Préambule
"Il n'existe pas de limites à ce que vous pouvez accomplir, exceptées les limites de votre propre esprit." avec cette phrase digne de tirades de personnages de mangas, la légende de la finance, Darwin P. Kingsley résumait à merveille la nécessité de se lancer dans des entreprises sans tenir compte d'hypothétiques frontières. C'est dans cet esprit positif que se situe la logique transmédia.et son affranchissement des limites fixées entre les médias et leurs narrations.
Transmédia, Crossmédia, kézako ?
Comme on peut le deviner par l'étymologie des mots, le Crossmédia et le Transmédia consistent en l'interpénétration, l'interconnexion de différents médias autour d'un projet commun. En gros, c'est le fait de réussir à coupler des moyens de diffusion différents afin de promouvoir au mieux un produit, un concept, une information. Prenons pour exemple en France, la société Ankama et son produit phare, le MMORPG Dofus/Wakfu.
Point important pour ne pas s'emmêler les pinceaux avant de continuer, le Crossmédia consiste à décliner un même concept sur plusieurs support, le Transmédia aussi, mais en prenant le soin d'apporter une dimension de complémentarité dans les déclinaisons, chacune d'entre elles pouvant être prises indépendamment.
Pour plus de précisions sur le Transmédia, je vous conseille de vous orienter vers les travaux d'un des spécialistes les plus reconnus dans le domaine actuellement, le "théoricien de la culture de la convergence", Henry Jenkins.
Dofus, c'est à la base un MMORPG (Jeu de rôle multijoueur en ligne) en flash auquel je jouais avec mes potes d'internat au CDI de mon lycéen 2005, 8 ans plus tard, diverses déclinaisons autour de cet univers ont inondé le marché. On citera pêle-mêle, des bande dessinées, des cartes à jouets, une série animée ou encore plus récemment, un jeu de plateau répondant au nom évocateur de Krosmaster. L'explication de cette multiplication des médias de déclinaison est simple, l'éditeur venu du ch'nord s'assure une diffusion auprès du plus grand nombre en multipliant les portes d'entrées au monde des douze (univers dans lequel se déroulent les évènements de Dofus et de Wakfu).
Ce qui est moins simple, en revanche, ce sont les choix stratégiques au niveau marketing et éditorial.
En effet, là où une bonne réflexion Transmédia se distingue plus de l'exploitation de produits dérivés que le Crossmédia, c'est dans la qualité de l'interactivité construite entre les différents médias. Il s'agira donc de trouver les bonnes interconnexions entre ceux-ci, aussi bien au niveau de la narration qu'à celui du choix des équipes créatives travaillant dessus, puis de bien définir la stratégie de distribution et de communication. Remington est pour moi une des meilleures illustrations de ce principe.
Roublardise aggravée et voies de fait
Remington, c'est la synthèse d'années de tradition d'"anti héros" attachants et funky se déplaçant sur la mince frontière qui sépare ce qu'il est communément admis être le bien et le mal. Ce "Roublard" semblant descendre directement de Cobra ou Lupin III avait visiblement pour but de soutenir médiatiquement l'arrivée de sa race dans le MMORPG Wakfu en présentant sa mythologie à travers notamment de la série animée éponyme diffusée sur France 3 et d'un fascicule similaire à ceux distribués par Panini en kiosque.
Les téléspectateurs de Ludo sur France 3 voyaient ainsi apparaitre lors de la saison 2 de Wakfu, un bien mystérieux voleur amateur de coups fourrés et d'armes "shushus" accompagné par son frère Grany transformé en "chacha" (ils font pas trop de chichis sur les noms chez Ankama).
Pour ceux dont la curiosité avaient été piquée par cet énigmatique duo, le fascicule Remington apportait des précisions sur leur passé, en se focalisant sur les évènements qui bouleversèrent la paisible vie de brigands de Rémi et Grany dans un récit d'aventure oscillant entre Lanfeust de Troy et Ocean Eleven. L'aventure scénarisée par Anthony-"Tot"-Roux, l'architecte des univers de Dofus/Wakfu était mise en image par le très doué Adrian sur le Tome 1 (regroupant les fascicules 1 à 4) puis par la paire Elrico / Dae Jin Kim pour le second tome (regroupant les fascicules 4 à 8).
