je veux bien dire "Madame". Du reste, c'est encore une fois du cent pour cent classique : ambiance médiévale à la japonaise, que Dragon Quest pratiquait déjà en 1986. Si comme moi vous n'en pouvez plus de ce genre d'ambiance, alors apprêtez-vous à passer un sale quart d'heure (un peu plus en fait).

 

Les clichés organisent une compèt'

 Pour ce qui est de la durée de vie, pour le coup, je ne laisserai personne s'en prendre à cette vénérable grand-mère qui a su rester raisonnable. J'ai encore l'amer souvenir de l'ami FF XII qui m'avait séquestré pendant 60 heures en m'assommant de "Hé regarde, avec cette quête annexe tu peux rallonger ton temps de jeu d'au moins 3 heures." Derrière les barreaux crasseux de ma cellule, Silent Hill 2 et Shadow of the Colossus se faisaient un sang d'encre. Et quand je demandais à ce fou furieux s'il avait éventuellement pour projet de se terminer un jour, celui-ci se contentait de me tendre la manette en m'annonçant d'un sourire cruel et défaillant : "Tiens, je t'ai gardé quelques grilles de permis à compléter, là, bien au chaud".

 Si d'aventure vous faites partie de ceux qui n'ont que faire du levelling abusif et des quêtes annexes sans intérêt, ces générateurs d'ennui encouragés par ces salauds de collabos ; et que vous n'êtes ici que pour passer un temps sensé sur un jeu sans que d'autres titres laissés en attente n'en pâtissent ; alors vous passerez tout de suite plus volontiers outre les premières rides de The Last Story, qui dure donc une vingtaine d'heures. L'aspect couloir passe très bien, il n'empêche pas les petits secrets et bonus cachés d'éclore à droite à gauche, et il permet au moins de faire s'enchainer la narration de manière agréable, sans temps mort (sauf si vous considérez que toute l'histoire en elle-même est un temps mort). On dirait un peu un RPG japonais accéléré - un cliché de RPG Japonais en fait, avec ce que cela implique de bons et mauvais côté : le jeu propose donc quelques quêtes annexes recherchées et qui apportent vraiment quelque chose, et comporte aussi son lot de quêtes secondaires "pour rire" d'un inintérêt sincèrement abyssal. Idem pour le système d'amélioration des armes, un peu relou quoique simplissime, et qui a eu le génie d'intégrer une option "équipement optimal automatique" pour ceux qui ont d'autres chats à fouetter. Enfin au rayon des détails, on notera que le jeu n'est certes pas sur console HD, mais qu'au vu des textes minuscules affichés à l'écran, ils ont dû s'y croire quand même un peu (le supplice que ça doit être pour les possesseurs de télé cathodique), et qu'il n'est pas possible de passer les cinématique, mais qu'en revanche, si on veut, on peut les regarder en accéléré (la logique japonaise dans toute son ampleur).

 

-Le coeur du jeu est-il atteint? -Non, chef. Enfin pas trop, chef.

 Au final, il n'y a guère que le système de combat qui vaille le détour, alors? Et oui, un système dynamique, qui, en gros, arrive à se renouveler jusqu'à la fin, ou en tout cas à se révéler assez efficace pour ne pas nous endormir en cours de route. La caméra étant toutefois elle aussi un peu acariâtre, il arrive par moment qu'en plein combat, celle-ci refuse de traverser tout son axe de rotation et se bloque sans vouloir aller plus loin. Il se trouve aussi que comme il n'existe pas d'axe de déplacement vertical (on est sur Wii n'oubliez pas), la caméra se trouve donc par défaut au niveau de la tête des persos. Résultat, en combat, il peut arriver que les ennemis, de taille humaine, se regroupent en forme compacte et viennent subtilement se placer devant elle, laissant le joueur apprécier un spectacle son et lumière de polygones qui s'enfoncent les uns dans les autres sur une musique pop (non c'est pas vrai pour la musique pop). Ça reste rare, mais l'action est donc caractérisée par son extrême confusion, certains combats étant ressentis comme très difficiles la première fois, et se bouclant sans que ça ne fasse un pli dès le deuxième essai.

