Assassin’s Creed et moi, c’est une histoire d’amour qui débuta, comme beaucoup, en 2007. Le hype du premier épisode m’avait alors pris tout entier dans ses filets, mais il n’en comptait pas moins d’innombrables qualités : un jeu qui donnait enfin la mesure de cette next-gen balbutiante: immense, ambitieux. Un héros classe et mystérieux, une intrigue Matrixienne à double époque savoureuse. Une véritable claque, un diamant brut, mal taillé certes, mais qui brillait de tous ses feux. Ubisoft avait-il prévu que le succès serait à ce point au rendez-vous ? Que cette licence deviendrait la clé de voute de sa réussite ?
Fort de cet excellent départ, l’avènement d'Assassin’s Creed était en marche. Après une année de pause, et ce sera la seule, les studios de Montréal accouchent de LA suite, l’épisode sublime, le chef d’oeuvre de la série. De Florence et Venise, beaucoup gardent encore un souvenir ému, tant l’aventure fut belle. Tant le background d’Ezio fut bien posé. La méta-histoire prenait son envol, la cohérence de la franchise s’épaississait. Aucun doute, on se trouvait face à une future (ou déjà !) grande série, de celles qui font l’histoire du jeu vidéo, avec un grand H.
Très vite, Assassin’s Creed devient la licence on fire du catalogue de son géniteur, la cash-machine qui permet de compenser le déclin avéré de Prince of Persia et Splinter Cell, les ex gloires-maison. Les joueurs ne s’en rendent pas encore compte, mais la série est déjà prisonnière des impératifs économiques d’Ubisoft, entreprise qui flambe au beau milieu de cette gen déboussolante. Les budgets de développement explosent, les jeux prennent des allures de grosses productions hollywoodiennes, et ceux qui, comme les japonais, ratent le coche, se voient immédiatement sanctionnés.
Voilà une saga parfaitement en phase avec son époque et sa génération. Les joueurs adhèrent, les ventes décollent. Et pas question pour la firme de Montreuil de laisser reposer une seconde fois sa poule aux oeufs d’or. On ne saura jamais si Call of Duty, devenu depuis Modern Warfare cette machine de guerre annuelle insolemment pavée d’or, a servi d’exemple à Ubisoft. Mais les centaines de millions d’euros générés par Assassin’s Creed allaient devoir tomber chaque année, c’était décidé. Se succèdent alors Brotherhood et Revelations, qui achèvent la trilogie Ezio de belle manière. Cela dit, ils n’égalent en rien le second opus, et le très imparfait Revelations laisse déjà entrevoir quelques signes d’usure. Il faut dire qu’entretemps, Patrice Désilets, l’âme créative de la série, a quitté le navire. Cela se ressentira puissance mille.
Celui par qui le malheur arrive
À ce moment-là, la saga avait déjà cruellement besoin d’un break. Il n’arrivera pas. Au contraire, Ubisoft voit encore plus vite, plus grand, et accouche en 2012 de l’épisode de tous les records. Un blockbuster à la carrure de géant, amorçant un virage que tous espéraient être du meilleur cru. La désillusion sera à la hauteur des attentes. Non seulement Assassin’s Creed III affiche un niveau de finition défaillant, mais son scénario prend une tournure inquiétante, brouillonne. Comme si les bases posées par les trois premiers épisodes avaient explosé en plein vol, et que les scénaristes, pressés par le temps, ne savaient plus vraiment quelle direction prendre. Les joueurs, eux, ne se posent pas tant de questions. Ils se sont jetés comme des morts de faim sur cet opus over-hypé, qui écrase les ventes de son aîné. Le chiffre d’affaires d’Ubisoft poursuit sa marche en avant, et c’est en grande partie à Assassin’s Creed, dont le succès éclipse même celui de Just Dance et Far Cry, qu’il le doit. Chez Ubi, AC devient ce joyau qui passe entre toutes les mains, celui qu’on sort en toute occasion car il est vu de loin, et dont il faut exhiber l’éclat par peur de retomber dans l’anonymat.
Assassin’s Creed IV vient confirmer, malgré sa réputation faussement flatteuse, que la série s’est perdue. La méta-histoire, son âme et point de départ, est jetée aux orties. On gave le joueur déboussolé de marqueurs et d’objectifs jusqu’à l’indigestion, comme pour lui faire perdre de vue une trame principale devenue accessoire. Black Flag est en réalité pirate-land ; et AC devient un manège de parc d’attractions, celui qu’on se sent obligé de refaire chaque année par nostalgie, mais sur lequel on éprouve de moins en moins de sensations. Il faut dire qu’Ubisoft ne fait guère d’efforts pour repenser sa formule, se contentant bien souvent de changer le décor, et pas plus. Ceux pour qui l’illusion fonctionne encore sont toujours là un an plus tard à grimper et synchroniser sur les toits de Paris. Ils sont toujours là pour admirer ce premier opus taillé pour la next-gen. Qu’importe qu’il eut fallu peut-être un an de plus aux développeurs pour rendre leur copie, Unity sort en temps et en heure, ou presque. Accompagné d’une myriade d’imperfections techniques qui feront le buzz du mois de novembre 2014, et la colère de nombreux joueurs. Deux épisodes (en comptant Rogue) sans génie, une constante peu glorieuse pour une franchise qui tutoya l’excellence. La machine en surchauffe est grippée, mais pourtant Ubisoft ne lui accorde aucun répit. À peine Unity sorti, le leak de son successeur dévoile au grand jour qu’un nouvel épisode, déjà bien avancé, sortira un an plus tard. Une marche forcée en somme. Jusqu’à la mort ?
Que reste-t-il de nos amours ? Combien de temps encore cette routine durera-t-elle, avant que la séparation n’intervienne ? Est-il possible de relancer indéfiniment une saga qui se parodie à ce point elle-même ? Vous l’aurez compris, malgré tout l’attachement que je lui porte, j’ai presque définitivement décroché d’Assassin’s Creed. Et j’en viens à espérer que beaucoup d’autres fassent de même, qu’un désastre commercial se produise, histoire qu’on laisse enfin cette épopée à bout de souffle reposer quelques années. Un traitement de faveur qui semble-t-il n’est pas prêt de lui être accordée. Pas encore.