"Le vent se lève".

C'est sur cette citation illustre du grand poète contemporain Shu l'oiseau du vent, de l'école littéraire du Nanto (connu pour son précis de cuisine exotique "bouillabaisse de loubard en lamelles et ses rognons servis sur un lit de cresson" et son recueil de haïku satyriques "Atatatatatata Etontontonaussi") que s'ouvrent les cent-vingt-et-quelques minutes dépourvues d'action, d'explosion et de fan-service de ce qui est annoncé comme la dernière merveille du Maître Miyazaki ("Miyazaki-Sama-Yamete", comme on dit au Japon, quand on est une jeune stagiaire intervalliste pour le studio Ghibli) ; dont le propos ravira à coup sûr tous ceux qui ont trouvé le scénario de Totoro trop compliqué, et le suspens de Kiki la petite sorcière trop intense (signalons au passage que "le kiki de la petite sorcière hermaphrodite" en constitue un excellent remake, que vous pouvez voir et revoir sur Gong en troisième partie de soirée).

 

A moins que la citation n'ait été de Rei ?

Je laisse les spécialistes hardcore d'Arzaak le Survivant,

comme on l'appelle sur Megadrive,

retrouver l'épisode exact d'où celle-ci est tirée...

 

L'intrigue tient en une page de script en comic sans MS caractères taille 74 et double alinéa en saut de ligne, ce qui peut sembler déjà très très long quand il n'y en a aucune, d'intrigue, et qu'on n'a même pas une course-poursuite en vélo - ou je ne sais pas, moi, un duel de pogs - pour faire monter l'adrénaline... aussi vais-je essayer de vous la développer en quelques paragraphes, parce qu’il n’y aurait pas de challenge à vous la résumer et que quand même, merde, c'est le premier film au monde qu'on peut raconter en entier sans rien spoiler du tout (Aerith meurt effectivement à la fin du CD1, mais c’est pas dans ce film-là). Pour vous donner un ordre d’idée, même le long métrage du Super Namek, il est plus palpitant. Et pourtant, le Super Namek, c'est la side-story de DBZ, elle te fait regretter Lars Von Triers en V.O. – y compris son truc avec Bjork (l'éloge de la surdité, ou je sais plus trop quoi). 45 minutes d’images fixes à la gloire d’un croisement improbable entre Hulk et Maya l’abeille, et des scènes de combats qui sont à l’animation japonaise ce que la narcolepsie est à la conduite automobile, ça vous marque une filmographie.

Au fer rouge.

Avant de la mettre aux travaux forcés.

 

 

Mais las !

Si vous avez déjà vu tous les Ikkitousen Dragon Destiny, que vous n'avez plus aucune saison de Ladies vs Butlers ! en retard, que vous êtes capable de voir un épisode de Camping Paradis sans tourner de l’oeil et que vous projetez de visionner cette oeuvre d’Art un soir de grand désoeuvrement (ce qui s'appelle, en l’occurrence, tromper l'ennui sans lui faire d'infidélités), je vous conseille de ne pas poursuivre votre lecture, elle court trop vite pour vous.

Le Vent se lève, donc, c’est l’histoire de Jiro, un petit garçon japonais qui vit à la campagne et dont les parents, de toute évidence, cultivent eux-mêmes les champignons qu'ils mettent dans leurs salades. Non parce que la nuit, Jiro, il rêve qu'il retrouve un gros moustachu chelou à l'accent italien, qui lui parle de toutes les façons dont deux hommes peuvent s'envoyer en l'air sans être inquiétés par la loi, ce qui n’est définitivement pas le genre de rêves que sont censés faire les gosses de cinq ans normaux - et devrait, par conséquent, interpeller les services sociaux du coin. Dans un pays où on trouve hilarant de se coiffer d'un caca en  plastique, on ne sait jamais.

 

 

...et comme il n’est pas à une perversion près, Jiro, il est obsédé par les avions. Il ne vit que pour ça. S'il faisait la Japan Expo, il s'y pointerait avec deux ailes en carton scotchées sur les oreilles, des réacteurs sous les aisselles qui sentent le moteur en surchauffe et une queue calée dans le... dos (Miyazaki oblige, on m'a demandé de surveiller mon langage et de faire distingué, ce qui est très dur, je ne vous le cache pas). Oui mais voilà : il est myope, le Jiro. Il y voit clair comme les mecs qui trouvent ce film-là bien animé, malgré les deux ou trois séquences où les mouvements des protagonistes rappellent les épisodes les plus gay-friendly de Rahan le fils des âges farouches. Alors le manche à balais, il peut s'asseoir dessus, si vous me passez l’expression (au moins, ça expliquerait les problèmes susmentionnés). De dépit, il a décidé de devenir ingénieur et de les construire, ces foutus coucous, un peu comme les gars sur le net qui ne sont pas fichus d’écrire un article cohérent mais qui ne manquent jamais une occasion d’aller critiquer ceux des autres en des termes peu flatteurs et pas toujours convenablement orthographiés. Si ce n’est qu’à l’inverse de ces gars-là, c'est un bon garçon, le Jiro : la séance commence à peine qu’il vole déjà au secours d'un jeune souffre-douleur en pourparlers physiques avec la bande des terreurs du quartier. Celle-ci est en train de lui démontrer que tout vient à poings à qui sait attendre, quand notre héros s’interpose avec l’assurance de qui sait que le film entier repose sur ses épaules et que partant de ce principe, il ne risque pas grand-chose à 115 minutes de la fin. Aussi se fend-il d’un de-achi-barai parfait dans ce qui sera, mieux vaut que vous soyez prévenus, la seule et unique séquence de combat qui ponctuera l’ensemble (tâchez d’en profiter parce que ça va très vite). La scène nous apprend de lui qu'il ne supporte pas l'injustice et n'hésite pas à prendre le parti des plus faibles, ce qui nous permet de le connaître un peu mieux mais ne présente pas d'intérêt non plus vu qu’à aucun autre moment, ce trait de caractère ne sera exploité. Oh, et j'oubliais : Jiro a une soeur, aussi, mignonne et pleine d’allant, avec qui il regarde les étoiles et tout. Mais faut pas trop s'y attacher, vu qu'on ne la reverra que cinq minutes à la toute fin. 

