Il est évidemment qu'un jeu ne procure pas les mêmes sensations selon le support et les contrôles avec lesquelles on y joue. Il est évidemment que s'il est créé et pensé pour un support en particulier, il sera moins intéressant si on le porte sur d'autres machines. Sword & Sworcery EP, le titre de Superbrothers et du musicien Jim Guthrie, était pensé pour être joué sur Iphone et Ipad, des dispositifs multi-tactiles, et il est moins prenant sur ordinateur avec une souris. Le tout est moins réactif pour scruter le paysage ou pour interagir avec les objets et on se sent limité dans nos possibilités d'action car le clavier n'est pas mis à contribution. Si j'énonce toutes ces banalités, c'est pour vous dire qu'il vaut mieux jouer à Sword & Sworcery EP sur smartphone plutôt qu'ordinateur et que ma note moyenne ne sanctionne pas tant le jeu que l'expérience vécue sur un support inadéquat et une adaptation pas assez réfléchie.

 

Un simple jeu indépendant sur-estimé ?

Les premières minutes de Sword & Sworcery déconcerte. L'aspect graphique, tout d'abord, on se retrouve avec des personnages qui ne sont que des amas de pixel qui évoquent plus des poupées rudimentaires que des êtres humains. Pourtant, aux premiers cliques, le personnage s'anime plutôt bien, quand on s'arrête elle scrute les horizons en mettant sa main au-dessus de ses yeux. Puis, on fait un zoom arrière et on se rend compte que les environnements en pixel-art dégagent bien une atmosphère unique. Le son diégétique y est pour beaucoup, on entend le vent soufflé à travers les feuilles, les animaux qui s'écartent, nos bruits de pas. Avec un soin particulier sur les détails, la minuscule équipe de Superbrother nous propose un microcosme vivant, dans un jeu en 2D en scrolling horizontal. Le joueur fait partie intégrante de cet environnement qui lui devient peu à peu familier au fil des allers-retours. Le temps que prend notre personnage pour traverser les différents tableaux donnent sens à la géographie des lieux. Avec quelques tableaux, avec très peu de moyens mais beaucoup de sobriété, Sword & Sworcery raconte l'aventure de son personnage, son "woeful errand" comme dirait le jeu.

Néanmoins, Sword & Sworcery est plus proche de l'aventure interactive aux accents postmodernistes que d'un véritable jeu aux choix impliquant et intéressants. On incarne une femme possédant à la fois des connaissances occultes et des compétences au combat à la recherche d'une relique ancestrale qui va réveiller une force maléfique. Elle va donc se mettre à chercher les esprits de la forêt et à affronter certaines créatures, en usant de ses talents sus-cités. La recherche des esprits qui constitue l'essentiel des activités du titre se passe toujours de la même façon. On se contente d'interagir en cliquant au hasard sur les éléments du décor dans un ordre particulier qu'on aura deviné aux fils des essais pour réveiller notre petit esprit sylvestre. Une ou deux fois, elles seront présentes sous la forme d'énigme, un jeu de différences par exemple, mais ce sera tout. Peut-être - je dis bien peut-être - qu'il s'agissait d'énigmes avec une logique interne, caché aux joueurs pour qu'il le découvre lui-même puisque le jeu se veut très mystérieux et ésotériques, un peu comme les énigmes de Year Walk, mais je les ai tous résolu (une bonne quinzaine) au hasard. C'était très insignifiant.

Les combats ne sont pas forcément mieux, mais je les trouve déjà plus acceptables pour un jeu prévu sur Ipad à la base. On est dans une sorte de jeu de rythme et de QTE dans des duels en face à face. Le joueur peut attaquer ou lever son bouclier, mais il ne peut toucher l'adversaire que lors de timing précis et certaines attaques demanderont à être esquivé en appuyant sur l'icône du bouclier au bon moment. On est dans une sorte d'adaptation simplet et tactile des combats de Dark Souls, d'Assassin's Creed et autre où il est question de timing et de contre-attaque. Ce n'est pas palpitant, mais ça ne constitue pas l'expérience majeure du titre, sauf si vous prenez votre temps à finir le jeu en explorant à la va-vite. Elle ponctue la progression dans l'histoire et dans les faits, seuls les longs combats de boss vous résisteront, car il vous faudra gérer sa santé en plein combat.

Out of this world

Pourtant, Sword & Sworcery arrive à livrer une expérience plaisante et satisfaisante malgré ses limites objectives. On est face à un jeu emprunt onirisme et d'esotérisme, et il nous émerveille par petites touches. Vous connaissez Another World ? Ce jeu français, connu et reconnu, qui avait apparemment révolutionné la narration dans le jeu vidéo de plate-forme et d'action. Les interactions contextuelles et uniques donnaient au titre un caractère moins mécaniques et plus cinégéniques. C'est la même chose dans Sword & Sworcery, certaines intéractions toutes simples laissent place à des résultats surprenants, rares et mémorables. Lever son épée pour pourfendre un arc-en-ciel, accomplir un sacrifice païen dans un monde souterrain et surréaliste, chercher désespérément une route ou un passage pour se rendre compte qu'on peut marcher sur l'eau. Le caractère merveilleux et épique de Sword & Sworcery est autant dans son univers à base de rêve, de cycle lunaire et d'objet magique que dans des interactions simples.

