Bonsoir, docteur.

 

Je suis désolé de vous importuner chez vous à une heure aussi tardive, avec un hachoir à viande à la main, mais il fallait absolument que je vous parle d'un rêve qui m'obsède ces temps-ci et que je ne parviens pas à interpréter (non, non, pas le rêve tout bleu avec le tapis volant et la princesse orientale. Curieusement, je ne le fais plus depuis que j'ai arrêté le tajine à deux heures du matin).

Dans celui-là, j'habite le New-York des années 30 et je suis le Mike Hammer du chat disparu, une vraie pointure en matière de « mammifère égaré ou coincé dans un arbre - quand ce n'est pas dans une assiette quelque part du côté de Chinatown - »... et comme je suis à la fois amnésique et orphelin, j'en déduis que je suis le personnage principal d'un RPG sur Playstation 2. Jusque là, rien que de très normal, à part le fait que je ressemble à Tidus en plus jeune (mais comme je ne porte pas de short, ça va, je n'éprouve pas le besoin de me flageller au réveil. Ça s'est joué à peu).

Pour commencer, un homme dont la nature a physiquement pris soin de souligner la malveillance à grand renfort de bosse dans le dos et d'absence de cou (un peu comme Luc Besson) me charge d'enquêter sur la disparition d'un malfrat notoire, et comme je me dis qu'un être aussi laid ne peut pas être foncièrement mauvais (ce serait trop facile),  je passe sur son rictus machiavélique, son regard  à la Dominique Strauss Kahn ou son discours bourré d'incohérences et j'accepte la mission.  Ce qui me conduit tout droit (ô surprise !), au beau milieu de la nuit, dans les combles d'un théâtre abandonné d'où s'échappent des bruits sinistres du genre « scrounch-scrounch-greeuuuuheeeeuuu-scrounch-scrounch-greu » (mais je le fais mal, moi. En vrai, ça fait plus peur que ça. Un peu comme si quelqu'un mâchait un malabar de chair sans arriver à faire des bulles avec).

Et là, je fais un truc fou, vous vous rendez compte, docteur ? !

Moi ! Un truc fou !

C'est assez perturbant, quand même !

Jugez plutôt : au lieu de rebrousser chemin et de retourner me coucher, quitte à me réveiller de ce cauchemar ou, au pire, à rêver dans le rêve et à rencontrer Marion Cotillard, je poursuis mon chemin et j'arrive dans un laboratoire clandestin, juste à temps pour voir son propriétaire (et accessoirement, mon salaire) se faire dévorer vivant par un bidule qui ressemble à ma belle-mère, mais sans le fond de teint et la gaine en téflon. Et le truc bizarre, dans tout ça, c'est que c'est de moi, dont le gars en question a eu le plus peur. C'est presque vexant. Je sais bien que je ressemble à Tidus en plus jeune, mais comme je ne porte pas de short (j'insiste), je ne m'explique pas sa réaction.

Ensuite, ça devient un peu confus dans ma tête. Je crois qu'au moment où je vais subir le même sort, une indienne blonde à forte poitrine intervient, aussi légère et court vêtue que Perette en personne (je me comprends), avant de se transformer en... femme à encore plus forte poitrine, et encore plus chichement vêtue en termes de tissu sur le corps. Mais qui vole. Après ça, je parcoure le monde avec elle et un indien qui fait du kung-fu avec ses revolvers et qui appelle ça du gun-fu (pas bête), un apprenti ninja grabataire qui a tout appris quelque part en Amérique du sud, sous la houlette d'un chat géant qui parle (parrain de la mafia - suppléant - pour Al Capone, spécialiste de la technique de « l'homme ivre » et future star d'Hollywood), le chat en question (qui est une chatte, en fait. Mais inutile de ressortir Freud, je vous vois venir ! C'est d'une vraie chatte, dont je vous parle ! Craquante, sauvage, avec des poils parto... non mais arrêtez de rire, là, je suis sérieux !), une vampire sapée Gothic Lolita souffrant de sérieux problèmes de métabolisme et l'Antonio Banderas de Desperados, armé d'une guitare qui envoie grave (des roquettes, notamment). A nous sept, nous parcourons le monde, pour combattre des horreurs échappées d'une autre dimension exprès pour se cosplayer façon Resident Evil (et hélas, elles n'ont pas choisi Jill Valentine). Heureusement, je ne suis pas démuni moi-même, car je possède un canif transformable en sabre laser et un appareil photo magique qui me permet de collectionner les photos de monstres (que j'échange aux gens que je croise contre des bonus, logique). Voilà. Et toutes les nuits, quand mon rêve se termine, je sauvegarde, et la nuit suivante, je reprends pile au point où je suis arrêté. Vous croyez que c'est grave, docteur ? Monsieur Hachoir me dit que non, mais dans la mesure où ce n'est qu'un bout de métal, j'ai peur qu'il ne soit pas très objectif.

