J’ai bien aimé Rain. Je ne m’y attendais pas vraiment, surtout en commençant à y jouer. Rain joue la carte de la narration simpliste avec un petit garçon sans prénom qui se retrouve sans explication dans un monde où sa ville est prisonnière d’une nuit sans fin, où les habitants semblent avoir tous déserté ou s’être barricadés chez eux, et où, enfin, une pluie infinie tombe sur les rues et les toits. Le petit garçon lui-même est devenu invisible et seulement la pluie peut révéler sa silhouette.

Tout cela nous est balancé via du texte au début du jeu, sans trop d’explications. On prend le contrôle du gamin et on cherche… Je ne sais pas quoi mais on cherche.

Ca ne partait donc pas super. On se déplace dans les rues de la ville modélisées en trois dimensions, sans contrôler nous-mêmes les caméras. Double bonne surprise : ce n’est pas un de ces jeux 2D qui réduisent leurs mondes à une vue de côté très souvent abstraite, et les développeurs sont en charge des caméras donc on apprécie la maîtrise esthétique des plans et on envoie au diable la corvée sempiternelle et moderne de bouger le stick droit pour un oui ou pour un non.

Rain est un jeu élégant qu'on peut présenter comme un descendant indé d'Ico. L'interface est épurée : pas de jauge de vie, seulement du texte qui s'affiche "physiquement" dans l'espace de jeu, soit pour ajouter une couche de narration soit pour nous indiquer quelle interaction on peut opérer avec le décor, exemple quand on est devant une caisse on a le mot "attraper" qui s'affiche. Les éléments avec lesquels on peut interagir clignotent en blanc quand on s'en rapproche ; c'est clairement la plus grosse faute de goût au sein d'une esthétique qui tient sinon extrêmement bien sur ses deux pieds.

Car oui avec ses décors de jeu PS2 économe recouverts de filtres visuels le titre parvient à faire vivre ses rues et sa ville morne et grise. Les animations des personnages sont de l'école japonaise, à savoir très convaincantes et un régal à jouer et regarder. Simplement sauter vers un rebord et constater le déclenchement de l'animation de rattrapage en fonction de la hauteur procure une vraie satisfaction ludique. Les mouvements sont clairs et fluides, malgré le fait que le jeu ne tourne qu'à 30 images par seconde. Ce jeu bien fait détend.

Comme Ico, Rain est une histoire où un garçon et une fille arpentent un environnement crédible et orienté challenge de plate-formes. Ils affrontent des monstres mais sans les frapper : il s'agit toujours de les éviter ou de s'en débarrasser en utilisant l'environnement et des ruses de sioux. Je disais que le début est faiblard avec le garçon qui erre sans but ; l'histoire prend son envol ensuite quand le garçon rencontre la fille, qu'un lien fort se noue entre eux et qu'ils sont poursuivis par un monstre redoutable et increvable. Rain c'est ça : un garçon et une fille poursuivis par un monstre invincible dans une ville déserte et trempée aux accents européens fantasmés.

L'intelligence des développeurs est allée jusqu'à contaminer les trophées et les objets à collectionner. Pour les trophées, les seuls "visibles" sont ceux donnés pour terminer chaque chapitre. Aucune chance de s'impliquer dans des tâches hors-sujet, même en consultant la liste. Pour les objets à collectionner, là on touche au génie : les développeurs les ont réservé pour la deuxième partie ! Dans la première partie il n'y aucune notion de quelconque objet à ramasser, donc on peut suivre la fillette et l'histoire le coeur léger, sans peur de "rater" quelque chose. On avance uniquement motivé par le désir de fuite du héros, donc on prend le premier chemin venu à l'instinct, sans craindre de rater quelque chose. Parce que oui même si le jeu est assez "couloir" il y a souvent illusion de complexité, avec pas mal d'impasses.

La musique du générique de fin, sublime, met un point final à notre périple de la plus belle des manières. De façon générale la BO mi-mélancolique mi-festive surranée, avec de l'accordéon et de la musique classique, donne une identité unique au jeu.

J'ai terminé deux fois Rain, la deuxième en trouvant donc tous les "souvenirs", boules lumineuses (dont le texte associé est censé jeter un peu de lumière sur l'histoire mais que nenni) apparaîssant dans le décor quand on s'en rapproche, ce qui permet une fouille "légère" et pas pénible comme peut l'être la chasse au trésor dans les jeux Naughty Dog par exemple (où il s'agit d'observer chaque centimètre carré à l'affut d'un éclat de lumière). Encore une fois merci les caméras fixes qui ne conditionnent pas la découverte à l'angle de la caméra...

La première partie je suis resté un peu énervé par le scénario, trop abstrait, trop mièvre pour être honnête, tout en appréciant l'expérience de jeu. La deuxième je l'ai oublié et plus pris le jeu comme il était.

Les cinématiques font apparaître des bandes noires en haut et en bas de l'écran (j'aime beaucoup), comme dans plein de jeux et notamment Ico. Jamais inutiles elles racontent ce qui ne passe pas par le jeu, soit des échanges entre les personnages, soit des actions de transition ou d'introduction. C'est très fluide et si les cinématiques sont nombreuses elles ne donnent jamais le sentiment de couper la progression comme dans un jeu moderne style Max Payne 3.

Rain ne fait pas jeu moderne (ni AAA ni indé), il fait bien jeu PS2 par son concept épuré mais solide, sa présentation tenue et le sérieux de sa proposition. L'histoire explore plusieurs pistes : la ville qui change en fonction de l'état émotionnel ou physique des héros, le monstre qu'il faut fuir, capturer, tuer mais qui se relève toujours. Le jeu n'est pas difficile mais le contrôle des personnages et la résolution des situations sont suffisamment fouillés pour rendre le jeu intéressant. On a plaisir à avancer parce que fondamentalement, le jeu ne nous prend pas pour des imbéciles et nous donne de la matière à jouer. Le petit garçon a une inertie quand on le bouge, ses sauts ne sont pas automatiques, il ne peut pas changer de direction en une seconde, parfois il est même invisible et on ne le repère qu'avec ses traces de pas et à la caméra centrée sur lui...

Avec le même projet Ubisoft aurait pondu un truc fade et sans goût. Les japonais nous proposent un mets qui a du raffinement, qui n'est pas trivial ; un projet sensible. Les écarts à cette philosophie ne se retrouvent dans Rain que lors des interactions avec les décors : l'action de hisser la fillette par exemple est réalisable dans un trop large rayon et nécessite juste d'appuyer une fois sur rond. C'est trop automatisé pour le coup. L'action de ramper pareil : une pression sur rond et le personnage se baisse, rampe et ressort de l'autre côté sans qu'on ait rien d'autre à faire. Les textes qui affichent les interactions semblent de trop aussi. Heureusement tout le jeu n'est pas comme ça, mais c'est précisément sur ces points que les japonais semblent avoir une longueur d'avance sur les occidentaux : ils n'abusent généralement pas des actions contextuelles et du "bouton à tout faire", ils cherchent à ce qu'on reste connecté le plus possible avec le perso et qu'on "réalise" ses actions, au lieu de simplement les déclencher.

Malgré toutes ces bonnes choses Rain n'est pas à mes yeux un chef d'oeuvre. Il manque d'envergure d'une part, et d'autre part son scénario flou approche dangereusement une certaine niaiserie branchée se voulant "poétique".