Fort du succès des Enfants du Temps, le génie Makoto Shinkai a d'ores et déjà lancé la pré-production de son prochain long-métrage, qui s'intitulera sobrement "My Heart in Five Billion Colors". Une oeuvre très personnelle, comme l'artiste les affectionne, et dont (à la grande surprise générale) le synopsis vient de fuiter au Japon, vite relayé sur les sites de fans américains.
Attention, spoilers :
« C'était notre dernier été d'insouciance. Nos derniers jeux d'enfants. Sous les étoiles et les guirlandes des fêtes foraines, au rythme du chant des grillons, nous étions déjà des adultes sans le savoir. Et pourtant, c'est à peine si nous apprenions à marcher... ».
Le ton est donné.
Dans My Heart in Five Billion Colors, le spectateur partagera les joies et les peines de Nobuhiko, un jeune lycéen de province que tous ses camarades surnomment Nobu (jeu de mot jouant sur l'homophonie avec l'anglais "Noob", rapport au temps qu'il aime passer sur sa console de jeu) et qui profite du « dernier été de son enfance » pour jeter un regard nostalgique sur ses jeunes années à la campagne, à quelques mois de son installation à Tokyo.
Son quotidien rêveur est rythmé par l'histoire d'amour épistolaire secrète qu'il entretient avec une certaine Shizuka, jeune fille énergique et extravertie du village voisin, de deux ans son aînée, pour qui il a eu le coup de foudre mais qu'il n'a jamais directement rencontrée.
Très pudique de nature, il ne se confie qu'au très taciturne Minato, son meilleur ami, que leurs camarades appellent « l'intellectuel » à cause de ses lunettes et de sa frange. Tout le contraire de la jeune fille qui, elle, ne cesse de parler à qui veut l'entendre de son « paper boyfriend » (sic), de sorte que sa famille, ses voisins, ses amis n'ont qu'une hâte, le rencontrer. Mais pour une raison personnelle qu'il se refuse à dévoiler, il ne cesse de reporter la rencontre sous de fumeux prétextes - ce qui n'entame en rien la joie de vivre de sa promise. Elle est davantage tracassée par l'impression d'être épiée qu'elle ressent depuis quelque temps (jusque sous la douche, ce qui donne lieu à quelques scènes cocasses !), et par l'étrange chat noir un peu enrobé qu'elle ne cesse de surprendre dans les parages mais qui ne se laisse pas apprivoiser.
Alors que Nobu et Minato font leur entrée à la fac, ce dernier suggère sobrement à son ami « qu'il devrait la laisser tomber, qu'il n'a plus de temps pour ça ». Ce que le jeune homme approuve de mauvaise grâce.
« C'est vrai, tu as raison ».
Aussi Shizuka se morfond-elle pendant des semaines en attendant une réponse qui ne vient pas. Le chat noir disparaît. Elle n'a plus l'impression d'être observée.
Deux mois plus tard, de retour dans leur village natal, sous un magnifique ciel couleur pastel, au sommet d'une colline battue par le vent, après un trajet silencieux en train, tout entier occupé par les états d'âme de notre héros (en voix-off), celui-ci confie à son ami qu'il a décidé de renouer avec elle.
Ce dernier désapprouve avec virulence : « tu vas gâcher ton avenir pour une histoire insensée ! ».
A quoi il ajoute, comme un camouflet : « elle n'existe même pas ! C'est un personnage de jeu vidéo ! ».
Car effectivement, Shizuka est le personnage principal d'Accidental Love +, un visual novel romantique en ligne dont le héros est tombé éperdument amoureux. « Elle me paraît plus réelle que toutes les filles que j'ai jamais rencontrées », lâche Nobu avec un soupir en tournant les talons.
Dans les jours qui suivent, de retour à Tokyo, les deux étudiants s'évitent. Notre héros a repris sa partie où il l'avait laissée, ce qui a des conséquences dramatiques sur ses notes et son assiduité. Peu à peu, il s'isole. Mais il n'en a que faire « parce qu'il est heureux comme ça ».
Son univers s'effondre lorsqu'il apprend que le jeu va être abandonné, à la demande expresse de son créateur. Passé le 1er de l'an, une mise à jour rendra son utilisation impossible.
Désespéré, sur un coup de tête, après avoir descendu quelques bières, il se laisse emporter par sa session de jeu et accepte de rencontrer sa bien-aimée, utilisant le pavé tactile pour lui donner son adresse physique et l'inviter à l'y rejoindre. Après quoi l'ivresse a raison de lui.
Le lendemain matin, au réveil, il se sent idiot en repensant à la veille et se dit que Minato a raison, qu'il faut qu'il reprenne pied, qu'il a complétement perdu le sens des réalités... quand on sonne à sa porte.
Il ouvre et manque de perdre l'équilibre.
C'est elle, Shizuka, rayonnante, avec un bento à la main qu'elle lui tend en rougissant.
Il se pince pour s'assurer qu'il est bien réveillé, craint d'avoir perdu la raison, essaie de joindre son ami en vain... puis renonce à comprendre et passe avec elle la plus belle journée de sa vie, qui s'achève sous une pluie d'étoiles filantes, de fleurs de cerisier et sur un doux baiser.
« On se reverra ? », demande la jeune femme, du bout des lèvres, craintive.
Il opine vigoureusement de la tête, tandis que la porte du train se referme et que le souffle de l'intéressée dessine un cœur de buée sur la vitre du compartiment.
A son retour chez lui, Nobu trouve Minato, l'air sombre, planté sous un lampadaire dont la lumière grésille péniblement.