 

Vous l'aurez compris à la lecture du pitch : dans ce un-peu-plus-que-troisième-mais-pas-tout-à-fait-quatrième épisode de cette saga bien connue des seuls connaisseurs, une fois de plus, les forces du mal sont à nos portes, et ce n'est pas pour nous vendre le calendrier. Il y a quelque chose de pourri dans la structure de l'espace-temps, le professeur Lovecraft vous le confirme en personne lorsque vous le croisez sur le campus (et comme vous venez tout juste de jouer à la dinette avec des créatures baveuses et purulentes comme on n'en trouve que sur Meetic ou sur Chatroulette, vous n'êtes pas trop en position de mettre ses dires en doute non plus)... Et cependant, c'est un émule de Jack l'Eventreur qui fait les gros titres depuis qu'une jeune femme aux yeux écarlates lui a rendu la vie dans une ruelle obscure. Ainsi donc, tandis que la guerre des gangs fait rage, que la prohibition bat son plein, que les progrès techniques vont bon train et que l'occultisme connaît un nouvel essor, des forces anciennes et innommables tentent de se frayer un passage vers notre plan d'existence pour le transformer en buffet-surprise avec apéricubes à volonté ( « Oh ! A l'huissier de justice ! Mon préféré ! »). Pour leur barrer la route et, surtout, éviter de finir sur le menu, il vous faudra vous lancer dans une quête Indianajonesesque aux quatre coins du nouveau monde, dont vous visiterez un à un les hauts lieux touristiques sans bouger de votre canapé (elle est pas belle, la vie de gamer ?). D'Alcatraz au Machu Pichu, de Roswell au Grand Canyon du Colorado, votre chemin sera tracé dans le sang. Des autres, on vous le souhaite. Mais c'est pas dit.

 

Ce que vous n'aurez peut-être pas compris, par contre, c'est que vous vivrez l'aventure au côté des personnages les plus... comment formuler ça sans être désobligeant ?... hétéroclites de l'histoire des jeux vidéos, de ceux qui feraient passer les Lapins Crétins pour des membres de l'Académie Française (dont on sait bien, pourtant, qu'ils n'ont rien de lapins). Pour être plus explicite : hétéroclites comme peut l'être une comédie musicale de Dracula mise en scène par Kamel « j'me la pète tellement qu'on m'appelle Dulcolax » Ouali, un film live de Dragon Ball sans dragon et sans boules (ou peu s'en faut), un extrait des Mémoires de Jean Claude Van Damme (intitulé sobrement « Je me souviens de tout mais pas moi »),  ou plus explicitement n'importe quelle publicité japonaise pour de la nourriture, même avariée (font-ils seulement une distinction ?). Ça crie et y'a plein de couleurs. Parce que c'est un peu ça, le concept (c'en est un, ça, c'est sûr) : un cross-over 100 % improbable (et donc 100% japonais) entre l'univers tentaculaire de Cthuluh et la défonce tranquille d'Exel Saga, Arakawa Under the Bridge ou autres Ranma œ (vous en connaitrez bien un des trois, quand même ?), dans lequel les joyeux loufoques du Collège Fou Fou Fou tireraient la bourre aux amas de chair putréfié de Silent Hill, avec des cacas en plastique en guise de casques et armés de petits drapeaux multicolores à planter dans les postérieurs (un bien beau pays, le Japon, quand même). Le tout, sublimé (il n'y a pas d'autre mot) par une bonne dose de fan service, comme si les programmeurs avaient repris la recette du Gloubiboulga si chère à Casimir pour l'adapter au domaine des jeux vidéos, mais en rajoutant du rab' de saucisses et en forçant sur la moutarde.

Entre les passages glauques sponsorisés par Monsieur Hachoir, les passages tragiques (obligés) qui poussent à sortir les kleenex, les passages sexy qui font que finalement, les kleenex, on ne va pas les ranger tout de suite, et les passages débiles qui font qu'on se sent vachement sain d'esprit, tout à coup, en comparaison, même quand on se balade avec Monsieur Hachoir à la main, on ne sait plus à quel sein se vouer. C'est qu'on a l'embarras du choix, en la matière.

 

En effet, on ne peut que saluer l'énooooorme (c'est le mot juste) travail réalisé par l'équipe technique sur ce plan-là - et avec quelle patience, quel dévouement ! On n'ose imaginer les heures et les heures d'enquêtes sur le terrain et d'études fastidieuses en DVD qu'il aura fallu à ces héros des temps modernes pour maîtriser à ce point la thermodynamique mammaire. Quelle orfèvrerie, quelle précision dans la manière dont les poitrines bloblottent gracieusement au moindre hoquet de travers ! Quel réalisme dans leur dodelinage en quasi-liberté ! Et cette finesse, cette élégance dans le traitement des volumes ! Cette poésie dans la manière dont les jeux de lumières les mettent « subtilement » en valeur ! Difficile, on en conviendra, de concevoir héroïnes plus charismatiques, à moins de les faire se battre nues, entre elles, enduites de marmelade et uniquement à coup de langues, ce qui ne serait pas forcément très pratique pour lutter contre les forces du mal. Ni très réaliste, d'ailleurs. Alors que le string, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'entrave pas les mouvements !

