Un type dont je ne connais le nom seulement parce que je l'ai lu écrit sur Internet (Adam - attention symbolique !) vivait avec sa famille, une femme et une fille, sur la côte Est des États-Unis. Un jour il prit l'avion, je crois pour un voyage d'affaire, qui l'emmena sur la côte Ouest des États-Unis. Un cataclysme se produisit, appelé si ma mémoire ne me fait défaut, le « Choc ». Adam fut blessé et mit quelques mois à se rétablir. Il traversa alors l'Amérique à pied pour retrouver les siens. Un an après le Choc, Adam arriva dans sa ville. C'est là que le jeu démarre, après que tout ce que je viens de vous raconter nous ait été narré par Adam se filmant avec son caméscope. On découvre une ville grise, pleine de poussière, toute cassée comme à la suite d'un méga-séisme.

Commençons par ce qui m'a plu. La promesse est alléchante : on incarne un type à la recherche des siens dans une ville ravagée par un cataclysme. La civilisation n'est plus et l'homme est plus que jamais un loup pour l'homme avec des gangs de rue prêts à supprimer le premier venu pour des ressources ou des quidams armés d'un fusil prêt à tirer d'abord et poser des questions ensuite au passant qui s'approche d'un peu trop près ou dont le comportement lui semble indiquer une menace. Il va donc s'agir de survivre dans ce contexte, c'est-à-dire gérer les hommes, les Autres ET la nourriture, sans parler de cette satanée poussière qui a envahi la ville et qui dans les zones où elle est des plus dense est un vrai poison qui tue à petit feu. Cette poussière, c'est déjà le début des ennuis - pour le jeu.

En effet la poussière, c'est à la fois bizarre (pourquoi de la poussière ? Pourquoi elle reste en suspension à hauteur du sol en extérieur et seulement dans certains quartiers ?), clairement un cache-misère pour éviter d'afficher trop loin les décors (j'en reparlerai), et une source de péripéties pour le moins barbantes et dont je me serai franchement passé. Je m'explique.

A des endroits où la poussière est très dense, on ne peut pas rester longtemps dedans à moins de consommer des ressources (car notre jauge d'endurance se vide); la solution est de grimper quelque part pour atteindre une altitude où l'air est respirable (pour que la jauge se régénère). Soit. Mais quand il m'est arrivé de vouloir explorer une zone de poussière, à la recherches de précieuses ressources, il fallait que je remonte régulièrement pour prendre une bouffée d'air frais. Au bout du troisième aller-retour rue-métro aérien ça devient franchement pénible. C'est juste laborieux et pas marrant. T'es dans la poussière, tu vois pas à deux mètres devant toi, tu rases les murs et tu vois ta jauge d'endurance descendre inexorablement jusqu'à ce que la musique stridente (systématique quand la jauge d'endurance dépasse un certain palier) se déclenche et là tu sais que tu dois courir et te retaper une énième fois l'escalade du pilier du métro pour que ta jauge d'endurance se rétablisse et stopper cette sacrée musique qui tape sur le système. Avec un peu de chance lors de cette virée tu auras trouvé un consommable. Et si comme moi tu veux mettre toutes les chances de ton côté alors tu redescendras et te tapera x fois, jusqu'à ce que t'en aies marre ou que tu ne trouves plus rien (bon courage), cette routine pénible et chiante à mourir.

Je parlais de la poussière cache-misère. Mais en terme de cache-misère, dans ce jeu on bat des records. C'est simple, c'est du cache-misère élevé au rang de direction artistique. Tous les effets qui donnent au jeu son cachet visuel semblent être là pour masquer le manque de moyens évident du studio. Du flou, du gris, du brouillard. Tant et si bien qu'on ne voit quasiment rien de la ville, et qu'elle a par conséquent bien du mal à prendre vie. Pourtant SOS The Final Escape sur PS2, un jeu que je sache assez fauché, parvenait à faire exister sa ville. Le problème de I am alive c'est qu'il préfère avoir de loin le rendu d'un jeu boîte PS3 alors qu'il n'en a clairement pas les moyens, au lieu d'assumer et de faire un jeu graphiquement PS2 au rendu autrement plus convaincant.

