En voilà une bonne surprise. Un jeu d’horreur indépendant à la première personne avec une histoire prenante inspirée de Lovecraft, des documents à ramasser intéressants, c’est possible ? Oui et Alessandro Guzzo l’a fait.
Par où commencer ? Le type qu’on incarne crapahute dans la montagne pour rejoindre le chalet de son père, dans lequel il souhaite passer quelques jours pour fuir le stress de son boulot. Déjà, le cadre : la montagne, l’après-midi. Pas du tout flippant. Original.
Le personnage n’est pas doublé mais parle, via des lignes de texte qui s’affichent sur fond noir en bas de l’écran, sans qu’on perde le contrôle, ou alors brièvement le temps que le regard du perso se fixe sur ce qu’il aperçoit ; super bon point, un perso qui s’exprime.
Donc on rejoint le chalet. On entre, on cherche des allumettes pour allumer le feu. On prend un seau, on va le remplir au puits pour boire et se laver le soir venu. Et puis on revient au chalet et là, oh my God : une sphère immense est apparue, baignée dans la brume, au beau milieu de la prairie devant le chalet. La surface de la sphère est semblable à un miroir. L’image est frappante ! On est dans la nature et tout d’un coup cet objet technologique sidérant se dresse devant nous, trois fois plus grand que la bicoque de papa.
Alors on s’approche de la mystérieuse sphère, on la touche et l’écran devient tout blanc. On se retrouve dans une cage, enfermé, la nuit, toujours dans la montagne mais dans un coin qu’on ne semble pas connaître. Des espèces de tours électriques produisent des étincelles et frémissent au dessus de la cage ; mais what the fuck ? Que se passe-t-il ? Qui nous a amené là ? On est resté évanoui longtemps ? Comment sortir ?
Bon et ce n’est que le début. Ce qui est fort c’est que là le bizarre a surgi au milieu d’une situation d’une banalité totale, mais que ce bizarre est encore modéré… On ne voit aucun rapport avec Lovecraft. On se dit ouais super on a été kidnappé. Mais, en fait, ce qui se passe et qu’on va découvrir par la suite, petit à petit, crescendo, est complètement FOU.
Même Lovecraft n’était jamais allé aussi loin. Ce qui arrive au protagoniste, je crois qu’aucun personnage de Lovecraft n’y a été confronté. Alors même que cela aurait pu arriver dans son univers… C’est en cela qu’Alessandro Guzzo s’est approprié merveilleusement le matériau d’origine.
L’histoire est donc ultra prenante, j’ai d’ailleurs terminé le jeu en deux sessions (pour une durée de 4 heures).
La limite du truc c’est que les documents qu’on ramasse, qui sont passionnants au demeurant et écrits par divers acteurs du récit, qui lèvent le voile sur le mystère et vont donner des clefs au héros pour s’en sortir, sont trouvés dans un ordre parfait pour la narration, mais pas du tout dans une logique diégétique. Non seulement on pourrait très bien tomber dès le début sur un des documents de la fin, mais on peut se demander comment et pourquoi chacun des acteurs de l’histoire a pris un tel soin à raconter des bribes de son expérience dans des lettres ensuite laissées à l’abandon.
La deuxième limite, c’est la même que dans Outlast, c’est que le héros écrit instantanément dans son journal. Et faut aller consulter son journal pour voir ce qu’il pense et réfléchit et qu’il a noté en un éclair alors même qu’on le faisait courir… Étant donné que le jeu a trouvé un bon moyen de faire s’exprimer en direct son protagoniste, pourquoi user d’un journal ?
Après je comprends tout à fait l’intérêt du journal. Ça permet de remettre tout ce qu’on voit et tout ce qu’on lit en contexte, pour une compréhension de l’histoire optimale. Mais à ce compte, est-ce qu’il fallait faire de ce journal un journal ? Pourquoi pas à la place une espèce de palais mental, une action de repos du personnage, qui prend un moment pour faire le point ? Quelque chose qui ne jure pas avec l’univers du jeu.
Autre limite, qui touche à la modestie du projet : l’interaction physique se limite à marcher, courir, se baisser et allumer la lanterne. Et aucune subtilité au niveau de la marche et de la course, c’est comme dans n’importe quel autre jeu à la première personne.
Par contre, l’aventure est toujours intéressante et ne se limite pas à se déplacer le long d’un couloir. Souvent, trouver son chemin dans la nature demande beaucoup d’attention, tandis que les petites énigmes sont très nombreuses (trouver un objet pour l’utiliser au bon endroit). On est aussi parfois poursuivi par un monstre, que l’on peut semer.
Le challenge est donc efficace, et s’inscrit dans une histoire fantastique. Alessandro Guzzo a accompli une réussite majeure en faisant des documents à lire non pas de bêtes éléments de background dont tout le monde se fiche mais un enjeu de la survie du personnage, qui a réellement besoin de comprendre ce qu’il se passe et où il est afin de survivre. Et on n’a pas non plus un compteur des documents lus qui nous dirait magiquement combien il y en a dans tel endroit et ajouterait un challenge abstrait de « tout ramasser ». D’ailleurs, on ne ramasse pas les documents, on les lit simplement… Et c’est cohérent, dans la situation du perso, je doute qu’on se remplirait les poches avec tous les papiers trouvés…
Une grosse réussite du jeu indé, très généreuse dans sa narration avec une histoire à l’efficacité et à la profondeur « mythologique » rares dans un jeu vidéo. Et c’est un bien meilleur hommage à Lovecraft que le trop sage et timoré Conarium. The Land of Pain ne cherche pas à imiter le style littéraire de Lovecraft mais bien à recréer les sensations d’épouvante qui étaient chères à l’auteur.
Look no further for cosmic horror wonders…