Quant à la partie supérieure du corps... soupir... dire qu'une poignée d'années plus tard, à peine, on inventait un petit dispositif astucieux, certes, mais qui aurait pu tout gâcher : le soutien-gorge. On n'est pas passé loin de la cata (comment ça, ça a été inventé bien avant ? N'im-por-te-quoi ! Pourquoi elles n'en porteraient pas, si ça existait déjà ? Avec leur 205 F de tour de poitrine, ça aurait pu leur rendre de fiers services, quand même, en situation de conflit armé).

 

On n'ose pas imaginer non plus comment l'idée de départ a pu germer dans les têtes des concepteurs, ni pourquoi, ni ce qu'ils mettent comme champignons dans leurs salades. Le RPG dans un univers Survival Horror, presque un siècle dans le passé, c'était un postulat en soi. Y ajouter une indienne de type caucasien dont les transformations évoquent un strip-tease-mystique-de-l'espace, un ninja quasi-sénile tout de rouge vêtu avec une antenne de Moggle lumineuse sur la capuche ou une gothique lolita qui absorbe les calories de ses ennemis et qui, selon les cas de figure, se retrouve obèse, ou anorexique, ou même chauve souris (rose, forcément. Ça n'aurait pas été suffisamment « n'importe quoi », sans ça), ce n'était peut-être pas nécessaire non plus... tout comme on ne penserait pas forcément à Eric et Ramzy pour l'adaptation cinéma de la Couleur Tombée du Ciel. Il faut bien se rendre compte de ce que ça implique, indirectement, quand même. A savoir : que quelqu'un a lu Lovecraft et a trouvé que « c'était pas mal », mais que « ça manquait grave de vannes et de nichons ».

 

Respect, moi je dis.

 

Du coup, on ne sait pas trop à quoi on joue, et pour peu que l'on tienne à garder sa raison, on n'essaiera même pas de deviner. Car s'agit-il d'une parodie, mais à prendre au premier degré ? D'un titre sérieux qu'il faut prendre au second ? D'un logiciel de contrôle mental ? D'une expérience psychologique à grande échelle ? D'une pub virale pour FHM ? On n'en saura pas plus (parce qu'on ne le VEUT pas, non ! SURTOUT pas !), on se contentera de subir. Comme dans un grand neuf (le grand huit, un cran au-dessus), on passera sans arrêt du fantastique le plus noir au franc-délire le plus multicolore (et vice versa), sans bien savoir si les programmeurs sont fous ou si, au contraire, ils sont fous.

En conséquence de quoi aurait-on pu croire à une bonne grosse blague si la réalisation technique n'était pas irréprochable (c'est beau comme du Final Fantasy X, mais sans les shorts, l'écran patatisé en 50 hertz et les personnages trapus comme des portes-clé à l'effigie de Sébastien Chabal).

Cerise sur le gâteau : l'anneau de jugement, sorte de roue de la fortune améliorée (sans Christophe Dechavanne, ce qui est une assez bonne définition d'amélioré, en l'occurrence), qui dynamise les combats au tour-par-tour mais vous empêche de profiter pleinement du string de l'héroïne (« pour chaque chose reçue, il faut en abandonner une de valeur équivalente », comme ils disent dans Full Metal Alchemist. Ici, ça se traduit par « soit tu te rinces l'œil, soit tu réussis ton combo », il n'y a pas d'alternative. Hélas). Ainsi, chaque attaque vous demandera, pour être effective, de stabiliser l'aiguille dans la zone de réussite, celle-ci tournant plus ou moins rapidement selon l'équipement ou les techniques utilisées... et pouvant voir sa course altérée (ralentie, accélérée, inversée, ...) par les attaques des monstres qui, eux, l'ont mauvaise de ne pas pouvoir se rincer l'œil non plus (vu que la plupart n'ont pas d'yeux) (ni d'yeux ni maîtres, c'est leur credo). Autre bon point : chaque personnage possède ses techniques propres et ses quêtes annexes assorties pour les faire progresser, toutes sympathiques et invitant à la flânerie utile.

 

De quoi rallonger un peu un ensemble très court (pour un RPG) mais plutôt long (pour un Survival Horror), au scénario dont les quelques facilités twistiennes sont très largement compensées par le duo de choc formé par Killer et Lady, deux très beaux personnages d'antagonistes comme on n'en croise que trop peu dans les jeux vidéos (et je n'écris pas ça à cause du justaucorps wawawoum porté par la donzelle. Pas du tout. Laissez-moi tranquille, un peu, je ne suis pas comme ça. Mais n'empêche... sa poitrine menue, sa poitrine menue...), lesquels suffisent à donner au titre une surprenante profondeur. Reste qu'il est impossible de se laisser transporter par l'ambiance, dans la mesure où l'ambiance en question, on n'est pas franchement à même de pouvoir l'identifier.

 

Un jeu WTF par excellence qui, à trop friser celle-ci, finit par lui faire des bouclettes.  

Curieusement, sa sortie européenne est passée... comment formuler ça sans être désobligeant ?... inaperçue.

Curieusement.

 

Espérons qu'un remake 3DS (*bave*) viendra redorer son blason.