Parlons de l'histoire. C'est incohérent et pas crédible du début jusqu'à la fin. Autant dans le jeu que dans l'écriture, et dans l'association des deux.

Dans le jeu pour plusieurs raisons. L'apprentissage par l'erreur c'est quand même l'une des pires incohérences narratives dans laquelle peut tomber un jeu vidéo. On me met dans la peau d'un humain tout ce qu'il y a de plus mortel, et le jeu me demande de mourir plusieurs fois pour comprendre ce qu'il faut faire lors de tel passage. Ça n'a pas de sens. Un vrai humain n'a qu'une seule vie et s'il ne peut pas trouver la solution d'un problème lors de sa première existence, et bien il meurt et il n'y en a pas de deuxième. Dans le même ordre d'idée, le jeu permet au personnage de collecter des « tentatives » qui sont exactement comme des vies dans un vieux jeu de plate-forme. Grâce à une tentative on peut recommencer quand on meurt au dernier point de passage, alors que sans on repart au début du niveau. D'une part ça n'a aucun sens dans la réalité du jeu et d'autre part avoir des tentatives diminue largement la tension. Sans tentative on fait vraiment très gaffe parce qu'on sait qu'on va devoir tout se retaper si on meurt. Il y a une vraie tension de créée et ça marche. Les tentatives en plus de n'avoir aucun sens, entament cette tension. Mais elles sont la rustine d'un gameplay sur certains aspects vraiment die'n'retry, sans quoi il serait insupportable (et il l'a été dans ma partie à certaines reprises car justement je n'avais pas de tentatives - en mode survie on ne nous en donne pas comme en normal au début du niveau, et je n'aidais pas les survivants rencontrés qui en donnent une le cas échéant : d'abord je boycottais les tentatives pour les raisons évoquées au-dessus, ensuite j'avais envie d'être méchant et enfin je considérais que si j'avais des ressources je n'aurais justement pas besoin de tentative, en étant prudent et si le jeu avait été bien fait).

Pas crédible dans l'écriture : le héros est lisse et niais autant quand il parle devant son caméscope que quand il s'adresse aux personnages « importants » de l'histoire (il ne souffle mot aux survivants rencontrés in-game), à tel point qu'il n'a jamais réussi à prendre corps à mes yeux. Il n'a aucune aspérité, n'est pas complexe, c'est juste pas un humain, c'est une idée : un brave type qui n'a qu'une envie, celle de retrouver sa famille, mais qui a tellement vu la Vierge Marie, qui est tellement bon intrinsèquement, qu'il ne peut juste pas refuser d'aller escalader un gratte-ciel pour ramener des médicaments accrochés à une poutre tout tout tout en haut, utiles à une inconnue. Et tout ça sans que cette abnégation de soit n'est quelconque explication, sans même qu'elle soit regardée en face et prise en compte un minimum. Voilà. Voilà le genre de non-personnage que l'on incarne dans I am alive.

Et c'est là où la partie « jeu » entre en conflit avec cette écriture. Ce personnage niais, lisse, toujours prêt à aider son prochain, peut se comporter tout à fait différemment quand on le manipule, et ce sans aucune explication. Dans la peau de ce type, j'ai aidé seulement cinq victimes sur vingt. Certaines m'ont réclamé une ressource que j'avais dans mon inventaire, j'ai refusé. Adam a refusé. Le joueur est libre de faire d'Adam un personnage tout à fait à l'opposé de celui que le scénario nous décrit. Dans ma partie, Adam a tué plein de gens, et pas toujours dans des circonstances de pure légitime défense. Ceci dit on ne peut pas tuer les victimes. Une icône rouge d'interdiction se dessine sur notre viseur quand on pointe une arme sur elles, et on ne peut pas presser la détente. Là le jeu assume son écriture. Mais la liberté laissée au joueur de faire d'Adam un homme sourd aux appels à l'aide des plus sinistrés, et imperméable aux tentatives de ces derniers de le faire culpabiliser, jure franchement avec le personnage béni-oui-oui que l'on retrouve à chaque fois que le scénariste reprend la main (cinématiques, dialogues).