Quelques années plus tard, Jiro subit toujours les effets secondaires de la salade de champignons, y compris au niveau digestif (d'où le titre). Il décide donc de prendre le train pour la ville afin d’intégrer l’université qui lui permettra de réaliser son rêve intitulé "un peu plus près de toi, mon gros moustachu". Au cours de son voyage, il rencontre une jolie jeune fille qui n'a aucun scrupules (comme toutes les jolies jeunes filles) à lui spoiler la fin du poème pour lequel il feint de se passionner afin de se donner un genre. Ceci, dans un français approximatif qui ferait paradoxalement honneur à bien des élèves de 3ème. Cette dernière ayant l'amabilité de ne pas s'effaroucher en entendant sa voix de Nazgul, ou de mec qui aurait profané sa propre tombe de l’intérieur, une romance semble sur le point de naître quand soudain, la loi de Murphy leur commande un tremblement de terre personnalisé, exprès pour dévaster Tokyo en général et la voie de chemin de fer en particulier. Aussitôt, on pense à la guerre qui éclate avec dix ans d'avance (et puis quoi ? ça se saurait, si l'Histoire était une science exacte), on pense Godzilla, on pense Mothra, on pense duel entre les deux avec, peut-être, l'apparition surprise de King Ghidorah

 

 

Cependant  on s’emballe trop vite, il n’y aura rien de tout cela, on le devine quand la secousse se calme. Bon alors évidemment, les wagons déraillent malgré tout, hein, il y a des gens qui meurent mais l’essentiel, c’est que ça puisse donner à l'ami Jiro l'occasion de bomber le torse et de se la jouer Clark Kent aux yeux de sa future Loïs. Ha, ce que c'est que les hasards de la vie, quand même, c’est bien fichu. Certes, les familles qui agonisent sur le bas côté pourraient être tentées d’exprimer un avis contraire, MAIS OSEF vu que Miyazaki ne les montre pas parce que c'est sale et antipoétique - et que du coup, ça n’a rien à foutre dans son chef d’oeuvre. De sa propre initiative, Jiro porte assistance à la suivante de la jeune fille, ou sa tante, ou sa soeur, ou sa préceptrice, ou sa nounou, on ne sait pas, le film oublie de nous le dire, à moins qu’il ne s’en foute aussi, difficile de se prononcer. Toujours est-il qu’elle a des boobs et la cheville foulée (ou un truc dans le style), ce qui justifie pleinement l'intervention de notre Cary Grant improvisé, au milieu des enfants aux membres broyés ou des sexagénaires en état de choc (il faut dire, à sa décharge, que le « sex » de « sexagénaire » n’a rien de particulièrement prometteur, en matière de rétributions). Point culminant de l'héroïsme (là encore, profitez à fond, vous ne verrez pas mieux ensuite, même en nettoyant vos lunettes), il transforme la belle chemise donnée par maman en garrot de fortune, des fois que le sang se mettrait à couler (on n'est jamais trop prudent, dans un Miyazaki). Ceci fait, il installe sur son dos l’infortunée demoiselle, remercie le ciel de s’être acharné sur celle avec les boobs et entreprend de ramener les brebis égarées à l’étable familiale... qui s’avère être un manoir de belle taille, où les accueillent avec plus d’effervescence qu’un Aspro 500 des gens de maison pressés de prendre le relais. Aussitôt, on pense lutte des classes, on pense Roméo et Juliette, on pense amour-impossible-condamné-par-la-morale, on pense rendez-vous-secrets-au-clair-de-lune, on pense espoirs et déceptions, on pense happy-end-au prix-d’efforts-méritants-pour-s’élever-dans-l'échelle-sociale-et-devenir-le-gendre-idéal… cependant on s’emballe trop vite, il n’y aura rien de tout cela, on le devine sitôt que le père de la fille (Naoko, elle s’appelle) hèle ce bon-samaritain-malgré-lui pour demander son nom, histoire de pouvoir le remercier après coup - ou, au moins, lui rendre sa chemise de pauvre en coton qui gratte - ; tandis que ce dernier part en courant sans demander son reste (ni répondre à la question), chevaleresque jusqu'au bout à défaut d’être courtois (ce qui n'est définitivement pas une chose à faire quand on désire revoir une personne qui nous plaît. Entre avoir l'air cool et tirer son coup, Jiro a fait son choix – qui sommes-nous pour juger ? De toute façon, il ne rêve que de gros italiens moustachus, ce qui lui fait au moins un point commun avec les fanboys de chez Nintendo).
 
Assez traîné, direction la fac. Qui brûle. Mais ce n’est qu’un détail vu qu’à aucun moment, cela ne constituera un obstacle à rien. Non, Jiro ne sera pas à la rue, oui, Jiro va pouvoir suivre sa formation et non, le grand tremblement de terre de Tokyo n’y pourra tellement rien changer que trois minutes plus tard, tout est déjà reconstruit. « ça passe vite, hein ? », lance Jiro à je ne sais plus qui.

Tu m’étonnes.

Tu ne voudrais pas te payer encore plus ouvertement la tête des spectateurs, des fois ?

