Brisée, Basel, la haute tour de métal, Babel futuriste rayonnant dans le soleil, promesse d'immortalité pour les hommes mais poison pour leurs âmes teintées de pêché originel.
Grippés, ses rouages.
Détraquée, sa mécanique.
Son Dieu de métal n'est plus qu'un tyran aveugle, un Principe hermétique aux voies plus impénétrables que jamais, implacables et absurdes.
Le Destin est écrit dans la pierre, et l'on ne saurait s'y soustraire.

A Basel, on meure à son heure, mais rien ne tourne plus rond, à commencer par cette horloge dont les aiguilles s'emmêlent, se télescopent ou s'arrêtent net pour mieux repartir à l'envers.
Peu à peu, suivant son exemple, le monde perd la raison. Il devient gris, il devient rouille. Se vide de toute substance spirituelle. S'effondre, drame après drame, dans l'indifférence générale. Se termine ni dans un Bang, ni dans un murmure, mais par un haussement d'épaules résigné.
Au sommet de son Chandelier, les Cardinaux incarnent de leur superbe le fatalisme de cette foi sortie de ses gonds : corrompus, névrosés, décadents, trop naïfs ou trop purs.
Brisés, aussi.
Guidés par l'obsession. Rongé par la perte de leurs êtres chers ou de leurs certitudes. Poussé à l'aliénation. Conduits au sacrifice. Voué à une ultime mission : tout mettre en œuvre pour reprendre les rênes de leurs existences à cette divinité qui les dirige sans amour ni conscience. Ou rêvant d'un miracle, jusqu'au désespoir, jusqu'à jeter leurs propres vies dans la balance.

Et puis il y a Vashyron, Zephyr et Leanne.
Brisés, eux aussi.
Maudits par le Destin. Rejetés par la Bonne Fortune. Meurtris par les coups (répétés) du Sort. Vashyron, Zephyr, Leanne, qui sourient malgré tout.
Qui vivent leurs vie en plein, malgré l'absence de sens, de raison ou d'avenir – plus encore pour eux que pour leurs pairs.
Vashyron, Zephyr et Leanne, qui enchaînent les petits boulots et les fusillades pour de rire, dans ce monde anarchique ou le chaos et les mafias se partagent le morceau, toutes mitraillettes dehors.
Vashyron, Zephyr et Leanne, qui n'ont que faire des manigances des grands de ce monde ou de leurs enjeux cosmologiques - dont ils détiennent pourtant les clés.
Vashyron, Zephyr et Leanne, qui se satisfont d'un fou rire, d'un bon verre, d'un jour de plus ensemble, à squatter le canap' de leur salon ou à se chambrer gentiment.
Vashyron, Zephyr et Leanne, qui sont à eux-mêmes leur propre justification, leur propre raison d'exister, le garde-fou qui les empêche de se jeter dans le vide comme pour défier le néant.
Vashyron, trop jeune encore pour ce rôle de patriarche improvisé, qu'il assume par nécessité autant que par besoin.
Zephyr, cynique et nihiliste jusqu'à la pointe de ses revolvers.
Leanne, pour contrebalancer, qui semble découvrir et redécouvrir le monde à chaque regard qu'elle porte sur ce qui l'entoure.
Sous leurs dehors de loubards aux grands cœurs : trois personnages superbes, complexes, tout en pudeur, en non-dits chargés de sens et en faux semblants dont aucun n'est dupe.
Trois personnages souffrants, qui sont à chacun leur propre remède.

L'enfer, c'est les autres. Leur paradis aussi.

A eux trois, ils illuminent ce jeu d'un autre temps, qu'on croirait initialement conçu pour la PS2, puis ravalé de la façade ni-vu-ni-connu pour la sortie de sa version Next Gen (comme Deadly Premonition en son temps. A croire que ce serait un gage de qualité ?).

A une époque où la narration se doit d'être démonstrative, bavarde, sans équivoque, pour qu'aucun joueur ne se perde en route, le trio s'exprime, commente, ressent à l'économie, si bien que ses moindres échanges, même triviaux (SURTOUT triviaux), sont investis d'une force à son image. Une force intime, touchante, grandiose, que rien n'arrête et qui peut abattre jusqu'aux murs les plus épais. L'humanité.

A eux trois, ils suffisent à justifier le jeu, et les efforts qu'il demandera à quiconque désire s'y frotter.
Car sa réputation l'a précédé : Resonance of Fate n'est pas un jeu facile. Loin s'en faut. Et pourtant, à la manière de Vagrant Story, Resonance of Fate n'est pas un jeu difficile non plus. C'est un jeu exigeant, qui demandera que vous l'appreniez, que vous le pratiquiez, que vous l'expérimentiez , que vous le maîtrisiez jusque dans ses moindres facettes. Un jeu aux systèmes complexes, mais brillants, d'une originalité sans égale et d'un intérêt qui ne l'est pas moins (si on excepte le système de panique, seule vraie faiblesse du soft). Un jeu qui ne pardonnera jamais la moindre erreur ou la moindre approximation. Un jeu qui vous obligera à calculer la moindre de vos actions - et si possible plusieurs coups à l'avance. Un jeu qui, contrairement à ses virevoltantes apparences, tient plus du tactical RPG que du jeu de rôle au tour-par-tour, et qui poussera parfois vos nerfs jusque dans leurs retranchements – avant que vous n'admettiez enfin être la source première de vos tourments, la faute à une méconnaissance des règles ou à une stratégie trop mal pensée.

Les parties sont intenses, parfois éprouvantes, et on progresse avec la crainte au ventre, en se demandant si par extraordinaire on parviendra à aller jusqu'au bout – du boss, du chapitre ou du jeu -, et l'on mentirait si l'on disait qu'on s'amuse ou qu'on se détend, non... on est face à un challenge et on le relève, combat après combat, comme ces trois personnages qu'on aime d'amour et qui nous poussent à aller de l'avant - ce qu'ils récompensent toujours d'une moue badass, d'une posture haute couture ou d'une réflexion à la Saiyuki.

Car si les environnements manquent cruellement de personnalité (la chose est voulue, mais mal exploitée) et si la musique sonne par trop banale, à quelques thèmes près (avec Kohei Tanaka et Motoi Sakuraba au générique, c'est une déception), nos trois compères transpirent la classe, et la mise en scène des séquences scénarisées sait les mettre en valeur avec juste ce qu'il faut de sophistication.

Le jeu a beau être incroyablement bien pensé, même si parfois laborieux, son cœur, son âme, ce sont eux, tout brisés et gouaillards qu'ils soient.

On pense inévitablement à l'équipage du Bebop, dans le même genre, ou à la bande à Genjyo Sanzo – et plus encore aux protagonistes du manga Dogs : Bullet and Carnage, dont les créateurs du jeu ont vraisemblablement souhaité livrer ici leur propre variation (au point que celle-ci vire souvent au décalque pur et simple).

Resonance of Fate, c'est de l'intelligence qui s'avance à mots couverts, de la maturité qui se dévergonde, de la finesse qui se joue d'elle-même.

Resonance of Fate, c'est la classe, simplement. Purement, simplement la classe.

Ma note finale sera donc de Classe/20.

Et c'est amplement mérité.

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Sur ces entrefaites, je vous laisse, il faut que j'aille lire les wikis pour essayer de comprendre les détails du scénario - dont les personnages se sont fichus tout du long...

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« Ne détourne pas les yeux ».
La vie Ebel.