Quand j'entre dans le salon, ils sont tous les deux assis et
ils m'attendent. Maman affiche  un
sourire si crispé qu'il semble peint et souffle sur le vernis de ses ongles,
sec depuis au moins dix minutes. J'ai répété mon discours dix fois, cent fois,
mais là, d'un coup, je ne trouve plus mes mots.

"J'ai quelque chose à vous avouer".
Maman a pris la main de mon père. Il me sourit d'un air engageant, m'encourage
d'un signe de la tête. Dans quelques instants, il ne sourira plus. J'ai du mal
à soutenir sa bienveillance.
"Cela fait longtemps que je veux vous dire quelque chose".
Je me tourne vers ma mère :
"Maman, tu te souviens de Julien. Il est venu manger quelques fois à la
maison.
- Bien sûr, le charmant garçon avec qui tu apprends l'informatique le samedi  soir".

Je prends ma respiration. Il faut que je parle vite.
"C'est lui. Mais, je ne fais pas qu'apprendre l'informatique avec lui.
En fait, nous ne faisons pas vraiment d'informatique. »

 Le cou de mon père s'est tendu. Son front barré d'une ride
sévère, il regarde par terre. Il a compris, mais il ne m'aidera pas. Je suis
seul, seul avec ma confession.
"Tu veux dire que ... » parvient-il à exhaler à travers son rictus
figé.
- Oui."

Je regarde mes pieds, mais je suis décidé à en finir le plus vite possible. J'en
ai trop dit, ou pas assez. "Julien et moi aimons les jeux vidéos."

- Oh mon Dieu".
Ma mère s'est affalée dans son fauteuil, mais tente de me sourire
bravement. Mon père s'est levé en silence, il prend sa veste et sort en refermant
précautionneusement la porte, comme s'il exhortait mon aveu à ne pas quitter la
pièce. Ma mère est là, devant moi, elle me regarde d'un air interdit. Je sens
de la peur, de la pitié, un peu de ressentiment et un peu d'amour, inégalement répartis
dans son regard. Je ne sais pas quoi faire. J'aimerais dire à ma mère  que je suis encore son fils, que je n'ai pas
changé, que je suis heureux qu'elle sache enfin qui je suis à l'intérieur. Mais
je ne bouge pas.

Plus courageuse que moi, c'est elle qui finalement rompt le silence.
"Tu le sais depuis combien de temps ?
- Je m'en doute depuis toujours, mais j'en suis sûr depuis trois ans.
- Depuis trois ans ?
- J'étais sorti avec des amis pendant l'été, un dimanche. Nous t'avions dit que
nous sortions dans une boîte échangiste. Tu m'avais donné quelques billets en
me disant de bien m'amuser."

Elle hoche la tête, se concentre, consciente que c'est sa dernière chance de
comprendre les gens comme moi, de me comprendre. J'ai honte de lui avoir menti.
Mais il faut qu'elle sache. "Je suis allé dans une salle obscure, une
salle d'arcade.,Et je me suis amusé avec Julien. Nous avons fait un versus sur
Street Fighter. J'ai adoré ça. »

Elle se lève et va se réfugier dans la cuisine, assaillie par mes mots. Je la
suis en lui parlant. "Maman, je me suis toujours douté que je n'étais pas comme les autres.
Et tu le savais : tu as vu le magazine que je cachais sous mon matelas. »
L'accouchement de mon secret se passe mal, mais qu'il se passe au moins jusqu'au
bout.


- Bien sûr que je l'ai vu. Mais tu étais jeune, je pensais que tu te cherchais.
Si j'avais su qu'aujourd'hui encore tu t'adonnerais à ces...
(elle frissonne)ces horreurs.
- C'est Console + maman. Avec l'avant-première de AHL sur Zelda Ocarina Of Time
depuis Francfort.
- Parce qu'en plus tu connais les noms de ces personnes ?"

Son ton ironique me fait mal. Je veux me venger : "Julien m'a offert une Dreamcast à mon anniversaire".

Elle éclate en sanglots, c'est comme si je lui avais transmis ma souffrance. Exonéré
de mon fardeau, je suis partagé entre soulagement et regrets. Je la serre
dans mes bras, elle se débat, puis pleure sur mon épaule. Elle me dit qu'elle
m'aime toujours, mais qu'elle a besoin de temps. Que ça finirait par aller, et
qu'elle parlerait à mon père. Moi je sais, je sais que rien ne seras jamais
plus comme avant.