Vous m'excuserez, j'arrive après la bataille, les débats, les analyses, les décryptages et la sortie de l'épisode 2.
Le sous-titre c'est de la pure provocation, vous pouvez partir donc. Ce ne sera pas une critique assassine ou une attaque envers la rédaction de Gameblog.
Portal est un jeu qui m'a laissé une impression étrange. Le jeu me semblait parfait, je le pense toujours d'ailleurs. Il réussit parfaitement ce qu'il voulait faire à mon avis et il bénéficie de surcroît d'une mécanique de gameplay géniale et unique. C'est un jeu parfait, mais je savais avant d'écrire cette critique que je n'allais pas lui mettre la note maximale. Il y a des jeux que je ne considère pas forcément comme "parfaits" pourtant je leur mettrais une meilleure note. Alors, j'ai rejoué à Portal, je me suis mis à lire quelques critiques de plus, j'ai lu les commentaires des développeurs sur le jeu et je pense rendre compte de mon ressenti inexpliqué maintenant. Je pensais que cela venait de la facilité du jeu. Non, mais j'y reviendrai plus tard. Le "problème" de Portal se situe dans la structure du jeu, plus que dans sa durée ou son manque de véritable histoire.
La recette du parfait / culte / inoubliable selon Portal
Une structure en trois actes (rien à voir avec la narratologie, messieurs)
Portal se découpe, selon moi, en trois grandes parties. Ces parties sont identifiables grâce aux indications dans le jeu et dans les menus.
Premièrement, le didacticiel qui se déroule de la Salle 1 à 12. Du réveil de Chell jusqu'à la salle où on peut utiliser deux portails et être en possession de tous ses moyens. Ces premiers niveaux sont des modèles de niveaux didactiques, il n'y pas de textes ou de vidéos pour expliquer comme le jeu fonctionne. Le level-design et les objectifs nous poussent à le découvrir et à expérimenter. Le joueur est sans cesse aiguillé subtilement ou non, l'apprentissage se fait sans heurt. Il faut lire le commentaire des développeurs (en bonus) pour comprendre que rien n'a été laissé au hasard jusqu'à l'obtention du portal-gun complet. Ils ont rajouté des salles exprès pour faciliter les puzzles et on fait en sorte qu'une seule solution soit possible pour rendre l'apprentissage carré. La courbe d'apprentissage s'étend au-delà de ce didacticiel, évidemment, mais c'est au terme de cette partie qu'on est réellement armé. On a notre portal-gun opérationnel et on maîtrise le principe de dynamique des sauts et des portails
De plus, ces phases ne sont pas dénués d'intérêt en terme de jeu. On est aiguillé par le jeu pour faire ce que les développeurs veulent, mais on n'est pas pris pour un débile et les phases requièrent un minimum d'attention. Néanmoins, cette partie reste un gros tutoriel où nos possibilités sont limitées.
Deuxièmement, le coeur du jeu en terme de puzzle : les chapitres 13 à 18. On comprend que même si le jeu nous apprend de nouvelles choses comme l'utilisation des cubes comme protection, on entre dans le vif du sujet. On peut appréhender plus librement les puzzles et ils sont bien plus difficiles. Je pense que c'est sur cette partie que les développeurs ont mis le meilleur de ce qu'il pouvait en terme de game design/level design pour offrir un challenge intéressant. Néanmoins, pour ne pas brusquer les joueurs occasionnels, ils ont mis les versions difficiles de ces salles en bonus dans les défis. Ces six salles précisément. Ce qui précède et succède ces salles ne sont pas inclus dans les défis.
En terme, de jeu et de challenge, le titre atteint son paroxysme lors de cette partie. C'est à ce moment que Portal triture vraiment nos neurones et il profite de son apogée ludique pour nous offrir un retournement de situation et de perspective préparé en amont et loin d'être gratuit. GladDos va nous tuer, on est plus dans un puzzle-game innocent et on est bien un rat dans un laboratoire. La salle 19 est ce retournement de situation venant clore la seconde partie.
Et enfin, la dernière partie se trouve être l'évasion. Le jeu n'offre plus de situations de puzzle comme auparavant. Il se parcourt bien plus en ligne droite car on se cherche à s'échapper du complexe. L'objectif au sein des environnements restent souvent de trouver où tirer un portal. On se retrouve dans un jeu narratif plus classique, plus orienté action. Les deux passages où on se retrouve entouré par les tourelles et où on se concentre uniquement sur leur élimination me confortent dans cette idée. Ce que Portal gagne en narration et en intrigue, il le perd en challenge sur le plan de la réflexion. Les développeurs n'ont plus autant de mains mises sur leurs environnements hors des salles (comme GladOs... méta !) et on comprend pourquoi il n'existe pas de variantes "difficiles" de ces passages.