A la fac, donc, il retrouve une vieille connaissance, sans doute un ancien camarade de classe, ou un voisin, ou un ami de la famille, ou une entité multidimensionnelle venue conquérir le monde, vu que le film n’est toujours pas décidé à nous filer le moindre tuyau sur qui sont ses personnages et pourquoi (ou peut-être le rencontre-t-il à cette occasion ? C'est que le scénariste s'en fout tellement que ça devient vite communicatif). D'emblée, on sent l’individu plein de talent, plus expérimenté que notre héros, avec qui il semble partager une relation profonde (mais moins qu’elle le serait s’il avait la moustache et soixante dix kilos de plus), teintée de respectueuse concurrence. Aussitôt, on pense future rivalité, on pense conflit en maturation, on pense (selon les générations) Lex-Luthor/Superman, Peter Parker/Harry Osborn, Dawson/Pacey, Naruto/Sasuke, on pense
ils-étaient-comme-des-frères-mais-les-circonstances-les-a-séparés, on pense ambition-contre-raison, on pense deux-hommes-amoureux-d’une-même-femme-qui-se-la-disputent-sur-le-terrain-de-l’ingéniérie, on pense celui-qui-construira-l'appareil-le-plus-performant-gagnera-le-coeur-de-la-belle, on pense duel-final-où-ils-pilotent-tous-deux-leurs-prototypes, on pense
Jiro-qui-gagne-jusqu’à-ce-qu’un-incident-technique-lui-fasse-courir-un-danger-mortel-et-oblige-son-adversaire-a-sacrifier-sa-vie-pour-le-sauver, on pense "aime-la-Jiro-prends-soin-d'elle-à-ma-place-et-pardonne-moi-d'avoir-été-indigne-de-ton-amitié" (bref, on pense Macross +)…

 

 

Cependant on s’emballe trop vite, il n’y aura rien de tout cela, on le devine sitôt ce personnage écarté du récit, à savoir dix minutes plus tard, une fois sa tache remplie (à savoir : permettre l'intégration de Jiro dans ce nouveau cadre sans que le scénario n'ait besoin de rien développer sur ce plan-là non plus. On ne sait jamais. Une luxation de la trame narrative est si vite arrivée)... suite à quoi il ne réapparaîtra que de manière épisodique, devenant par là-même le premier intermittent du spectacle au sens propre que le monde ait connu (enfin, "connu", c'est un grand mot). On a bien fait de ne pas s’attacher à lui non plus : on ne le reverra que dans les moments (rares) où Jiro aura besoin d'une saine et motivante émulation, ce qui le rendra peut-être sympathique aux yeux des retrogamers, c'est toujours ça de pris. Après, j'ai un peu perdu le fil de la chronologie, ce qui est une manière polie de dire que je me suis endormi. Mais bon. Vu qu'il n'y a quasiment aucun lien de progression logique entre les scènes, ni aucune séquence qui dure plus d'un quart d'heure, difficile de s'en rappeler l'ordre exact. Toujours est-il que trois ans plus tard (trois minutes montre en main), Tokyo est reconstruite. Entre temps, le "comment vous appelez-vous ?" lancé par le beau-père potentiel s'est enfin frayé passage jusqu'au cerveau de Jiro, pestant d'avoir choisi l'itinéraire économique, amenant le jeune homme à mesurer l'ampleur de sa bêtise - pile au moment où les poils ont commencé à lui décorer le torse. Aussi a-t-il essayé de revoir sa dulcinée, sans trop qu'on sache (ni lui non plus) vers laquelle des deux postulantes au titre le portaient ses pensées - sans doute celle qui y aurait été le plus disposée ("faites que ce soit celle avec les gros nénés ! Faites que ce soit celle avec les gros nénés !"), ou celle qui aurait le mieux porté la moustache après la puberté ? Au pire, il les aurait tirées à la courte paille (en attendant que son membre viril ait atteint sa taille optimale). Seulement voilà, le manoir a brûlé, il n'en subsiste plus que les fondations et la seule chose qui tienne encore debout, par conséquent, se trouve dans le pantalon de Jiro.

Mais qu'à cela ne tienne, justement, puisqu'on en parle ! Même un cas désespéré de son envergure, en lice pour intégrer le casting 2014 des Chtis à Mikonos, ne peut pas être une nouille sur tous les plans non plus. C'est donc sans peine qu'il a intégré le cabinet d'ingénieurs où travaille son sempai/jumeau disparu à la naissance/amant occasionnel/double maléfique (le hasard fait bien les choses, ça permet à celui-ci de se réacquitter de sa mission première et d'épargner pas mal de travail au scénariste, qui ne voudrait surtout pas risquer l'entorse du poignet)... le tout, sous la houlette d'un chef de secteur proportionné comme le mécano d'Albator (coïncidence ?), lequel semble dans un premier temps vouloir le prendre en grippe et lui rendre la vie infernale.

 

 

Aussitôt, on pense Rémi sans Famille, on pense le Petit Lord, on pense Rody le petit Cid, on pense lutte-pour-la-reconnaissance-et-le-droit-aux-petits-bonheurs-simples-de-l'existence-à-commencer-par-l'existence-elle-même, on pense Candy - en version plus ou moins virile…

 

