Lors de la sortie du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson avait encore tout à prouver. Dix ans plus tard il est devenu l'un des cinéastes les plus appréciés au monde pour avoir donner autant de rêve à une génération de cinéphiles devenus adultes aujourd'hui, pour avoir témoigné d'une générosité sans limites au fil de sa filmographie sans jamais avoir délaissé l'humanité de ses œuvres ou tout simplement pour la sympathie instinctive que dégage ce réalisateur. Parfaitement conscient qu'il aurait du mal à réaliser The Hobbit sans souffrir de la comparaison avec sa trilogie initiale sur l'œuvre de Tolkien, Peter Jackson refusa pendant longtemps de prendre en charge le projet préférant placer sa confiance en Guillermo Del Toro. Toutefois suite au désistement à contre cœur de ce dernier et à l'enlisement de la production, ce n'est que la confirmation de Jackson en tant que réalisateur qui permit à l'adaptation du Hobbit de prendre un envol devenu presque inespéré.
Une copie du Seigneur des Anneaux?
Quitte à créer un paradoxe étrange avec sa réticence initiale, Peter Jackson annonça presque au dernier moment que le Hobbit ferait l'objet d'une trilogie, une gourmandise assez disproportionnée qui trouve déjà écho dans ce premier volet. Mais avant d'aborder ce dernier point, il est important de comprendre que le Hobbit répond assez vite à la préoccupation première des fans : Peter Jackson allait t-il réussir à se renouveler après la trilogie du Seigneur des Anneaux ? Du point de vue de la forme, la réponse est non et était honnêtement prévisible. Le refus du cinéaste de prendre en charge l'adaptation de Bilbo était en effet assez explicite sur sa crainte de ne pas pouvoir offrir de l'innovation au spectateur. Maintenant capitaine sur le navire, Jackson choisit au contraire d'assumer jusqu'au bout sa proximité avec le Seigneur des Anneaux : même direction artistique, même acteurs et même style de mise en scène allant parfois jusqu'à reprendre les plans les plus célèbres de l'ancienne trilogie. La répétition de la réalisation n'est malheureusement pas équilibrée avec l'usage de la 3D qui reste assez secondaire voir grossière. La composition musicale d'Howard Shore renforce également cette impression de déjà vu en recyclant énormément de thèmes déjà exploités dans les films précédents mais se rattrape avec un thème principal qui restera longtemps dans les mémoires. La scène d'introduction dépeignant une conversation entre Bilbo âgé et Frodon semble même n'exister que pour mettre en avant cette proximité assumée avec le Seigneur des Anneaux. L'impact est ainsi à double tranchant, le film dégage une familiarité presque touchante et nostalgique en replongeant le spectateur dans un terrain connu mais dans le même temps, difficile de ne pas penser à ce qu'aurait pu donner l'univers de Tolkien avec la sensibilité nouvelle de Guillermo Del Toro.
Si cette continuité visuelle avec le Seigneur des Anneaux est à l'origine des multiples critiques actuelles envers le film, il est étrange de voir que la dimension comique du film est également souvent reprochée alors qu'il s'agit d'un élément salvateur pour le Hobbit. Fidèle à l'esprit de l'œuvre de Tolkien qui s'adressait à un plus jeune public que le Seigneur des Anneaux, le film se révèle ainsi beaucoup plus léger, décomplexé et humoristique que l'ancienne trilogie. Ce changement d'atmosphère, beaucoup moins grave qu'autrefois, permet ainsi d'insuffler au film une véritable personnalité qui lui faisait défaut sur le plan visuel, la réussite de l'ambiance devant énormément au travail des comédiens menés par un Ian Mckellen décidément formidable et un Martin Freeman qui, quitte à faire dans le cliché, était vraiment fait pour ce rôle.
Une surenchère fatale?