Une très bonne tentative de complémentarité du récit donc au service du marketing. Je regrette juste que Maskemane le "Zobal", l'autre héros de cette incursion d'Ankama dans l'univers du Kiosque n'ait pas eu droit au même traitement, à part son apparition dans les short programs "Maximini" (Il faut dire que le personnage légèrement instable mentalement évolue dans un univers, assez torturé et violent peu compatible avec les grilles de programmation "tous publics").
Qu'on aime leur démarche ou pas, Ankama aura donc eu le mérite d'essayer de s'aventurer dans le domaine du Crossmédia et du Transmédia, mais il serait réducteur de les considérer comme seuls représentant du mouvement en France.
La fiction Transmédia au delà du réel...et du réalisable ?
En effet, en 2003 déjà, le studio Lexis Numérique et son fondateur Eric Viennot tentaient le pari osé du jeu en ARG (Alternate Reality Game) avec In memoriam, une expérience interactive brisant les codes de narration établis. Ce même studio réitéra l'expérience l'année dernière avec Alt-Minds, un projet de "fiction totale" réalisé en collaboration avec Orange.
Pour ces deux projets, le succès reste relatif, et l'accueil par le public et par la presse, quelque peu mitigé.
En effet, s'il est reconnu que le pari était plus qu'osé et brillait par ses qualités novatrices, le résultat final pouvait en rebuter plus d'un à cause notamment d'un aspect austère et rigide au niveau de l'exécution des interactions et des interfaces.
S'il était possible de mener l'enquête dans la vraie vie, via des recherches sur les éléments créés pour la cohérence de l'expérience (fausses vraies pages Facebook de personnages de la fiction etc.), la manière pêchait considérablement et la dimension jeu et plaisir tendait à passer à la trappe.
Derrière ce bilan en demi teinte se situe le point soulevé plus haut dans l'article sur la nécessité de "trouver les bonnes interconnexions entre les médias, que ce soit au niveau de la narration ou du choix des équipes créatives".
Quand on regarde le travail abattu, il ne fait aucun doute que l'équipe d'Alt-Minds était loin d'être constituée de manches : leur travail de fond est irréprochable et le contrat de construction d'un univers cohérent et de ses passerelles était largement rempli. Hélas, il aura manqué un petit quelque chose...une dimension de fun, un lubrifiant qui aurait permis aux rouages du mécanisme de produire une douce litanie au lieu d'un grincement désagréable à certains moments.
Le transmédia à travers le monde
Il n'y a pas qu'en France que l'on tente des démarches transmédia, et si vous vous intéressez au phénomène, je ne peux que vous conseiller de jeter un œil à l'ARG "The Truth about Marika" du côté de la Suède qui brouillait les limites entre la réalité et la fiction peut-être même encore plus qu'Alt-Minds (et qui du coup était peut-être encore plus difficile à suivre pour le public).
Il s'agit ici aussi d'un cas d'école comme Alt-Minds avec un projet ambitieux qui est allé un peu trop loin au risque de perdre ses cibles, mais aussi son équipe de communication qui n'aura pas su marketer convenablement le produit.
Dommage car la qualité était encore une fois bel et bien présente et "The Truth about marika" peut se targuer d'avoir gagné un Emmy Award en 2008.
Plus récemment, en Amérique du nord la chaine Syfy a mis sur pied le projet Défiance articulé autour d'un TPS (Third Person Shooter) massivement multi joueur sur PC, PS3 et XBOX360 et d'une série diffusée simultanément partout dans le monde sur les chaines Syfy. L'aspect jeu vidéo étant plus classique que dans les cas précédemment évoqués et la série ayant pour thème la science fiction et un univers Geek-Friendly, l'interconnexion des deux médias partait sur de meilleures bases...sur le papier tout du moins.