 

cependant on s’emballe trop vite, il n’y aura rien de tout cela, on le devine sitôt que sous les airs bourrus du bonhomme affleurent les premiers scintillements de bienveillance. Motivé par la petite bedaine de ce supérieur au coeur d'or (laquelle lui rappelle son bel italien), Jiro fait des merveilles, il dessine comme personne ce qui ressemble à des étendoirs à linge de l'espace ; alors pour le récompenser, on l'envoie faire son stage en entreprise dans ce pays hospitalier qu'est l'Allemagne, afin d'y étudier leur technologie d'avant-garde. Une belle opportunité de carrière, doublé d'un beau voyage -enfin, en théorie, parce qu'à son arrivée, on les sent quand même un peu tendus du slip, les Allemands, comme s'ils étaient à la veille d'un grand truc et s'ils avaient peur que quelqu'un d'extérieur évente la surprise - du genre un petit malin qui croirait spirituel de demander "non mais sinon, ils vont servir à quoi, là, tous ces bombardiers ?". Par chance, Jiro n'est pas de ceux-là. Pour lui, les bombes, c'est pour faire joli sous les ailes, ça habille un peu le design, ça équilibre. Après OK, effectivement, c'est susceptible de tuer des gens, c'est sûr, seulement c'est pas avec un état d'esprit aussi négatif qu'on fera avancer les choses en général et les avions en particulier. Devant l'hostilité manifeste des teutons, dont l'attitude se durcit invariablement en sa présence (sans qu'ils soient excités de le voir pour autant, contre toutes attentes), on pense choc des cultures, on pense difficile acclimatation, on pense deux-modes-de-vie-se-confrontent-se-jaugent-se-mettent-en-perspective-et-s'enrichissent-mutuellement-non-sans-de-cocasses-incompréhensions, on pense apprivoiser-l’autre-et-gagner-son-respect-par-le-mérite, on pense mettre-de-côté-les-différences-pour-se-découvrir-tous-semblables, cependant on s’emballe trop vite, il n’y aura rien de tout cela, on le devine sitôt passé les trois premières minutes d'un séjour qui n'en excèdera pas six (il m'a excédé moi, c'est déjà suffisant) ; car à peine Jiro a-t-il posé ses valises qu'on le rapatrie manu militari sans lui laisser le temps de les défaire, ni lui donner d'explications particulières (c'est ce qui se rapproche le plus de la tradition ancestrale, dans ce film)... ni, du reste, que le passage ait servi à quoi que ce soit. On aura bien noté l'apparition-éclair d'une figure historique mineure, le temps pour elle de décrocher deux mots anecdotiques et d'esquisser un sourire VRP, ce qui aurait pu être enthousiasmant dans le cadre d'une pub Volkswagen ("et mes avions, c'est du béton ! Enfin, c'est de l'acier, mais du béton quand même ! D'ailleurs, maintenant qu'on en parle, c'est du béton armé mais chut ! C'est pour faire une blague à l'Europe"), pas dans le cadre d'un long métrage d'animation appelé à devenir culte. 

 
En villégiature au Center Parks nippon le plus proche (je ne sais plus pourquoi on l'envoie là-bas, mais connaissant le scénario comme je le connais, il existe certainement une très très bonne raison - RIRES), il retrouve (le monde de l'animation est petit) Naoko, dont il est tellement amoureux et à laquelle il a tellement pensé ces trois dernières années qu'il la reconnaît sans trop de mal, mais pas tout de suite et seulement après qu'elle lui ait rafraîchi la mémoire (à sa décharge, entre temps, les boobs sont arrivés, pas la moustache). Si l'amour est aussi aveugle qu'on le raconte, notre Jiro a pour ce dernier d'évidentes prédispositions même si, du point de vue du spectateur, ça ressemble plus à un handicap qu'autre chose. Mais trêve de négativisme ! Pour le jeune homme, c'est le coup de foudre immédiat (avec seulement mille quatre vingt seize jours de retard) dès l'instant où elle lui glisse à l'oreille, ni vue ni connue (pas folle, la guêpe), que Miss Poitrine Opulente réserve désormais cette dernière à l'usage exclusif de sa progéniture, écartant par-là même toute menace potentielle et privant sa rivale de toute possibilité de come-back au sein du récit. Parallèlement, il est abordé par un étranger d'origine germanique (semble vouloir nous indiquer son accent – déterminé à combler les lacunes du script dans la mesure de ses maigres moyens), avec lequel il discute de choses un peu cryptiques, telles que la littérature, les montagnes magiques,  l'avenir du Japon voire l'avenir du monde (à l’instar de ses concitoyens, Jiro ne comprend pas la raison d'être de ce dernier distinguo, mais passons), avant de se lancer dans un karaoke des jeunesses fascistes ou un truc dans le ton, vu que c'est martial et que c'est en allemand. Ach, gut ! Das ist zehr dansant, meine General ! Le bonhomme est louche, il en sait trop, comme s'il était là à dessein (un peu comme Naoko qui, au risque d'insister, a des seins aussi, désormais), comme s'il savait tout sur Jiro. En plus, il n'a pas de moustache, et on le jurerait tout droit sorti d'un manga de Naoki Urasawa.

 

 

Aussitôt, on pense réfugié politique, on pense espionnage industriel, on pense police spéciale, on pense Johan Liebert, même, éventuellement, on attend le premier cadavre et l'arrivée du Docteur Tenma, moins rasé que jamais...

 

 

Cependant on s'emballe trop vite, il n'y aura rien de tout cela : un beau jour d'été (il fait beau, ça doit être l'été), sans crier gare (ni rien crier du tout, en fait), le personnage reprend la route, avec ses hypothétiques problèmes sur le siège arrière, et ne reviendra tellement plus par la suite qu'on se demandera longtemps à quoi il a pu servir, lui aussi, à part jouer la montre. Néanmoins cela ne traumatise pas Jiro, dont la partie inférieure paraît désireuse de rattraper le temps perdu - ceci, que la partie supérieure soit d'accord ou non. En conséquence de quoi les deux s'accordent-elles pour demander la main de la demoiselle convoitée au père de cette dernière (qu'on se mette tous d'accord : "demander la main", c'est une métonymie pour "fiançailles", pas une façon distinguée de réclamer un handjob) - père qui la lui accorde avec si peu de réticences qu'on subodore le vice de forme ou un défaut de fabrication. Alors quand trente seconde plus tard (ou plus tôt, ça n'a pas d'importance), la future mariée garde la chambre, non pas pour éviter qu'on la lui vole mais parce qu'elle est (nous annonce-t-on avec des sabots taille 48) malade, on se doute bien que ce n'est pas un petit rhume de rien et pour une fois, on a raison : la pauvrette est mourante. Tuberculose, comme sa défunte mère. Même Clémentine et Princesse Sarah y ont échappé en leur temps, c'est vous dire si c'est moche. Néanmoins cela ne décourage pas Jiro, qui ne renonce pas à elle pour autant - mais ne revoit pas non plus sa façon d'établir ses priorités puisqu'il la plante là et retourne bosser, entamant avec elle une romance longue distance pleine de charme et de retenue (un courrier tous les deux mois, voilà une histoire de coeur pas trop chronophage qui laisse plein de temps pour faire des avions. N'est-ce pas là le rêve numéro 1 de tout homme, ex aequo avec celui des gros italiens moustachus ?).
 