J'évoque les tentatives de culpabilisation lancées à Adam par les victimes ou par les gens qu'il tue. Adam n'y répond jamais. Et j'ai bien l'impression qu'il s'agit d'une grossière tentative de la part des développeurs de faire culpabiliser le joueur. Grossière d'abord parce que je me fiche de laisser crever des pixels ; et grossière aussi parce qu'en refaisant certains passages en essayant de ne pas tuer tel personnage qui post-blessure mortelle m'invectivait (« mais pourquoi tu m'as tué ? ») j'ai réalisé que ce personnage m'attaquait de toute façon, et que le jeu m'obligeait ainsi à lui régler son compte ! Et ces phrases moralisatrices sont fréquentes, lancées par un adversaire agonisant ou victime qu'on n'aide pas. J'ai vraiment eu l'impression que les développeurs cherchaient à me faire me sentir mal à l'aise avec ce que je faisais en jeu. Je trouve ça à la fois ridicule et prétentieux. Je qualifierais le jeu d'ultra moralisateur sur cet aspect.

Le jeu m'a paru très répétitif. Non seulement les enjeux étaient souvent gratuits (du type aller escalader un gratte-ciel pour récupérer des médicaments pour une petite fille à peine rencontrée, sur demande du père adoptif et d'autres tâches de larbin de ce genre) mais en plus le level design peine vraiment à renouveler les situations. Les séances de grimpette se ressemblent toutes et c'est pareil pour les affrontements - le level design ça inclut la configuration du décor mais aussi la position des ennemis, leur nombre, leur comportement, etc. Le jeu donne bel et bien des affrontements aux configurations diverses (j'en parlerai plus loin) mais jamais au point de ne pas me donner l'impression de faire la même chose avec juste un détail qui change.

Le jeu nous fait vivre l'aventure d'Adam sur trois plans : la survie / gestion de ressources, l'escalade (Adam pratique l'alpinisme, c'est marqué dans « hobbies » sur son CV mais ça devrait plutôt être dans « médailles d'or aux JO » *) et les affrontements contre des individus hostiles.

La survie / gestion de ressources consiste à faire attention à avoir toujours un stock suffisant en tout type de situation : objets pour restaurer son endurance (la jauge qui se vide par la poussière et l'escalade) et sa santé, en cas de grimpette interminable et autres fusillades sanglantes. Il s'agit de ne pas trop en utiliser pour en avoir encore par la suite, en ramasser suffisamment et réfléchir avant d'en céder aux victimes qui en réclament (en échange d'une tentative). Rien de bien compliqué, d'autant plus à partir du moment où on réalise qu'on a dorénavant assez d'objets pour finir l'aventure sans avoir à farfouiller frénétiquement dans tous les coins. L'aspect survie marche donc à peu près un temps, avant de se dégonfler une fois constitué une réserve qui nous met en confiance.

Les affrontements, y'a du bon et du très mauvais. Le bon c'est qu'ils sécrètent une vraie tension, un vrai danger, d'autant plus quand on joue sans tentative. Il faut réfléchir et agir avec vitesse et précision, sous peine de mourir et si l'on n'a pas de tentative recommencer potentiellement très loin. Le gros problème, c'est qu'on a compris tout à fait comment fonctionne le système d'affrontement seulement vers la fin de l'aventure. Une bonne partie du jeu, quand je réussissais je ne savais pas trop comment, et quand je perdais j'apprenais de nouvelles choses sur les règles de cette partie du jeu. Apprentissage par l'échec donc. Le jeu a le mauvais goût de nous mettre régulièrement dans une configuration de combat encore jamais vue et qui nécessite pour être gérée un enseignement que l'on n'a pas encore eu. Résultat, on recommence les combats pour apprendre et ce n'est qu'à la fin du jeu qu'on a tout compris du système. Génial, non ? Du coup on a vraiment toutes les cartes en main que dans le dernier niveau, c'est plutôt très méga stupide si vous voulez mon avis.