Pour l'instant il est trop tôt pour faire le bilan, mais le jeu vidéo Défiance, pour le peu que j'ai pu le tester, semble ne pas avoir les épaules pour ses ambitions techniquement parlant, la série TV quant à elle, n'ayant pas eu assez d'épisode pour juger de sa qualité, mais il y a fort à parier que s'il doit y avoir un effet d'impulsion positive, c'est d'elle qu'il viendra. Ce déséquilibre entre la qualité des deux productions est pour moi quelque peu problématique, car si sur le principe elles sont censées se compléter, dans le cœur des fans et économiquement parlant, l'une d'entre elles risque fort de tirer l'autre vers le haut. Cela n'est pas forcément un mal, mais il faut quand même le souligner.
Futur Trans' Lucide
En regardant les projets ambitieux basés sur le Transmédia cités plus haut, se lancer dans l'aventure peut paraitre quelque peu inquiétant et risqué niveau retour sur investissement (oui, le domaine de la création est soumis aux mêmes contraintes de rentabilité économique que tous les autres, difficile d'adopter une philosophie "Art for the Art's Sake"). Toutefois, des initiatives couplant plusieurs expériences artistiques réussissent à combiner succès critique et commercial en optant pour un mariage simple mais efficace.
Le premier album de Woodkid, "The Golden Age" par exemple s'apprécie dans sa version Deluxe au niveau musicale mais aussi littéraire avec un livret destiné à compléter l'expérience artistique. Le bel objet à la finition exemplaire (tranche dorée, couverture sobre et classieuse frappée du sceau de l'artiste) a été écrit par Yoann -Woodkid- Lemoine himself et sa cousine Katarzyna Jerzak, mais aussi mis en image par l'illustrateur canadien au style résolument graphique et indé Jillian Tamaki.
Une expérience résolument transmédia, "transartistique" même qui s'assure une bonne réception par son public en faisant transpirer une atmosphère émotionnelle de chacun de ses deux supports, résultats : disque d'or assuré avec 50.000 albums physiques et digitaux vendus en France au 15/04/03 dont 18017 copies physiques et 9217 numériques dès la première semaine (Sources : PureCharts et Snepmusique)
J'ai essayé de comparer les classements des ventes physiques et numériques de deux autres albums sortis la même semaine et force est de constater que l'album de Woodkid est celui qui résiste le mieux à la chute des ventes physiques (je n'ai hélas pas réussi à obtenir les chiffres de ventes spécifiques du collector pour déterminer l'impact de celui-ci dans les chiffres de ventes physiques).
Sans m'aventurer sur le thème des "études de marché", il faut le dire, une telle combinaison artistique aurait peut-être été moins concluante auprès de fans de Booba, même si le cador du rap game et Michel Houellebecq semblent tous deux partager le même amour des beaux mots. En effet, le public fidèle de Woodkid souvent catalogué caricaturalement et injustement de hipster/bobo tend à avoir le "type de sensibilité" nécessaire pour ce type d'opérations de par son évolution dans l'univers hautement graphique, mélancolique mais surtout éclectique de l'artiste.
Si on ajoute à cela un peu de promo via France Inter et le fait que l'œil du consommateur risque fort d'être attiré par le packaging atypique du CD, on a la recette d'un disque d'or.
Un bien beau boulot qui montre qu'on peut lier démarche artistique et commerciale sans sacrifier la qualité de l'œuvre ou courir à la banqueroute...En fait, en guise de conclusion, je crois que si je devais faire une analogie sur le transmédia, je lorgnerai du côté de la chimie où le succès de la combinaison de plusieurs éléments dépend de la manière de les mixer, du scientifique qui le fait et de son dosage dans les quantités.
Allez, je vous laisse sur ces paroles fumeuses (même si j'aurais aimé aussi vous parler de Media Entity, un webcomic aux ambitions transmédia...une prochaine fois quand on en saura plus). A bientôt pour un post moins sérieux.