Note : Cet article n'est pas de moi mais de Jonah Lehrer pour Wired et date un peu. De plus, il parle surtout de littérature. Mais je crois que le cœur du problème abordé ici concerne également les jeux vidéo et qu'il a donc toute sa place sur Gameblog.
J'ai un faible pour les pulps, surtout quand ils contiennent des retournements de situations improbables. J'aime les thrillers premiers degré et les imitations médiocres d'Agatha Christie. En gros, j'aime n'importe-quel genre de fiction qui me fait oublier le passage du temps quand je suis assis dans un terminal d'aéroport.
Je lis ces livres d'une façon peu commune : je commence par les cinq dernières pages, cherchant le coup de théâtre final. Ce coup de théâtre n'a, à ce moment, aucun sens mais ça ne fait rien. J'aime lire une histoire en ayant en tête le « grand final ». (Merde, j'ai même triché avec Harry Potter)
J'ai toujours pensé que cette façon de lire était une habitude perverse, le symptôme d'une intelligence littéraire défectueuse. Il s'avère cependant que les révélations de gâchent rien. En réalité, une étude récente (NDT : publié en septembre 2011 dans le journal Psychological Science) suggère que les révélations peuvent augmenter notre plaisir de lecture. Bien qu'on soit longtemps parti du principe que le suspens faisait l'histoire (nous continuons à lire parce que nous voulons savoir la suite), cette étude montre que la tension détourne le lecteur du plaisir de la lecture.
L'étude en elle-même est plutôt simple : Nicholas Christenfeld et Jonathan Leavitt de l'université de San Diego ont donné à des étudiants de premier cycle douze histoires courtes à lire. Ces histoires sont classées en trois catégories : celles avec un retournement ironique (comme Le Pari d'Anton Chekhov), les policiers purs (comme Un problème d'échecs d'Agatha Christie) et de la soi-disant « littérature blanche » d'auteurs comme John Updike et Raymond Carver. Certains sujets lurent leurs nouvelles tel quel, sans révélation. D'autres la lurent avec des révélations soigneusement intégrées dans le texte d'origine, comme si Chekhov lui-même révélait la fin de son histoire. Et enfin, d'autres la lurent avec un avertissement dans la préface.
Voici les résultats :
La première chose qu'on remarque, c'est que ces gens n'aiment pas trop la littérature classique (et c'est dommage parce que Plumbing, d'Updike est un chef d'œuvre de prose). Mais vous avez également remarqué que pratiquement toutes les nouvelles, sans distinction de genre, ont été plus appréciées quand les révélations étaient dans la préface. Ca signifie que je lis mes fictions de la bonne façon, commençant par la fin et continuant par le début. J'aime bien plus ces histoires car le suspens y est sous contrôle.
Quelques réflexions sur ces données :
1- A l'âge de l'information, nous sommes devenu (modérément) obsédés par les révélations. En restant éloigné de tout réseau social nous avons moins de chance d'en apprendre sur le final d'une série comme Lost ou le coup de théâtre finale du dernier blockbuster. Mais c'est une habitude récente. Après tout, la culture populaire est composée d'un millier d'années d'histoires incroyablement prévisibles, des tragédies grecques antiques au « happy end » hollywoodien en passant par les mariages shakespearien (est-ce que ce désir de fin surprenante date d'Usual Suspect ? Ce n'est pas comme si Twitter pouvait ruiner la fin d'un film de John Wayne). Ce que la recherche montre, c'est que le manque de surprise fait parti du plaisir. On aime bien plus une œuvre quand le suspens est contenu par le conventionnel, quand on n'a pas à vraiment s'inquiéter de la mort du héros. Je soutiens que, dans bien des cas, le fait même qu'on aille voir un genre particulier de film (ou que nous lisions un genre particulier de livre) est en soit un indice, un rappel du fait que nous savons que ça ce finira comme prévu. Tout genre est une espèce de « spoiler » en lui-même.
2- Simplement parce que nous connaissons la fin ne signifie pas qu'il n'y aura pas de surprise. Même quand je triche et lis les dernières pages en premiers, un bon thriller me surprendra toujours sur la façon d'arriver à la fin. Peut-être surévaluons-nous le plaisir d'une fin surprenante au détriment de ces plus petits étonnements qui émaillent le récit. Ce n'est pas la destination qui compte mais le voyage narratif. Christenfeld et Leavitt supposent même que le fait de connaître la fin augmente la tension narrative : « Connaître la fin d'Œdipe peut rehausser l'agréable tension de la disparité de connaissance entre le lecteur omniscient et le personnage marchant droit vers sa perte »
3- Les surprises sont plus amusantes à planifier qu'à vivre. L'esprit humain est une machine à prédiction, ce qui signifie que nous considérons les surprises comme des échecs cognitifs, des erreurs mentales. Notre première réaction n'est presque jamais « C'est cool ! Je ne l'avais pas vu venir ». A la place, nous nous sentons embarrassé par notre propre crédulité, par la consternation d'une erreur de prédiction. Alors que les auteurs et les scénaristes peuvent apprécier créer ces ingénieux rebondissements, ils devraient savoir que le public les appréciera bien moins. Les psychologues terminent leur article en se demandant si le plaisir d'une surprise gâché peut s'étendre au delà de la fiction.
L'intuition fausse sur la nature des « spoilers » peut persister car les lecteurs sont incapables de comparer entre une expérience de lecture gâchée et une expérience non-gâchée. D'autres intuitions sur le suspens peuvent se révéler également fausse, et peut-être un cadeau d'anniversaire devrait-il être enveloppé dans de la cellophane transparente, et une alliance ne devrait pas être cachée dans la mousse au chocolat.
Article original : https://www.wired.com/wiredscience/2011/08/spoilers-dont-spoil-anything/