C'est que comme on pouvait s'y attendre, vu qu'on a fait un film sur lui, notre Jiro, c'est un
génie, et pas seulement dans le domaine des relations sentimentales : figurez-vous qu'il a inventé les ailes avec rivets apparents.

Oui. Carrément.

Ha-haaaaa !

Là, tout de suite, ça moufte moins, dans le fond !

Finies, les remarques désobligeantes du style "il est nul, ton dessin animé, rentre chez toi jouer à Ni no Kunilingus" !

Finis, les ronflements surjoués au premier rang !

Finie, même, cette chronique honteuse ! (ha tiens non ? !)

Les rivets apparents, ça vous pose son homme, ça, tout de suite ; on comprend mieux pourquoi le mec fascine Miyazaki. Le père spirituel des jantes alliage et de l'autoradio aurait-il été japonais que le Maître n'aurait jamais raccroché sans lui avoir d'abord dédié une trilogie (premier volet : "Le voyage de la Citroën C3 surclassée édition spéciale Chihiro"). Tout ça pour en venir au fait que tant d'innovation ne pouvait pas laisser son sempai/adjuvant/modèle/suiveur/nemesis de marbre (parce que oui, au risque d'insister, on le revoit de temps en temps, histoire de nous rappeler son existence - dommage, d'ailleurs, que son design n'intègre pas un post-it avec son prénom au beau milieu du front, ça nous aurait rendu un fier service à nous autres spectateurs) ; et si, dans l'enthousiasme du moment, celui-ci s'engage à adopter cette façon de faire pour ses propres appareils, sa pruden... son amitié désintéressée lui commande de laisser à son cadet la primeur du passage de la théorie à la pratique. Une explos... un succès planétaire est si vite arrivé. Il ne voudrait pas l'en priver avant d'être sûr qu'il ne risque rien lui-même. C'est que c'est dangereux, les explos... succès planétaires. Ce que les évènements confirmeront plus tard.

Ou plus tôt.

Comme je l'ai admis, il y a des moments où j'ai un peu perdu le fil - qui tenait plus de la ficelle, voire parfois du cheveu... et puis je ne suis pas certain que le cinéma ait passé les bobines dans l'ordre, en fait. A mon avis, le projectionniste avait oublié de désactiver l'option Shuffle qu'il utilise pour les vaudevilles de Michaël Bay

Toujours est-il qu'une chose est sûre : à un moment, la police cherche Jiro pour une raison dont, ô surprise, on ne sait rien. Et puis quoi ? C'est la police, merde ! Depuis quand elle a besoin de raisons pour rechercher les gens ? Aussitôt, on repense espionnage industriel, au séjour en allemagne et aux suspicions assorties, aux suites inattendues (mais espérées !) de sa rencontre avec le bonhomme bizarre du Center Parks. Cependant on s'emballe trop vite, il n'y aura rien de tout cela (tintintintintinnnnnnnnn ! Vous y avez cru, hein, cette fois ? Hé ben moi de même) : son supérieur hiérarchique se borne à le cacher chez lui et les agents de la maréchaussée n'ont pas l'idée d'y improviser une petite descente, histoire d'être sûrs.

 

 

Jiro est proche de tant d'individus (deux) que fouiller leurs bicoques serait une perte de temps vouée à un échec retentissant... Forts de ces considérations, ils se contentent d'employer tous leur skill de professionnels pour pirater la boîte aux lettres de Naoko et ouvrir son courrier galant, des fois qu'ils pourraient lire des cochoncetées ou récupérer des photos où on pourrait entrapercevoir (soyons fous !) un mollet ou un bout d'épaule. ça s'arrête là. Naoko trouve juste sa correspondance un peu collante à l'arrivée, mais c'est un moindre mal que tous les fans d'Hyperdimension Neptunia ont appris à surmonter. A aucun moment, semble-t-il, l'idée de jeter un oeil à l'adresse d'expédition n'effleure qui que ce soit. C'est qu'il faut replacer la situation dans son contexte, aussi : nous sommes en 1926 (27 ? 28 ? Le film ne nous le dit pas non plus mais on s’habitue, à la longue). La police de l'époque ne connaît encore rien de nos méthodes d'investigation modernes. Pourtant, quand l'état de Naoko empire tout à coup et nécessite que Jiro sorte de sa retraite, aussitôt, on ne peut pas s'empêcher de penser mise en scène, de penser traquenard, de penser piège-machiavélique-ourdi-par-la-soldatesque-casquée, de penser famille-innocente-prise-entre-deux-feux-et-forcée-de-collaborer, de penser NIK-LA-POLISSE-FRER-! mais finalement, rien de tout ça : n'écoutant que son courage, porté par les ailes de l'amour, Jiro fait fi de l'adversité, saute dans le premier train qui passe et se précipite au chevet de sa belle, son âme-soeur, celle-là même qui donne un sens à son existence. Chevet où il passe à peu près une heure, grand max’, le temps de s'assurer que OK-bon-tout-ne-va-pas-bien-mais-suffisamment-malgré-tout-vu-qu'a-priori-elle-respire-toujours-même-si-ça-fait-des-drôles-de-bruits-quand-elle-essaie-alors-heureusement-qu'elle-essaie-pas-trop, avant d'en refaire six de train dans l'autre sens pour retourner à ses hangars. Le coeur a ses raisons que la raison ignore, méprise et piétine.