Ensuite, j'estime que le jeu réussit bien mieux que les jeux à gros budgets dans certains domaines. (si vous comptez faire le jeu, je vous conseille de sauter les deux prochains paragraphes) Je pense notamment à cette scène très simple où on nous propose d'achever un personnage qu'on vient de combattre alors qu'il est soumis et désarmé. Cette scène d'une simplicité incroyable m'a interpellé et j'ai décidé d'épargner le personnage en question, parce qu'il n'était pas de calcul question de ressources à gagner, de gain à court-terme ou sur le long-terme comme dans Bioshock. On n'arrêtait pas le jeu pour me faire comprendre que j'allais co-écrire mon personnage ou le scénario comme dans The Phantom Pain ou me sortir un long discours moralisateur comme dans Spec Ops : The Line. Non, c'était une scène diégétique, très sobre, où il était uniquement question de ma réaction face à ce pauvre personnage dans un jeu où on ne tue pas à tour de bras. Puis, j'ai revu ce personnage plus tard dans le jeu et j'ai compris que ce j'avais fait n'avait pas d'incidence sur la suite du déroulement.

Je pense aussi au système de progression est novateur et avant-gardiste. Terriblement vrai en plus. Comme dans Shadow of the Colossus ou Batman Arkham City, on incarne un personnage qui est fatigué et meurtri par ses affrontements, sauf que cette fois au lieu d'avoir un personnage qui se dégrade à travers son apparence, c'est sa jauge de vie qui diminue. On n'y croit pas au début. On perd un point de vie définitivement sur cinq après notre premier combat important. On pense qu'on va la retrouver, que ce n'est qu'un handicap temporaire. On en perd une autre, puis un autre. On est sûr qu'on retrouvera toutes forces pour l'affrontement final, même si notre marge d'erreur grossit pour les combats les plus simples. Puis, on comprends qu'il n'y pas de moyen de revenir en arrière, que le destin funeste de notre personnage est en marche. Juste brillant.

 

Hyperball, go !

Les plus pointilleux d'entre vous auront sans doute remarqué un terme balancé à la va-vite dans le second paragraphe du test. Je parlais rapidement de postmodernisme, ce qui me semblait plus juste pour qualifier le titre que "jeu d'hipster" ou "arty-bobo". Je n'ai pas les compétences et les connaissances requises pour étayer cet aspect, donc je me contenterai d'une description sommaire. Sword & Sworcery EP est un jeu soigné et un jeu conscient d'être un jeu comme Metal Gear Solid 2 avant lui. Cela se ressent autant dans le texte que dans les objectifs du jeu. L'écran titre est présenté par un homme en costume qui nous informe de la durée des sessions du jeu, qui commente l'histoire... et qui apparaît dans l'univers fantastique du jeu pour nous expliquer des mécaniques de gameplay. Le personnage principal avoue être dirigé par une force supérieure pour accomplir sa mission et le scénario se veut une parodie d'une aventure à la Zelda ou même de Shadow of the Colossus.

Je ne trouve pas l'écriture prétentieux, mais c'est un anglais très sophistiqué à base d'hyperbole, de pléonasme, de termes archaïques et d'expressions contemporaines que seuls un adolescent anglophone pourrait sortir. Je n'ai pas pu faire le jeu seul, ma soeur me traduisait les textes les plus difficiles et je riais bien devant les répliques des personnages. Le jeu se commente constamment en tant qu'aventure et tant que jeu et le fait de pouvoir lire les pensées des personnages dans un livre renforce cet aspect. Il n'est plus question de briser le quatrième mur pour rire ou pour délivrer un message, on baigne dans une ironie constante. Dans quel but ? Je l'ignore, car comme je vous l'ai dit, je n'ai pas analysé le jeu et son texte en profondeur. Mais si vous n'êtes pas réceptif à ce genre d'expérience, fuyez. Pour ma part, l'écriture et les répliques m'ont tenu en haleine toute la première moitié du jeu.

Je regrette de ne pas avoir consacré un paragraphe à la musique du titre et aux compositions géniales de Jim Guthrie, mais la musique du titre mériterait une analyse à elle toute seule. N'étant pas musicologue et n'étant pas familier avec les critiques d'album et B.O. je m'abstiendrai. Je vous dirais juste que la bande-originale de Sword & Sworcery diffère des compositions dans le jeu qui évolue selon vos actions, ce n'est pas une bande-son simplement juxtaposée sur des scènes.

Je me contenterai de dire que Sword & Sworcery n'est pas le meilleur jeu d'aventure de tous les temps, ni un excellent jeu. Mais, c'est une histoire interactive écrite par des auteurs, qui méritent d'être traité comme telle. Je terminerai en citant la note d'intention des développeurs... sortant de la bouche d'un des PNJ du jeu : "S : S&S EP does not produce a transcendent experience, it is merely intented to free the nervous system of ordinary patterns."