Le jeu se termine par la révélation de l'aspect de GlaDos et par sa destruction. Un affrontement et une destruction soigneusement préparé et enseigné par les développeurs au fil du jeu sur le plan du gameplay : une tourelle qu'on a due appréhendé de plusieurs façons auparavant et l'incinérateur qu'on a découvert lorsqu'on s'est séparé d'un...cube. Le jeu est clairement un didacticiel géant qui vous apprend comment le battre. Ce n'est pas un défaut puisque l'intérêt de Portal se renouvelle grâce à une courbe d'apprentissage qui ne prend fin qu'à la toute fin du jeu.
C'est simplement à la lumière de ce découpage arbitraire que j'ai trouvé ce qui n'allait pas dans mon ressenti. La seconde partie est trop courte. L'évasion doit représenter la moitié du jeu environ, ce qui fait que la première et la seconde partie se partage la première moitié du jeu. (c'est sans doute approximatif) Encore une fois, on a les défis pour compenser ce fait.Je pense que les développeurs ont très bien compris l'intérêt de ne pas étirer cette partie, car le risque de rendre les salles et le gameplay rébarbatif ou répétitif était un risque bien trop important pour ce gameplay unique. (ou alors ils étaient à court d'idée ou/et de ressources) Imaginez. Vous faites un délicieux gâteau, vous savez qu'il est bon, mais vous n'allez pas prendre le risque d'offrir une part trop grosse à vos invités et de les rendre malades. Vous allez jouer la parcimonie, l'économie. Même si à la fin, vous entendrez le prévisible et sempiternel "Oh dommage qu'il n'y en avait pas plus, c'était tellement bon."
C'est pour ça que même en reconnaissant le génie de Portal, ses enjeux, je ne peux m'empêcher de penser qu'un quart (ou un tiers) du jeu seulement est bien au-dessus du reste en terme de challenge et d'intérêt. Son début et sa troisième partie sont tous aussi intelligents, tous aussi prenants, mais moins intéressants manette ou souris en main. Le jeu est tellement fluide et fin dans sa progression que ce déséquilibre n'est pas flagrant à première vue. De plus, le jeu me gêne un peu dans sa facilité avec notre protagoniste qui encaisse (trop) bien les balles des tourelles ou la partie de l'évasion où les flèches et les indications parsèment tous les détours. L'évasion est aussi facilité par notre viseur qui change de couleur quand on vise une surface acceptant les portails. Comme on passe son temps à chercher une sortie et où viser, cela casse un peu le trip.
Mais bon, malgré ses défauts, ça reste un titre supérieur à ce que fait la concurrence dans sa conception, sa philosophie et sa mise en pratique. Je ne vous apprends rien.
Du coeur, une ambiance
Il serait injuste d'oublier toute la partie artistique du titre. Portal n'est pas seulement un titre maîtrisé, froid et parfaitement calculé comme ses premières salles. Il se dégage quelque chose d'unique dans ce jeu et les joueurs en sont les premiers témoins. Portal est un jeu culte. J'ai longtemps été distant par tous ces forumeurs obsedés par la formule "the cake is a lie", ces joueurs qui développaient un syndrome de Stockholm pour un ennemi de jeu vidéo (Portal a un énorme potentiel dans les études de psycho je vous le dis) et ces gens qui adorent chanter, écouter et remixer Sill Alive. Encore et encore. Heureusement, que je touche au titre que neuf ans plus tard et que je reste insensible face à Glados grâce au recul. Même si l'utilisation de la musique à des moments clés du jeu et la chanson de fin ne me laissent pas de marbre. Pour tous ses à-côtés et ses petits moments de folie, le titre transcende le statut de jeu de réflexion avec un high concept bien construit et c'est tout à son honneur.
Et Portal, je le pense, c'est l'un des enfants illégitimes de Metal Gear Solid 2. C'est la machine contre elle-même pour l'humain. (ou une blague amer, selon les joueurs) Portal, c'est l'histoire d'un cobaye (nous) voulant se retourner contre son géôlier qui lui donne des objectifs et des épreuves tout en cherchant à le tuer. On aura beau voir Glados comme un avatar des développeurs et la désobéir constamment pour ensuite la détruire. La mise en abîme nous place face au constat amer qu'au final on a fait ce que les développeurs cherchaient à nous faire faire. Une situation à la fois drôle et lourde. Quand on commence à démonter Glados à la fin et qu'elle nous demande d'arrêter, elle rajoute quelque chose comme "Vous pensez que je fais de la psychologie inversée ?" Véridique. Dire qu'en 2002, Raiden se retrouvait à réclamer et à déclarer haut et fort son libre-arbitre face aux Patriots, tel le joueur qui refusait d'admettre qu'il avait été berné par le jeu, pour finalement remplir la dernière mission qu'on lui avait imposé dans un combat final absurde. Dans une dizaine d'années, je suis sûr qu'on étudiera ces titres ensemble et qu'on les replacera dans une perspective encore plus grande qu'on le soupçonne actuellement.
En attendant, Portal est un grand jeu. Mais je suppose que je ne vous apprends rien.