Pour éviter que cette crise ne se reproduise (et de trop déranger Jiro, hein, ce serait dommage), on envoie Naoko en soins intensifs dans un sanatorium à la montagne pour lui permettre d'y suivre un traitement de la dernière chance - qui mérite décidément bien son nom : fruit des dernières innovations de la recherche spatiale en matière de santé, il consiste à allonger les patients sur des chaises longues, à l'extérieur, côte-à-côte, exposés au vent (qui se lève, des fois, c'est écrit dans le titre), au froid et à la neige (oui, c'est un bundle), soi-disant que "ça aurait été plutôt bénéfique à Rémi sans Famille" (voir supra), dans l'espoir secret (j’imagine) que ceux-ci finissent par choper un virus plus mastoc, lequel se débarrassera sans pitié du précédent locataire (les hypothétiques survivants seront intégrés d'office à l'armée en qualité de "supers soldats"). Toujours hébergé gracieusement par son boss - et ceci, bien que la police ait vraisemblablement décidé d'intégrer le casting d'une fiction danoise -, Jiro y voit l'occasion idéale d'importer sa moitié sans taxe de douane (Fuck son traitement ! Comme le suggère la sagesse populaire, et tant pis pour l'oxymore : « une bonne épouse est une épouse morte, mais qui a comblé son mari avant ! »). Ce qui, accessoirement, leur permet de bénéficier d'un mariage à domicile gratos, sans quoi ils n'auraient pas pu vivre sous le même toit ; amenant le spectateur à se demander (c’est légitime) si notre héros est vraiment le grand naïf irresponsable, obsessionnel et égoïste que l'on croit, ou s'il n'a pas un lien de parenté direct avec le futur Light Yagami, et tout calculé depuis le début - voire éventuellement depuis le milieu - de Ponyo sur la falaise.

 

 

La cérémonie expédiée par Chronopost (approchez mesdames et messieurs ! Venez assistez à nos quatre minutes de romantisme assurées ! Spectacle unique au monde ! Émerveillement garanti ! Les larmes vont couler sur vos doux visages ! Satisfait ou remboursé DEUX FOIS !), ils vont se coucher, mais pas coucher pour autant. Car émoustillé, Jiro n'a qu'une hâte : retrouver son beau moustachu, ce que Naoko n'entend ni de cette oreille, ni de cet oeil, ni d'aucune autre partie de son corps en général et du bas-ventre en particulier… aussi l'attire-t-elle fiévreusement à lui, cette grosse cochonne qui, comme toutes les femmes, n'attendait que ça depuis, allez, le deuxième tiers du Château Ambulant (au moins !) pour souiller son âme immortelle et les draps de leur hôte. C'est toujours le même modus operandi : ça papillote des cils, ça joue les ingénues, ça vous feint la candeur, tout ça pour vous pousser au vice et vous faire porter le chapeau de la luxure (ou, plus probablement, son boxer moulant). Le film en fait la démonstration objective : modèle de vertu (on va appeler ça comme ça) et de droiture morale, jamais Jiro n'aurait songé à prendre l'initiative - ou à prendre tout court - si sa compagne n'avait pas usé de ses appâts infernaux pour le damner aux yeux du Créateur. Rien de nouveau à l'est d'Eden : ça a déjà été le même bazar avec Adam et Eve. Nous, les hommes, on est peinards, irréprochables, innocents comme l'agneau psychopathe dont le tribunal n'a pas pu établir la culpabilité ; et ces trainées, jalouses qu'on soit les préférés de Notre Seigneur, viennent nous chauffer avec leur protubérances tentatrices, nous envoient des signaux, nous préparent des patates (aphrodisiaque ultime, pour la gent masculine, on ne le sait que trop) et après, c'est nous qui passons pour de gros pervers parce qu'on leur aura arraché leurs vêtements à coups de dents, parce qu'on leur aura collé des oreilles de chat en plastique sur la tête ou parce qu'on aura perdu nos lentilles dans les profondeurs énigmatiques de leurs décolletés. Là dessus, qui c'est qui passe la soirée au poste ? N'en déplaise aux suppôts du féminisme, le message de Miyazaki est clair : toutes des ********, qui ne pensent qu'à se fourrer notre ****** dans le *******, le ********, voire même le ********* (mais ça, c'est vraiment, vraiment dégueulasse, par contre, on en conviendra tous). Ce serait venu de Jiro, on se serait dit "tous les mêmes". Mais venant de Naoko, on se dit, au contraire "comme c'est mignon". Comme quoi le lobby de la femme a encore de beaux jours devant lui (mais surtout de belles nuits, avec consommations offertes et homard thermidor à volonté). Passons. On ne changera pas le monde - quand bien même l'odeur de sa couche y inviterait-elle depuis des années. C'est le rôle des artistes, ça. Le Maître l'a parfaitement compris. Il aurait d'ailleurs pu sauver son dessin animé en misant tout sur cette scène-là, et en rameutant Totoro dans une version avec des tentacules et de la bave qui dissout les tissus, mais rien.

