Cette critique contient des spoilers concernant le jeu. Jeu joué sur PC en difficile.
Impossible de sacrifier Deus Ex : Human Revolution sur l'autel du mercantilisme acerbe et décomplexé qui titille les récentes productions de type AAA, car HR porte bien en son sein un profond respect pour le premier Deus Ex (Jeu semi oublié, semi idolâtré, et jusqu'au rachat d'Eidos par Square Enix, complètement enterré suite à l'échec critique et publique du second opus). Plus un bel hommage, qu'une vraie révolution.
La force de HR c'est de mettre en place un propos fort des domaines qu'il aborde, s'articulant autour de l'opposition entre les pro-augmentations et les anti-augmentations, qui y voit d'un coté comme de l'autre l'avènement d'une nouvelle ère ou l'homme s'attache sans cesse à dépasser sa condition en redéfinissant l'essence même de son humanité. Traiter les augmentations sous tous ses aspects qu'ils soient culturels, économiques, politiques, ou bien encore historiques, est le fruit d'un véritable travail d'orfèvre puisque chaque niveau, chaque hubs, chaque personnage, ramène à une vision qui complexifie à outrance le débat « pour ou contre » en lui donnant des points d'ancrage divers et variés. Evitant l'écueil d'en faire un enjeu purement manichéen, HR peut à la fois traiter le sujet du tranhumanisme dans le fond (élément narratif majeur) comme dans la forme (gameplay de caractérisation et gameplay actif). C'est la première séquence de jeu qui amène au joueur le traumatisme originel des augmentations : la perte du corps. Adam Jensen est laissé pour mort suite à l'attaque du laboratoire de Sarif Industrie par un groupe de mercenaire. Son ex petite amie, ainsi que d'autres chercheurs sont abattus lors de l'assaut. Revenu d'entre les morts sans même avoir le choix de sa renaissance grâce aux augmentations que produit son employeur : David Sarif, il reprend son service comme chef de la sécurité six mois plus tard. Cette absence de choix dans la résurrection inopinée de notre avatar nous place comme témoin privilégié du malaise intérieur des augmentations. Cela transparait dans les choix des réponses qui sont permises au joueur lorsqu'on lui pose des questions sur ses augmentations, qu'il ne faut pas prendre comme différentes orientations de caractère mais bien comme un tout qui rend compte de la situation paradoxale d'être ressuscité dans un nouveau corps, qui plus est encore plus puissant que l'ancien dont les possibilités dépassent de loin le cadre de la chirurgie réparatrice. A cela viendra s'ajouter les augmentations à but purement militaire, la manufacture de ces augmentations, leur impact sur l'économie, leur historique, et la dépendance à la neuropozyne.
C'est ainsi que le propos rentre en phase avec le gameplay et couvre toute la partie caractérisation du personnage. A l'approche mi bourrine, mi discrète de Deus Ex, HR impose une dualité qui tranche avec son ainé. Ici, grosso modo, on choisira d'incarner Terminator ou bien solid snake, en utilisant à bien les augmentations. Le jeu opte pour proposer deux gameplays au joueur, mais ne peut se résoudre à en traiter un de manière vraiment convaincante et entière. L'approche frontale étant la plus décevante, sorte de sous-TPS sans saveur ou l'on prend garde à bien rester derrière sa couverture sinon la moindre balle devient salvatrice. A l'inverse, le level design, les patterns des gardes, les multiples embranchements à l'intérieure même d'un niveau (meilleurs dans les hubs que dans les bases ennemis) tendent à rendre HR comme un véritable jeu d'infiltration. On regrette cependant de rester dans du classique, à la limite de l'archaïsme tend le jeu prend beaucoup à MGS (1?) sans jamais transcender la formule. Couloir, ronde de garde, caméra, et si souvent HR propose des espaces sur deux niveaux, on comprend très vite qu'il est toujours de bon ton de passer par le haut du niveau, si l'espace est un peu ouvert on préférera contourner toute la pièce et on aura de forte chance de trouver la bouche d'aération miracle, les mécaniques sont connus. Loin de moi l'idée de m'acharner sur ce qui est finalement un bon jeu d'infiltration, mais loin de moi l'idée qu'il est l'un des meilleurs jeux du genre, il rempli son office péchant peut être un peu par manque d'imagination (particulièrement sur le level design des bases armées). En revanche, une euphorie nostalgique s'est emparée de moi lorsque j'ai parcouru les deux hubs du jeu. Réminiscence de deus ex, ils sont ni trop petits, ni trop grands, devant jonglés entre level-design labyrinthique et nombreux pnj pour reproduire l'effervescence et la vie d'une grande ville (ici Detroit et Hangsha). Les quêtes annexes permettent de les parcourir de manière pertinente tout en étant relativement peu nombreuse au final. Pour la plupart, elles s'attachent à suivre la trame principale, et ne sonnent jamais remplissages.
Si DE HR a le mérite (et c'est rare) de proposer un réel traitement sur la question du transhumanisme qui dépasse le vulgaire débat manichéen, on ne tarira pas d'éloge sur le scénario. C'est du au fait que les enjeux initiaux du scénario sont désamorcés des la première heure de jeu, tant les développeurs instaurent un fossé entre les informations que détient le joueur et celles que détient son avatar. Ainsi, là ou il faudra une heure pour comprendre au joueur que Megan Reed est encore vivante et que les illuminatis sont derrières ça, il faut à Adam Jensen les deux tiers du jeu. (Sous réserve d'avoir joué à Deus Ex, mais je ne suis pas convaincu que la mise en scène des illuminatis soit pleinement satisfaisante même pour un néophyte de la série). On peut créer une situation ou il y a un décalage d'information entre le joueur et l'avatar, c'est quelque chose que l'on observe couramment au cinéma, mais si on ne s'amuse pas des possibilités permises de berner doublement le joueur, alors on fait l'impasse sur toutes notions de climax, révélations, et même de rythme scénaristique. Ainsi, quand Adam Jensen s'exclame « Quoi ? Megan Reed est encore en vie ? », Le joueur, lui, baille poliment. C'est dans sa toute (toute) fin que les développeurs décident enfin de mettre les augmentations au cœur du scénario après la rencontre expédiée (en 5 minutes) avec Megan Reed, ce qui a le mérite de faire un tant soi peu redécoller les enjeux et de redonner un peu d'ambition à l'ensemble (mais trop tard). Heureusement, la narration dans deus ex n'est pas ancrée dans son scénario, et HR est comme son ainé un jeu bavard, même si peut être un peu trop monomaniaque des augmentations (on aurait aimé que certains aspects soient plus développés) mais tout le travail sur la direction artistique, comme sur la masse d'écriture que nécessite les mails, articles, livres, pour définir le background et chercher à faire exister l'avant deus ex fonctionne plutôt bien et pousse le joueur à l'exploration.
Pour conclure, on aura donc tendance à appuyer sur le fait que Deus Ex : Human Revolution entre l'héritage de son ainé et le reboot d'une série a la posture d'un cul entre deux chaises. Entre l'appropriation de l'histoire et le renouvèlement du gameplay, il y a du bon comme du moins bon. Au joueur de faire le tri pour se rendre compte qu'au final DE : HR est un bon jeu qui vaut le coup d'être joué.