L'autre souci qui enterre définitivement les combats d'I am alive dans la tombe des mauvais die'n'retry, c'est un bête problème de conception. Il se trouve que le personnage se tourne automatiquement vers un ennemi qui le menace, et à ce moment-là on ne peut que se déplacer lentement en cercle autour de lui jusqu'à s'en être éloigné. Bien pratique quand on veut se jeter sur l'arme tombée par terre d'un ennemi qu'on vient de buter tandis qu'un autre se précipite pour la ramasser alors que le jeu ne nous avait même pas prévenu de cette possibilité. Un brillant exemple de ratage qui témoigne à la fois de l'apprentissage par l'échec et de ce problème de conception.

Pour l'escalade les développeurs ont repris le code de Prince of Persia PS3, ont ralenti les mouvements, rajouté une jauge, une musique stridente quand elle descend en dessous d'un certain cap et supprimé la possibilité de recommencer une séquence juste à son début. A l'époque, je disais qu'au fond ce système de non-mort était une bonne idée parce que vu la pauvreté de l'escalade / plate-forme, on n'aurait pas eu la patience de se retaper des passages et des passages entiers. Ben I am alive, c'est ça. Quand on meurt c'est soit par méconnaissance du terrain (« j'étais pourtant sûr de pouvoir atteindre cette plate-forme »), soit par méconnaissance du système (bien de se rendre compte en mourant qu'on ne peut pas envoyer son grappin en plein vol ?), et dans les deux cas se refaire toute une ascension soporifique ça fait très, très mal. I am alive c'est un peu la légitimation du système de non-mort de POP. J'exagère, mais clairement la plate-forme de ce jeu est mal foutue, à la fois pas intéressante et injuste on peut difficilement faire pire.

Autre réjouissance quand on arrive à un croisement de « grosses lignes auxquelles on peut s'accrocher » : la confusion qui s'empare de nous, alors qu'on vient d'en bas, qu'on dit à Adam d'aller à gauche et qu'il est déjà parti en haut et que rien ne l'arrête ou inversement. Chaque croisement est un moment de tension, parce que tu sais que si tu n'exerces pas pile la bonne inclinaison au stick, pile au bon moment, le héros ira dans une autre direction que celle que tu lui dis de prendre. Et la jauge d'endurance se vide, et tu sais que tu vas perdre une ressource pour rien.

La fin du jeu est une blague. Ils n'avaient même pas terminé leur histoire à deux francs qu'ils ont décidé de couper sauvagement avant même que les enjeux propres à ce qui s'apparente au premier épisode d'une série soient bouclés. Pour l'histoire de sa famille, censée être le leitmotiv du jeu vous repasserez. Non ici vous n'aurez même pas droit à la conclusion de l'intrigue de la famille que le héros se met à aider dans cette première aventure. L'épilogue du premier épisode dans un DLC ?

Un dernier mot sur les déplacements : la position de la caméra quand on se déplace sur la terre ferme fait que le personnage obstrue notre vision sur la gauche, j'ai trouvé ça très pénible.

Et un autre sur les sensations : tirer au pistolet et tirer une flèche sur quelqu'un sont des actions qui sont bien rendues : vibrations, animations des corps heurtés, blessés, le one shot, l'agonie. La violence des combats est plutôt bien retranscrite dans I am alive et donne aux meurtres une certaine prestance.

Le halo lumineux divin qui éclaire les objets et permet de les voir dans la poussière ambiante, j'ai trouvé ça moyen aussi.

 

* En considérant que le jeu se passe dans un futur proche et qu'on espère l'intégration de l'escalade aux Jeux Olympiques pour l'édition de 2020, oui c'est possible !