 

 

A une époque où la culotte kawaii est devenu une institution artistique, un idiotisme culturel (si si, c’est le vrai mot. Coïncidence ?), le fer de lance de la créativité japonaise du XXIème siècle, le réalisateur ne nous exhibe même pas un début de nichon. Quelle faute professionnelle. Et ça prétend travailler dans l'animation ? Non mais allo, quoi (tm) ! Pas étonnant que ce long métrage ait été taxé d'anti-nationalisme primaire par ses compatriotes, tiens. Un tel défaut de fierté citoyenne, ça devrait être puni par la loi ou, à défaut, par ceux qui s'en réclament, comme on procède dans les pays (autoproclamés) "civilisés". S'ensuit un autre idiotisme typique pour compenser un peu, à savoir : une belle histoire d'amour à la nippone, avec un mari qui travaille 22 heures sur 24 et une épouse qui l'attend patiemment à la maison, seule, livrée à elle-même, trop faible pour se lever ou recevoir de la visite, mais pleinement consciente que sa fin est proche. C'est très très émouvant. Et tellement adorable.

Tu les sens, les larmes sur ton doux visage, espèce de gros enculé ?

Hum, je m’emporte, pardon.

C’est toute cette émotion, vous comprenez ? Elle me submerge.

Sauf que comme dans les plus belles tragédies de Shakespeare, les éléments semblent vouloir se dresser entre les deux amants pour mettre leur brûlante passion à l’épreuve des… ben des épreuves, déjà, ce sera un bon début et c’est pile poil le champ lexical qui convient. Car ainsi qu’on l’a précédemment laissé supposer, lors des essais, l’avion de Jiro s’est découvert d’intimes affinités avec le sol, après qu’un pilote trop zélé se soit cru dans une salle d’arcade et ait tenté un hadoken avec le manche de l’appareil. Lequel, en lieu et place, aura exécuté un parfait Air Tatsumaki Senpukyaku devant un public médusé.

 

 

Évidemment. Ça ne pouvait pas être la faute de notre Jiro national (que dis-je, national ? Intergalactique ! ) lequel, rappelons-le, est un génie. Pas un de ces génies froids qui sacrifient tout ce qu’ils ont aux visions qui les hantent, non, il n’est pas comme ça. Il y était attaché, à son prototype (uniquement de manière métaphorique, hélas. ça aurait pu être rigolo, à défaut d’être intéressant, de le voir gigoter au bout d’une corde avant de se prendre un platane à 88 miles à l’heure). Son petit coeur sensible débordant d’amour bienveillant a saigné comme un mouton le soir de l’Aïd en le voyant gésir, inerte, comme mort, éparpillé en mille morceaux à la manière d’un model kit au 1/1ème - en conséquence de quoi se fait-il un devoir de lui consacrer tout son temps et, par ricochet, tout le temps de sa moitié (et en ce qui la concerne, le « tout » n’est pas qu’une façon de parler).

Ce qui a pu foirer ?

Attends, je demande au film.

Hmmmm…

Ok, oui.

Hmmmm… Hmmmmm… d’accord, j’ai saisi, je transmets le message.

Le film, il répond « parce que tu croyais que Miyazaki, il allait se faire chier à faire des recherches sur Wikipédia ? ! C’est Miyazaki, mec. Il est au-dessus de ces considérations terre-à-terre ! Miyazaki, s’il veut, il pisse à la raie du cosmos et de ses petites lois pourries ! Pareil que les frères Bogdanov, tu vois, mis à part que chez lui, ce sera de la poésie, tu piges ? Miyazaki, il a le pouvoir de Télérama ! Tu peux pas test ».

Aussi conclura-t-on, sans grande conviction, que les rivets apparents n’étaient peut-être pas une idée si lumineuse que ça, au bout du compte (un peu comme le mode Gerwalk sur les Valkyries, mais version cosplay en carton).

 

 

Ergo, Jiro passe parfois jusqu’à plusieurs jours à l’atelier sans voir sa dulcinée. Parfois, il passe jusqu’à plusieurs jours à la maison sans voir sa dulcinée non plus. Même dans la pièce où elle dort, il en est parfaitement capable. Puisqu'on se tue à vous répéter que c'est un génie, ce gars. Parfois, encore, il s’en revient à la tombée de la nuit, en priant très fort pour qu’elle dorme déjà tellement elle le saoule trop à lui raconter ses journées pourries (globalement aussi palpitantes que le Vent se Lève, d’Hayao Miyazaki)... si ce n’est qu’elle, dans sa féminine perversité (de série), elle s’oblige à rester éveillée pour pouvoir l’accueillir. Alors, au comble de la tendresse, il lui fait un tout petit bisou sans la langue (sur la joue, c’est préférable), lui sourit et, tandis que sa force de love-combat atteint les 9000, sort ses plans et ses feutres pour travailler sur son avion. Bibiche vous confiera qu’elle vit la même situation avec moi et mon blog (si ce n’est qu'au final, mon blog ne servira pas à tuer des gens - en théorie, et à mon grand regret), ce qu’elle n’a pas l’air d'apprécier à sa juste valeur en termes de romantisme. Cependant la scène la plus poignante de l’oeuvre reste ce moment lunaire, hors du temps, où tombant de sommeil, elle saisit doucement sa main pendant qu’il travaille : il lui demande s’il peut fumer, elle répond par l’affirmative. L’instant est magique, précieux.

 

MAIS OUI, VAS-Y, FUME, CONNARD, FAIS-TOI PLAIZ' ! C’EST PAS COMME SI ELLE AVAIT LA TUBERCULOSE ET LES POUMONS RAVAGÉS, HEIN ! UN PEU DE FUMÉE DANS LES BRONCHES, C’EST PAS CA QUI VA LA TUER ! (oh wait !)