Ce constat sur le manque d'originalité visuelle du film découle bien logiquement sur sa principale lacune : sa surenchère. Il est courant de donner davantage au spectateur quand tu n'as rien d'original à montrer et si Jackson a souvent été à la limite de l'excès dans ses films, la frontière a peut être été franchie dans The Hobbit. Bien sûr, il est amusant de voir un déluge de créatures et de décors plus improbables les uns que les autres, d'autant que l'héroic fantasy est souvent assimilé à une surenchère d'éléments épiques. Toutefois, le Hobbit tombe dans le piège que le Seigneur des Anneaux parvenait à éviter : utiliser les effets spéciaux numériques quand il n'y en avait pas besoin. Pourquoi donc avoir abandonné les incroyables maquillages qui avaient donnés vie aux créatures ténébreuses de la Terre du Milieu durant l'ancienne trilogie ? Tout cela au profit d'une invasion de créatures numériques forcément moins crédibles. Un peu à l'image de King Kong qui souffrait de la même inégalité visuelle, les effets spéciaux de The Hobbit alternent en plus le grandiose comme le médiocre, témoignant une fois de plus de l'inquiétant aveuglement des réalisateurs Hollywoodiens sur les promesses des mondes numériques, ne réalisant pas à quel point ces techniques vieillissent à une vitesse alarmante et maintenant démocratisées à un tel point qu'elles en sont de plus en plus difficilement convaincantes. On se consolera néanmoins avec un Gollum plus expressif et humain que jamais au cœur de la scène la plus réussie du film. Cette surenchère visuelle se reporte également sur la narration où abandonnant le regard individuel de Bilbo adopté dans le livre de Tolkien, le film multiplie les points de vue à travers des rajouts parfois enthousiasmants ou complètement inutiles pour d'autres, la scène du Conseil Blanc constituant à ce titre un moment franchement laborieux.
De nombreuses lacunes donc, qui seront difficiles à pardonner aux yeux de beaucoup. Toutefois malgré ses défaillances, The Hobbit parvient pourtant à renouer avec la véritable réussite du Seigneur des Anneaux en son temps. Malgré les innombrables excès dans lesquels il s'est plongé, Peter Jackson demeure pourtant fidèle à ses principes et ne délaisse jamais ni ses personnages ni l'émotion de son histoire. La folie visuelle du film est à nouveau entrecoupée de scènes beaucoup plus posées et intimistes conférant au récit une lenteur qui aurait effrayée maints réalisateurs. Ceux qui s'étaient ennuyés devant le Seigneur des Anneaux s'ennuieront ainsi à nouveau devant The Hobbit, mais cette lenteur est néanmoins nécessaire, comme c'était le cas à l'époque, pour conférer à cette quête épique une humanité dont beaucoup de productions Hollywoodiennes n'oseraient même pas rêver. Peu importent les trolls, loups et gobelins en images de synthèse, au bout du compte ce sont les personnages humains qui restent en mémoire.
L'humanité d'un Hobbit
Si vous avez ressenti de l'attachement pour ce minuscule héros plongé dans une quête qui le dépasse, de la compassion pour ces nains qui voulaient retrouver leur foyer et de la sympathie pour ce magicien grognon et imprévisible, alors c'est que The Hobbit aura réussi son véritable objectif. Dans le cas contraire, nul doute que vous ne manquerez pas de raisons de détester ce film. Pourtant peu de blockbusters peuvent se vanter de posséder une âme véritable parvenant à engendrer une telle immersion. En réalité c'est bien depuis le Seigneur des Anneaux qu'un film n'avait pas véhiculé un tel émerveillement qu'il en était difficile de fermer l'œil après avoir été plongé non pas seulement dans un monde fantastique mais au côté de personnages si humains et attachants. Il est parfois bon de mettre son cynisme de côté quand une belle aventure, certes imparfaite mais sincère et attachante, se déroule sous vos yeux. C'est indéniablement le cas de The Hobbit et toutes les critiques du monde ne devraient dissuader personne de lui laisser sa chance.
Pour ma part, je n'ai pas envie d'être cynique aujourd'hui, Peter Jackson m'a à nouveau fait rêver bien plus que dans tous les blockbusters de ces dernières années, et je n'avais pas ressenti une telle hâte de connaître la suite d'un film depuis...le Seigneur des Anneaux. Et fort heureusement l'aventure ne fait que commencer.