La réputation sulfureuse de la franchise Grand Theft Auto ne suffisait pas. Il fallait surenchérir dans le vulgaire et le sexisme. Le scandale Hot Coffee, le nom attribué à un mini-jeu "effacé" huit semaines seulement avant la commercialisation de l'épisode San Andreas, aura explosé en pleine figure de Rockstar Games. Rappel des faits.
 
C'est par un étrange hasard qu'un joueur aura fait la découverte de l'existence de bribes d'un programme maladroitement supprimé. D'infimes traces du code sont conservés dans le jeu, au grand dam du studio. Et les termes pour désigner ces fichiers sont explicites : sex, kissing, smn, blowjobz. "A l'époque, notre hypothèse était que le studio avait abandonné des animations dans les premières heures de développement" témoigne dans les colonnes du site Eurogamer.net, Patrick Wildenborg, le jeune joueur responsable de cette incroyable découverte. Il se lance alors dans des recherches afin de connaître ce à quoi ces fichiers étaient destinés : "ce n'était pas uniquement une partie du code laissé à l'abandon, ils étaient pleinement opérationnels mais reconfigurés pour être inaccessibles".
 
 
Sur console PlayStation 2, il était quasi impossible de rendre fonctionnel le code source verrouillé de cette séquence supprimée de GTA San Andreas. P.Wildenborg fera donc le pari que ces fichiers existeront dans la version destinée au marché PC. En juin 2005, le jeune joueur se lancera, aidé d'un ami, dans la réalisation d'un patch afin de mettre à jour ce programme châtié par l'auto censure que l'éditeur s'est lui-même appliquée. Bien que Sam Houser, président et co-fondateur de Rockstar Games recommandera par écrit à l'un de ses subordonnés que l'accent soit mis sur le sexe "tenez compte du fait que ce jeu est avant tout destiné aux adultes".
 
Le sexe. Le dernier bastion que le jeu vidéo n'a pas encore abordé de manière franche, Rockstar voulait faire bouger les lignes avec provocation. Sam Houser reculera à la dernière minute, les censeurs de tout poils aux USA n'auraient fait qu'une bouchée du studio, fatigué d'encaisser leurs frondes moralisatrices des groupes de pression. Les détaillants avaient aussi une appréhension, le risque de boycott de leur part était à prendre en compte. Le jeune Patrick Windelborg ouvrira bien malgré lui la boîte de Pandore en donnant à la disposition de tout un chacun la possibilité de regarder les séquences cachées du jeu. Le scandale Hot Coffee était né "c'est une image en référence à des situations de jeu pendant lesquelles les petites amies du héros CJ veulent avoir leur dose de café (comprendre sexe)".
 

 
Entretemps, la décision de couper ces scènes à la jouabilité limitée aura provoqué de grands remous en interne. Dan Houser ne voulait pas trop dénaturer le jeu, de peur qu'il perde trop de son potentiel subversif mais la priorité était d'éteindre l'incendie naissant. Une proposition est soumise au conseil d'administration réuni en urgence. Plutôt que d'amputer le jeu de scènes explicites, celles-ci seront floutées. Solution rejetée à l'unanimité. La décision finale conduira au blocage informatique à défaut d'une reprogrammation en bonne et due forme, la date de commercialisation étant incompressible, nécessité fait loi.
 
En ce qui concerne la version PC, les délibérations ont été moins tendues pour un résultat identique à celle développée sur PS2. Sam Houser avait pourtant poussé à mettre au jour ces scènes effacées. "Lâchez les chiens", écrira-t-il dans un email adressé à ses collaborateurs. Quelques semaines après le lancement de San Andreas sur micro, le couperet tombe : "ils l'ont trouvé" rédige fébrilement Benzies Houser, producteur du jeu dans un email envoyé à Houser. Moins d'un mois plus tard, le régulateur américain ESRB (l'équivalent du PEGI) annonce ouvrir une enquête sur cette brûlante affaire afin de déterminer si "une violation de nos règles s'est effectivement produite." Très vite, les médias se saisissent également de cette controverse, enfoncent le clou avec force de titres sensationnalistes. Le jeune joueur est pris malgré lui dans cette tempête médiatique : "je me suis senti comme si j'évoluais en zone de guerre" dira-t-il harcelé par CNN, NY Times pour ne citer qu'eux.
 
 
C'est le silence radio du côté de Rockstar, Wildenberg tentera seul de déminer la polémique. Loin d'en tirer un profit médiatique, l'éditeur appellera le jeune joueur pour le remercier de son attitude exemplaire et désintéressée. Mais Rockstar fera volte-face. Celui-ci rejettera la responsabilité sur un groupe de pirates "modifiant la version officielle du jeu." La communauté du modding sera furieuse, elle se déchaînera contre l'éditeur peu scrupuleux et lâche. Le chef de produit de Rockstar reconnaîtra bien plus tard que l'éditeur s'était fourvoyé en accusant à tord les modders. L'enquête diligentée par L'ESRB conclue à la responsabilité pleine et entière de l'éditeur américain. Les mesures de rétorsion seront immédiates. Le jeu est requalifié en 18+ et quatre des plus grandes chaînes de magasin aux USA (Wall-Mart, Target, Best Buy et Circuit City) retirent San Andreas des rayons. Les tentatives de médiation de la part de Rockstar n'auront aucun effet sur leur décision.
 
Cette malencontreuse affaire gagne la sphère politique au plus haut niveau. Les appels à une règlementation fédérale plus sévère est proposée par la sénatrice Hillary Clinton. Des plaintes en nom collectifs pour violation des lois pleuvent. L'éditeur échappera à une condamnation financière de justesse mais sera placée sous surveillance juridique. Houser répondra pendant près de neuf heures aux incessantes interrogations de la commission d'enquête fédérale. Ses emails professionnels saisis seront épluchés dans les moindres détails : "ils m'ont demandé "pourquoi avez-vous mis cette apostrophe ?" [...] ces gens étaient là pour nous écraser" confiera-t-il désabusé au magazine 1up.com. Les plaintes déposées en civile par des groupes de pression aboutiront tout de même aux versements de fortes amendes (un total de 20 millions de $).
 
 
En conséquence, GTA4 sera considérablement édulcoré. Quelques clins d'oeil cinglants seront glissés dans le jeu par les développeurs. Par exemple, le visage de la Statue de la Liberté sera modifié au profit d'Hillary Clinton. En lieu et place de la flamme, une tasse de café sera modélisée. Qui aime bien châtie bien. Le sujet reste tabou au sein de Rockstar, les employés n'ont toujours pas fait le deuil de cette rocambolesque histoire...