 

A plusieurs reprises, d'ailleurs, on suggère au jeune homme de la renvoyer à son traitement, ce à quoi il s’oppose avec force, avant d’utiliser ses talents de ventriloque conjugal pour faire croire que l’intéressée s'y oppose aussi : "on a tellement à vivre ensemble !", lance-t-il avec ferveur. Mouais. Vu de l'extérieur, c'est pas flagrant-flagrant, faudrait qu'on revoit quand même la définition du mot "ensemble", à l'occasion, mais admettons. Sur ces entrefaites, une heure et demi de film est déjà passée, on a l'impression d'entamer la quatrième consécutive et la soeur de Jiro vient faire un caméo : vous l’aviez oubliée ? Moi aussi. Lui également, du reste - mais de sa part, à ce stade, ça ne surprendra plus personne. Quatre vingt dix minutes d'expérience aidant, on fait en sorte de ne pas lui prêter trop attention, vu qu'on se doute bien qu'on ne la reverra plus ensuite : on la laisse faire son truc et on en profite pour récapituler mentalement la liste des courses du lendemain (le simple visage de Jiro suffit à nous rappeler qu'il faudra songer à prendre de la tête de veau).

 

Et puis soudain, sans que rien ne l'annonce, c'est le twist final, du genre qui te retourne la tête à la Night Shyamalan et, du même coup, t'oblige à arrêter de draguer la meuf de la rangée derrière toi et à regarder l'écran qui te fait face : contre toute attente, Jiro réussit à concevoir un avion, oui, mais pas n'importe lequel. Un avion QUI VOLE ! Pourquoi, comment, tu l'as compris, nous ne le saurons jamais, c'est plus poétique comme ça et la raie de l'univers ne s'en portera que mieux. Sans doute que ce coup-ci, notre surdoué a pensé à y ajouter un moteur, des réacteurs  et autres détails anodins qui font la différence. Non parce que les pédales, c'est sympa, c’est sûr, sauf qu’à force d'en coller partout, ça finit par réclamer le droit de se marier entre elles et là, si on en croit les cons, ça pose un vrai problème de société (même s'ils ne l'écriraient pas de la sorte, y compris au niveau de la syntaxe). En tout cas, à en juger d'après les réactions des gens au sol, c'est beaucoup d'émotion et une sacrée prouesse technologique. On a presque l'impression qu'ils voient ça pour la première fois (ce qui expliquerait bien des choses).

 

Sur ces entrefaites, c'est un peu pareil que dans Joséphine Ange Gardien : sitôt sa mission terminée, Naoko disparaît. A ceci près qu’elle, elle s'en va juste mourir toute seule dans la montagne, ce qui n’a pas grande importance vu qu'elle se retrouve au même terminus, mais sans effet spécial des années 80 pour plomber le budget. Ensuite, comme il ne faut pas casser l'ambiance (Miyazaki oblige, souvenez-vous), on saute direct au rêve final, lequel, on le devine, a lieu plusieurs années plus tard : Jiro y piétine égalitairement les cadavres de ceux qui se sont tués avec son appareil et de ceux que son appareil a tué, si bien que l'un dans l'autre, toutes choses étant égales par ailleurs, le résultat reste aussi neutre que le réalisateur en personne. Son bel italien lui demande alors s'il est satisfait de ses dix années de création, et pendant une microseconde, on pense à de l'ironie cinglante de sa part, on se dit "ouh la vache comme il te l'a affiché sévère, le rital, sa mère comme c'est trop bien fait pour sa gueule !", sauf que pas du tout, en fait, la question est sincère. ça tombe bien, Jiro a l'air plutôt content de lui. Tout le monde est mort, et puis quoi ? Du moment que ça vole... Youpitralala, que je m'exclamerais, si je n'avais pas peur de lui ôter les mots de la bouche. Là dessus, Naoko apparaît dans le lointain pour leur casser leur coup mais au lieu de se comporter normalement et de lui crier des trucs du style  "CONNARD, TU T'ES SERVI DE MOI ET TU M'AS VOLE LES PLUS BELLES ANNÉES DE MON EXISTENCE ! TU SAIS OU TU PEUX TE LES CARRER, TES DIX ANS DE CRÉATION ?", elle lui adresse un sourire plein de tendresse et lui glisse "tu dois vivre" - ce qui, en langage amoureux, signifie "tu peux avoir des relations sexuelles, tarifées ou non, y compris avec des partenaires multiples, voire avec des animaux si tu le souhaites. Essaie les castors, tu verras, ça tient chaud en hiver et en plus, c'est tout doux". J'adore ce film. En retour, Jiro hoche la tête, d'un air approbateur ("excellente idée, les castors"), puis la jeune femme retourne dans les limbes des Enfers où elle doit subir mille tortures pour s’être laissé gâcher son temps sur terre sans protester, en attendant le jour béni où Seiya et ses copains débarqueront pour y foutre le boxon (tant pis s'ils sont moches et mal animés, ce sera quand même un mieux).

 

 

 

Le bilan est plutôt positif, du point de vue de notre héros (en existe-t-il un autre, de toute façon ?) : à cause de lui, plein de non-fumeurs ont cassé leur pipe, et la seule personne dont le sang ne lui tache pas les mains, il l'a "juste" empêchée de vivre ("tu peux toujours « tenter de », grognasse"), cependant ce n'est pas trop grave vu que lui, il est vivant, qu'il a fait ce qu’il voulait comme il le voulait, qu'il va se réveiller et qu'il va pouvoir aller claquer ses économies au Pachinko. C'est, si j'ai bien compris, l'idée que se font les japonais d'"une fin émouvante" (sic). Mais bon, de vous à moi, peut-on faire confiance sur ce plan à un peuple qui n'a rien trouvé de plus stylé que de s'ouvrir le bide à la première contrariété venue pour faire du Feng Shui avec ses tripes ? La question est ouverte - mais ne comptez pas sur le film pour y répondre, vu qu'il est terminé - et que c'est pas maintenant qu'il va commencer. S'ensuit le générique, festif. Sans doute une reprise par Joe Hisaichi du petit bonhomme en mousse.

Mais ce n'est pas très ressemblant.