Sur l'échelle de la séduction, Sherlock Holmes : the Devil Daughter, c'est le vieux beau de cinquante ans qui drague de la première année toute fraîche dans les amphis de fac. Vivelle dans les cheveux, coupe en pétard à la Bieber, il fait tout pour faire oublier son âge, ses rides et ses tempes grisonnantes : baskets fluos, tee-shirt décontracté, jean taille basse trop étroit – et cette façon embarrassante qu'il a de vous parler verlan en pensant que c'est « bath » !

Dans son dos, on se rit de lui (un peu), on le brocarde gentiment, on aimerait lui conseiller de s'assumer tel qu'il est, mais on ne peut pas nier les (touchants) efforts qu'il multiplie pour se donner l'air jeune et dans le vent... si bien qu'en apprenant à le connaître, en grattant la surface, on pourrait bien lui découvrir un charme qu'on ne soupçonnait pas.

Avec ses mécaniques de jeu vraisemblablement cryogénisées dans les années 80, ses modèles de personnages arthritiques, ses expressions faciales sculptées dans la cire, ses environnements magnifiques qui clippent et aliasent à tire-larigot, ou ses rebondissements à la Derrick, ce nouvel opus des aventures vidéoludiques du plus grand détective de tous les temps souffle sans cesse le chaud et le froid. Il aurait pu se contenter de rester sagement à sa place, rangé d'office sur l'étagère que lui réserve l'histoire du jeu vidéo, et ne viser que ses fans de la première heure en prenant garde à ne pas secouer leur naphtaline. Mais non, ça ne lui suffit pas. Même s'il continue de vivre figé dans le temps, prisonnier de son éternelle Angleterre Victorienne de carte postale, au fond de lui, on ne la lui fait pas, il sait qu'il sort en 2016 et qu'il doit vivre avec son temps – ou disparaître. Casu comme jamais, il abaisse la barre des attentes de quelques crans et livre à son joueur une série d'enquêtes clé-en-main, dont le pourquoi du comment se devine souvent dès les premières minutes et qui, toutes sympathiques qu'elles soient, ne révolutionnent pas le genre. Pour les lier : un fil rouge de série TV, pas folichon mais qui a le mérite d'exister.

Moins tarabiscotées (pour rester poli) que les énigmes des point and click d'antan (dieu merci !), plus logiques, originales et variées, celles de ce Devil Daughter ne résistent que le temps de retarder la progression, ni trop, ni pas assez, au point que même les privés débutants seront bien inspirés d'aborder l'aventure en mode "difficile", s'ils veulent se décrasser un peu les cellules grises. Cette profusion de mini-jeux obscurs et de phases « actives » au gameplay hétéroclite, souvent abscons, pourra agacer autant qu'elle pourra réjouir, jamais ni complètement indigente, ni tout à fait intelligente non plus. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les programmeurs n'ont pas ménagé leurs efforts pour sortir le joueur du ronron et de la routine, et pour tenter (avec plus ou moins d'adresse) de le surprendre régulièrement. D'une manière déséquilibrée, certes, mais rafraîchissante – voire enthousiasmante, pour peu que l'on adhère au postulat. Même s'ils n'ont pas su faire de merveilles, on se doit quand même de leur tirer notre chapeau-melon pour ça.

L'approche esthétique a également souffert d'un coup de jeunisme aussi réussi qu'opportuniste, qui fera râler les puristes et ravira les autres : entre les voix françaises de la série Sherlock (curieusement, ça fonctionne) et un relooking sauvage façon Guy Ritchie, on est en effet loin de l'image policée que l'on se fait du détective (auquel on pourra toujours coller moustaches et rouflaquettes, si vraiment on ne supporte pas sa tête de Robert Downey Junior qui s'ignore).

Bien qu'un peu nébuleux (lui aussi), le système de déductions se révèle à l'usage addictif et grisant : on a plaisir à jongler avec les variantes, nouer et dénouer les fils pour découvrir des cheminements intellectuels différents (d'autant que cela permet d'occuper agréablement les temps de chargement d'un lieu à l'autre). Cerise sur le gâteau : la possibilité de choisir son coupable parmi trois ou quatre suspects potentiels, puis de le condamner ou de l'absoudre, sans qu'il n'y ait de bon ou de mauvais choix en la matière (même si certains sont rationnellement meilleurs que d'autres, ça reste à vous de juger). Une liberté de verdict qui déroute, dans un cadre aussi dirigiste, et qu'on appréciera d'autant.

Les personnages sont bien campés, même si archétypaux en diable (rires), et passées les premières minutes, on s'y attache suffisamment pour emboîter leur pas sans réticence - voire tenter de les devancer.

Pas le temps de leur dire au-revoir, hélas : le caractère abrupt de la conclusion à des relents de coup de rush et laisse un arrière-goût d'inachevé. Preuve s'il en est besoin, mon cher Watson, qu'on aura fini par se prendre au jeu.

Dommage que la technique tâtonnante, le rythme à l'ancienne et le classicisme de l'intrigue n'aient pas su tenir les promesses du tout premier trailer, bad trip halluciné qui nous l'avait vendu sur parole.