*À travers les titres de mes articles, découvrez en
exclusivité les noms de quelques-uns des chapitres de Deus Ex: Human
Revolution.

Il est temps de décoller.

Débuter la conception de ce projet fut l'une des expériences les plus angoissantes et paradoxalement l'une des plus belles à laquelle j'ai participé en presque 14 ans de métier.

Il fallait rétablir la franchise après sa mort prématurée en 2003 avec un Invisible War décevant. De plus, nous étions une nouvelle équipe qui n'avait jamais travaillé sur la série auparavant. Je me rappelle qu'à cette époque, il y avait une croyance générale qu'il était impossible de faire un Deus Ex sans les membres clés qui ont créé la franchise, et donc tous les yeux étaient rivés sur nous attendant le moindre faux pas. Voilà pour la partie angoisse.

Gros défi certes, mais nous devions nous y mettre. Première phrase que j'ai écrite sur la vitre de notre petit local que nous appelons affectueusement, l'aquarium, est la suivante : "Comment transformons-nous une franchise de développeurs en une dite de joueurs, tout en demeurant fidèle à l'expérience originale?" Il était important de se fixer un objectif "haut niveau" clair : il faut faire un véritable Deus Ex avec le potentiel d'avoir un succès commercial.

Première étape avant de partir comme des poules sans tête : rejouer Deus Ex. Nous étions des fans du jeu mais nous n'avions pas joué depuis sa parution en 2000. Il était important de le jouer avec un esprit très critique afin de s'assurer de bien comprendre son essence. La première fois que toute l'équipe de Human Revolution, c'est-à-dire à l'époque, Jonathan, François, David et moi-même avons lancé le jeu individuellement chacun sur nos PCs, le choc est instantané; le jeu a mal vieilli visuellement (LOL!) mais un certain charme subsiste néanmoins.

Les jours passent, nous progressons, prenons nos notes chacun de notre côté. C'est fou comment les souvenirs nous jouent des tours; dans ma tête j'en gardais une image d'un jeu presque parfait mais en le rejouant en 2007, je voyais plusieurs défauts à plusieurs niveaux et c'était un sentiment qui était commun à l'équipe. Malgré tout, nous trouvions tous que c'était encore un jeu incroyable, immersif et engageant. Deus Ex était définitivement plus que la somme de ses parties !

Après avoir fait le tour du jeu, François Lapikas, game designer et valeureux guerrier entame Invisible War (et nous le remercions !) pendant que les autres membres de l'équipe s'affairent à passer des entrevues et bâtir l'équipe Deus Ex d'Eidos Montréal.

Ensuite, nous commençons l'analyse de la franchise et nos premiers brainstormings. Ceux qui travaillent avec moi savent que je suis un grand fervent des "post-it" -- alors commence une opération "post-it" d'envergure internationale où des forêts disparaissent à chaque nouvelle session de brainstorm. Nous identifions les éléments clés de la franchise : mélange de plusieurs styles : mi-shooter / mi-RPG, jeu tactique/stratégique, focus sur une conspiration, focus sur un monde qui réagit aux actions du joueur, personnages forts et intriguants et un futur près de nous. Bien sûr, il y a plus que cela mais ce sont les piliers centraux à respecter.

Cette analyse initiale a servi de base pour les brainstormings de Human Revolution. Il était important de comprendre ce qu'il fallait pour créer un Deus Ex.

Ensuite, nous consommons divers livres (Ray Kurzweil, Joel Garreau, Neil Stephenson, etc.), films (Blade Runner, Robocop, Code 46, Gattaca, etc.) ainsi que divers animés japonais (Solty Rei, Ghost in the Shell, Evangelion, etc.) pendant plusieurs semaines, tout en continuant en parallèle les brainstormings pour construire ce qui deviendra Deus Ex : Human Revolution.

La façon dont la conception du jeu a démarré et a continué fut très organique; Nous utilisions nos "post-it" pour défricher nos idées et les exposer aux membres du "core team", pour ensuite les canaliser afin de garder les meilleures. Chaque vendredi, nous invitions tous les membres des différents départements de l'équipe afin de présenter les idées de la semaine. On pouvait se challenger ouvertement, ajouter de nouvelles idées, exprimer des soucis potentiels, etc. Avec le feedback de l'équipe, le "core team" retournait plancher pour une autre semaine avec les considérations des autres membres en tête, etc.

À un certain moment donné, les murs étaient couverts de feuilles de design car nous n'avions aucun document. Si le building brûlait, le jeu partait avec lui, LOL! Voilà pour la belle partie.

Les murs sont couverts avec le design "high level" de Deus Ex: Human Revolution. Cette photo a été prise quelques semaines avant le déménagement dans nos locaux permanents pour le début de la pré-production.

 

Vendredi soir... Il est temps de boire. Vive les Monkey Fridays !!

Durant les premiers six mois (plus ou moins) du studio, nous avons parti ce qui sera baptisé les "Monkey Fridays". C'était une activité de groupe qui ralliait des passions communes, c'est-à-dire, socialiser et boire ! Les "Monkey Fridays" fonctionnaient de la façon suivante : à chaque semaine, un employé du groupe Eidos (dev ou pas) achetait de la boisson et nous concoctait un "drink" à sa façon. La semaine suivante, c'était au tour d'un autre employé d'offrir un nouveau "drink" au reste du groupe Eidos. Certaines soirées de beuveries sont devenues légendaires, et même que certains couples s'y sont formés ! Voilà pour l'autre belle partie ! :)

Voici le fameux aquarium où le concept de Deus Ex: Human Revolution est né. C'est aussi l'endroit où se déroulaient les "Monkey Fridays" avant que l'équipe ne devienne trop large.

Comme toute bonne chose a une fin, nous avons dû mettre un terme à ces brillantes soirées puisque le studio grandissait à chaque semaine, rendant le côté pécuniaire et intime de la chose plus difficile à gérer pour tous et chacun. Les soirées buveries n'ont pas disparu pour autant, mais ça sera une histoire pour une autre fois...

Jean-François Dugas - DIRECTEUR DE JEU
https://twitter.com/Jeffachoo