Surexcité, notre héros commence à lui raconter l'expérience incroyable qu'il vient de vivre mais s'arrête tout à coup en réalisant que quelque chose ne va pas. Son ami n'a jamais eu un regard si dur.
« Tu ne peux pas la revoir », lâche-t-il d'un ton glacial. « C'est contre les lois de ce monde ».
Notre héros proteste. Ne comprend pas.
« Je te l'ai dit, elle n'existe pas. Demain, tout sera fini. J'y ai veillé ».
Il lui révèle alors qu'il est le créateur d'Accidental Love +, et qu'il a donné à l'héroïne l'apparence de sa défunte petite amie. Il souhaitait rendre hommage à sa joie de vivre en l'immortalisant dans un de ces jeux romantiques qu'elle aimait tant. Pour lui, c'était une façon de la ressusciter.
Nobu n'en revient pas. Une fois qu'il a accusé le coup de la révélation, il se dresse face à son camarade, qu'il a soudain l'impression de ne plus connaître.
« Je suis désolé pour toi mais j'aime Shizuka et tu n'y pourras rien. Je ne ferai pas la mise à jour ».
L'autre hausse les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance.
Effectivement, le lendemain, notre héros a beau insister, il ne parvient pas à relancer le jeu, comme si celui-ci n'avait jamais existé.
Aussi se précipite-t-il à la fac, fou de rage, et frappe-t-il violemment Minato au visage, sous les yeux d'un amphithéâtre entier, ce qui lui vaut une exclusion ferme et définitive.
Puis il rentre se morfondre dans son appartement, prostré, face à la boîte de bento vide, la seule trace concrète qu'il lui reste de cette journée providentielle destinée à le hanter toute sa vie.
Plusieurs jours passent ainsi, dans la pénombre, avant qu'il ne remarque qu'inscrit en tout petit dans un coin de la boîte, figure l'adresse fictive de la jeune fille.
Au désespoir, il décide de s'y rendre pour faire son deuil. Hésite un peu. Sonne à la porte. Il fait gris, ce jour-là. La pluie tombe dru mais il n'en a que faire. L'eau se mêle à ses larmes tandis qu'il se mord la lèvre inférieure. Après une longue minute d'attente, la porte s'ouvre. Shizuka apparaît alors, tout sourire, et se jette dans ses bras en voyant qu'il lui a ramené son bento, le plaignant gaiment d'être « tout trempé à cause d'elle »..
Nobu n'en revient pas.
Hélas, la joie des retrouvailles n'est que de courte durée.
Apparaît Minato, revolver à la main.
« Tu ne sais pas ce que tu t'apprêtes à déclencher. Si tu n'arrêtes pas sur le champ, je serais contraint de vous abattre. Tous les deux ».
Mais notre héros ne veut rien savoir : il empoigne la main de sa bien-aimée et fuit avec elle dans la nuit. Peu à peu, l'eau s'est changée en flocons de neige. Hélas, au terme d'une course effrénée au son d'une chanson de Radwimps, une balle l'atteint à l'épaule et le contraint à s'arrêter, pendant que la jeune fille se penche sur lui en larmes.
« Pourquoi vous faites ça ?, crie-t-elle à Minato. Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas être heureux tous les deux ? ».
Impassible, il lève son revolver vers elle mais sa tristesse le touche en plein cœur. L'espace d'une seconde, il revoit le visage de celle qu'il aimait tant, et bien qu'il s'y essaie de toutes ses forces, il n'a pas le cœur de presser la gâchette.
Derrière lui, le ciel commence à se fissurer.
« Tant pis, vous avez gagné. Je renonce. Advienne que pourra ».
Nobu se redresse alors, une lueur de défi dans le regard.
« C'est un jeu, n'est-ce pas ? », lâche-t-il. « Toi, moi, tout ça... Tout ce temps, nous étions nous-mêmes dans un jeu ».
L'autre hoche la tête.
« Je l'ai découvert à sa mort. Alors je me suis dit que je pouvais retourner la chose à mon avantage. La faire revivre en créant un jeu dans le jeu. Elle y serait aussi réels que nous, mais sur un autre plan. Et maintenant, par votre faute, c'est fini, la frontière entre les deux jeux est brisée ».
« Qu'est-ce qui va se passer, maintenant ? »
« Je l'ignore. Peut-être que c'est la fin du monde. Le game over. Ou peut-être que ces deux mondes vont fusionner pour n'en faire qu'un seul. Deux jeux en un. Ou peut-être qu'il va devenir réel ».
Il lâche son revolver dans la neige et s'éloigne dans la nuit, où il se fracture avec ce qui subsiste du ciel.
« Peut-être que c'est votre amour qui fera la différence ».
Générique de fin : un enchaînement de décors urbains sur une nouvelle chanson de Radwimps.
Scène post-générique : dans une chambre d’hôpital de province, baignée d'un soleil éclatant, un homme et une femme dont nous ne voyons pas les visages tiennent un nouveau-né dans leurs bras,
« C'est un joli garçon, il a le regard franc »
« Et si on l'appelait Minato ? »
*
Le film s'achève sur cette note optimiste, mais Makoto Shinkai se réserve le droit de modifier certains éléments de son histoire dont ce n'est pour l'instant qu'un premier jet, insistant bien sur le fait qu'il ne s'agit que d'un « work in progress » et que comme pour ses trois protagonistes, « rien n'est gravé dans le marbre ».
Une chose est sûre : on a hâte de voir Nobu, Shizuka et Minato s'animer sous sa direction.