 Et encore, certains choix étranges m'échappent encore. Par exemple, l'absence d'un bouton pour attaquer. Ici, il suffit de s'approcher d'un ennemi avec le stick pour attaquer continuellement de manière automatique. Original. Mais du coup, on n'a pas l'impression de faire grand-chose ; et combien de fois suis-je resté bloqué dans un coin, encerclé par des tonnes d'ennemis prêts à se marcher dessus pour m'en coller une? On aimerait par moments juste avancer dans une direction précise, se faufiler entre les méchants parce que notre barre de vie fait la tronche, mais dès qu'on passe à côté de l'un d'entre eux, les attaques automatiques s'enclenchent et le héros, lunatique comme pas deux, se met à bourriner tout ce qui bouge. Il y a bien une touche pour esquiver, faire des roulades, mais (surprise du chef) elle sert également à se mettre à couvert. Autant vous dire que dans ces situations, s'immobiliser près d'un mur n'était pas du tout ce que je voulais faire. Idem avec l'IA des alliés, qui tantôt fait un très bon boulot, et tantôt va complètement à l'encontre de la stratégie adoptée. Je me souviens d'un moment où j'étais dans les égouts à me battre contre des crabes géants. Mes alliés m'expliquent très clairement qu'ils se régénèrent au contact de l'eau, et qu'il faut donc les attirer dans une zone du couloir qui n'est pas trempée pour les émasculer sans sommation (au passage, les alliés ont gardé cette agréable manie des années 2000 de répéter continuellement les instructions jusqu'à tant que le joueur l'exécute. Délectable). Suite à quoi je me poste donc à l'extrémité du couloir et tente de l'attirer, sauf que ces demeurés s'ingénient à se mettre religieusement en rang d'oignons en face du crabe, de telle sorte qu'il soit bloqué dans l'eau, et à l'assommer de vaines attaques (c'est qu'ils s'appliquaient en plus). Méditation bouddhique recommandée.

 

Mamy a encore du coffre.

 Uematsu sauve l'affaire en appliquant son "Seal of Quality" sur l'OST, notamment avec un thème principal sublimissime, le reste étant efficace, sans gros coup de cœur particulier. Applaudissement général et sifflet du public pour les doublages qui sont dans un accent britannique impeccable et qu'on aimerait bien entendre plus souvent. Quant aux bruitages, ils sont de bonne facture et... (est-ce vraiment une mention importante?).

 La Wii vomit finalement son The Last Story dans un dernier râle d'agonie avant de s'éteindre dignement. Les capes rouges des bédouines de Journey m'effleurent déjà, mais je dois encore raccompagner mon invitée. C'est alors que je fus stupéfait. Tout à l'heure encore aimable comme une porte de prison, la voici transformée en sœur sourire, son visage flasque et fatigué me regardant tendrement. Cette petite vieille en était presque touchante, et puis je me souvins de ma première rencontre avec elle, avec le J-RPG, il y a bien longtemps. A cette époque nous vivions un amour platonique, mais sincère. Elle me disait "-Un jour je serai vieille, et tu me laisseras." "-De ma vie jamais !"... Elle avait disparu du pas de la porte. Je repense alors au titre "The Last Story". Comme un air de déjà vu avec "Final Fantasy", sur lequel Sakaguchi avait parié son poste et après lequel il souhaitait se retirer du secteur du jeu vidéo. Je demande à la bédouine si je dois m'inquiéter, suite à quoi elle couine une forme géométrique en agitant sa jupe. Je crois qu'elle essaye de communiquer avec moi... Mais Dieu merci, Sakaguchi ne représente pas le J-RPG, sa menace de départ ne me troublant pas plus que ça - et me voilà de nouveau libre pour entamer ce fameux voyage vers la "fente maternelle" en haut de la montagne de ce Journey. Et youpi la joie !