Du cinéma et des jeux vidéo peuvent naître des relations incestueuses. Heavy Ra
in assume la dénomination de film interactif, Spielberg supervise Boom Blox, et les adaptations de nos célèbres licences fleurissent dans les salles obscures. Il suffit de se remémorer le récent Resident Evil Afterlife pour le vérifier tristement. ;La "culture geek", terme de plus en plus employé dans les médias, rayonne largement par le biais du cinéma. Depuis le début de l'année, nos salles obscures ont diffusé Sucker Punch dont le réalisateur Zack Snyder assume les références vidéoludiques, Michel Gondry a tourné le Frelon Vert avec Seth Rogen, un geek élevé au rang de star hollywoodienne, et en fin d'année dernière, Scott Pilgrim accumulait les clins d'oeil au jeu vidéo. Cette attraction réciproque a fait naître la curiosité des compositeurs de cinéma, et leur envie de multiplier les expériences dans le loisir vidéoludique. Christopher Tin a récemment reçu un Grammy Awards dans la catégorie "Best Instrumental Arrangement Accompagnying Vocalist(s)" pour le morceau "Baba Yetu" qui figure dans Civilisation IV. Le symbole d'une production musicale à considérer qualitativement.
Un média peu à peu fréquentable
Si la pratique se démocratise, cela fait quelques années que les joueurs mélomanes entendent parler de la contribution musicale des pontes du cinéma au jeu vidéo. Michael Giacchino, compositeur de Star Trek et de Là-Haut, a collaboré avec Steven Spielberg en 2007. Pas sur un film mais sur un jeu, Medal of Honor Airborne ."Il voulait que nous apportions un peu plus de profondeur que les shooters basiques en restant le plus réaliste possible. C'était très agréable pour moi de me sentir comme une part importante d'une équipe. Ce n'est pas comme au cinéma, où l'on vous embarque en fin de projet. Aujourd'hui, on a l'expertise et l'audience pour de grandes musiques orchestrales dans les jeux vidéos." Les limitations techniques des consoles ont été repoussées génération après génération. Mais, dans les années 80, les compositeurs de musique de films montraient peu d'intérêt pour l'industrie vidéoludique. Il faut dire qu'à l'époque des développeurs bidouillaient des puces de Commodore 64 pour générer des gazouillis 8-bit, alors que Georges Lucas imposait le Dolby stéréo en 1977 puis la norme de qualité THX en 1982. Jesper Kyd, responsable de la soundtrack d'Assassin's Creed et du film Hitman, considère que les capacités sonores des consoles actuelles sont essentielles. "J'ai écrit beaucoup de chip music sur C4, Amiga, Genesis, mais aujourd'hui j'apprécie la liberté créative qu'autorise le format CD. Il n'y a plus de limites. Si vous travaillez avec un grand orchestre, mais que vous devez composer avec des limitations technologiques, vous êtes obligé de convertir votre musique dans un taux d'échantillonnage moindre. Il est très important de garder un standard qualitatif élevé."
Activision a fait sensation lorsque son partenariat avec Hans Zimmer, le géant de la musique orchestrale au cinéma, s'est concrétisé. Il est plus que jamais compositeur de blockbusters, cinématographiques comme vidéoludiques. Inception, Pirates des Caraïbes, Da Vinci Code, Gladiator et... Call of Duty: Modern Warfare 2 dont il a composé les thèmes principaux. L'allemand a abordé cette OST comme un novice, même si les réflexes hollywoodiens sont vites revenus. Pour lui, composer pour un jeu vidéo ou pour un film est assez similaire, mais certaines restrictions ont rapidement délimité l'exercice: "Vous ne savez pas quelle longueur cela va prendre pour que le joueur avance. Certaines choses que nous considérons comme acquises, comme la durée dans le cinéma, disparaissent. Nous imaginons des arcs dynamiques larges." Plutôt que travailler pour un personnage qui est un acteur, le compositeur considère le joueur comme le personnage principal. Manette en main et casque sur les oreilles, le joueur est au centre de toutes les préoccupations. Il fait avancer la narration qui est calquée sur son rythme. Autre condition sine qua non à la composition d'une OST vidéoludique, il faut écrire beaucoup plus que pour un film. "Une partie de la musique doit être répétée d'une manière intelligente. J'essaie de ne pas faire quelque chose de redondant ou d'ennuyant. Ici je peux créer une tension puis relâcher l'intensité plus loin. La chose la plus intéressante est certainement la liberté de notre écriture. "
Abolir la dictature de l'image et du montage
Hans Zimmer s'est essayé à la musique de jeux vidéo sur les conseils de son ami Harry Gregson Williams. A la baguette de la saga Metal Gear Solid (en collaboration avec Norihiko Hibino) depuis le mythique Sons of Liberty en 2001, il a composé entre autres, les OST de Wolverine et Man on Fire. Si le californien a insufflé à la saga Metal Gear Solid une ampleur hollywoodienne, Harry Gregson Williams ne semble pas très à l'aise avec le mode de production vidéoludique. "La manière dont la musique change par transitions en fonction des actions du joueur n'est pas gérée par moi techniquement. Je n'ai même pas commencé à comprendre la manière dont la musique était concrètement articulée avec le gameplay. Je m'occupe uniquement de prévoir musicalement l'arrêt soudain d'une action, ou d'une course poursuite impromptue." Harry Gregson imagine et enregistre des musiques pendant toute la création du jeu. Pas de synchro précise sur des images figées, mais des notes et des impressions envoyées par Hideo Kojima. Mon boulot est de fournir des modules de musiques de sorte que l'atmosphère musicale change quand le joueur prend une décision. Je suis dans un travail d'imagination."
A l'opposé d'Hans Zimmer, Jesper Kyd a commencé par le jeu vidéo, avant d'expérimenter le cinéma. Il porte une vision similaire à celle de Gregson Williams. "Pour un film, vous devez faire attention à tout ce qui se passe à l'écran. Vous devenez esclave de l'écran. Chaque note doit correspondre avec ce qui se passe. J'ai beaucoup appris avec la musique de film, et j'ai réutilisé cette connaissance pour le jeu vidéo." Il explique qu'il est possible de venir avec des instrumentations plus originales, qui n'ont pas de résonances directes avec ce qui se passe à l'écran, mais qui ajoutent une composante supplémentaire à l'ambiance. Le compositeur agît sur une vision globale d'une expérience de jeu, là où dans le cinéma il doit composer avec des exigences de montage. Le jeu vidéo apparaît comme un média par lequel il est possible d'exprimer une créativité parfois restreinte dans l'exercice filmique. "Le problème, c'est que l'on appelle toujours cela jeu. Ce mot a une connotation bas de gamme. Mais en tant que musicien, j'ai joué toute ma vie. Donc l'idée de jouer à quelque chose et d'y être impliqué est puissante. La participation est la clé" conclut Hans Zimmer. Un autre compositeur prestigieux doit apprécier "jouer". Clint Mansell signera l'OST de Mass Effect 3. Preuve que les faiseurs de mélodies hollywoodiennes portent un oeil intéressé sur un loisir vidéoludique décomplexé.