Loin de la prestance “mamie-gâteau” d’Amy Hennig, Corrinne Yu s’impose doucement comme le nouveau visage charismatique de Naughty Dogs. Entrée en 2013 dans l’un des fleurons du tentaculaire Sony Worldwide Studios, elle fait du codage comme on milite dans un parti politique. Sa bosse des mathématiques ne lui interdit pas de s’impliquer au coeur des processus narratifs dont elle se sent exclue.

Corrinne s’émeut des stéréotypes professionnels « bien plus que les revendications féministes » souligne-t-elle, qui poussent à renvoyer puis cloisonner les techniciens dans leur spécialité. « La dimension créative de ma discipline échappe totalement aux conventions qui ont cour » dans l’industrie, regrette cette brillante touche-à-tout. C’est précisément l’une des raisons qui ont motivé cet ingénieur graphique hors pair à pousser les portes du studio américain. Naughty Dog encourage en effet ses employés à disposer d’un regard transversal leur discipline professionnelle.

Construite jusqu’au bout des ongles, dans ses arguments, dans son parcours, Corrinne Yu ne porte pas pour autant en elle les stigmates de l’activiste sociale. Ses faits d’armes ont en dépit de fortes résistances, résolu son complexe d’imposture. Elle n’a que douze ans lorsqu’elle se jette dans le grand bain de la programmation sans savoir nager. Un programme d’initiation à l’informatique est organisé entre les services d’éducation scolaire de l’État de Californie et Apple.

Codemaster. Pour cette passionnée d’ingénierie électrique, la conduisant à littéralement désosser les appareils électroniques pour en modifier le fonctionnement, l’occasion de frotter sa curiosité intellectuelle à un autre champ d’expérimentation n’en est que plus électrisant. L’insatiable appétit qu’elle voue à la technique l’oriente vers la création d’un jeu de Baseball pour Apple II. Elle ignore tout du métier de programmeur et ambitionne seulement de satisfaire ses proches des jeux qu’elle réalise en parfaite autodidacte. Son école remarque très vite ses dispositions impressionnantes pour la chose informatique. A la demande de ses professeurs, Corrinne programme ainsi des utilitaires afin de faciliter l’administration des élèves de l’établissement scolaire.

Toutefois, son talent inné pour le code n’aiguille pas ses aspirations professionnelles, « je n’imaginais pas la programmation comme un travail suffisamment sérieux pour y faire carrière » glisse-t-elle sourire en coin. Sa fascination en faveur des mathématiques et de la physique l’emporte vers d’autres considérations telles cette volonté de contribuer au sens large, au progrès de la science. Cette noble ambition ne l’éloignera pas pour autant de la programmation informatique. Elle est invitée par la prestigieuse université polytechnique de Californie dans le but de réaliser des expériences de physique nucléaire. L’abondante quantité de données recueillies de ces expériences engage la jeune femme à concevoir des logiciels ad hoc. L’équation est résolue. Entourée de scientifiques, Corrinne séduit par son aptitude à théoriser puis mettre en pratique l’excellence de son expertise qu’elle mettra au service de la NASA !

L’affect, a matter of fact. Si son travail lui donne entière satisfaction, sur un plan plus personnel Corrinne cherche une échappatoire. Alors elle revient à ses premières distractions, la programmation de jeux vidéo. Une fois encore, ses réalisations ne dépassent pas son cercle d’amis qui en profitent pour ébruiter la chose auprès d’éditeurs et studios bien installés. Très vite, une avalanche d’offres d’emploi inonde sa boîte email. Après mûre réflexion, celle-ci choisit d’embrasser une carrière dans cette spécialité qu’elle a toujours considérée comme un simple hobby. Par dépit ? « J’ai pu enfin mesurer l’impact de mes jeux à travers le monde, je suis désormais apaisée. » Dans son for intérieur, Corrinne aspire à imprimer en permanence un sens personnel à ses recherches afin d’en quantifier l’éclat, la résonance intime. Las, le large spectre expérimental de la physique nucléaire dilue cette soif de reconnaissance : « Comment puis-je mettre au service de mon talent un aspect autrement plus valorisant que le simple progrès technique ? »

Ce profond questionnement lui ordonne de mettre en oeuvre de spectaculaires moteurs graphiques (Bordelands, Halo 4…) salués par ses pairs et la critique. Mais Corrinne Yu a quelques tours de plus dans son escarcelle, l’imposant, aujourd’hui, comme l’étoile montante de Naughty Dog. « Les joueurs PlayStation 4 se frotteront les mains cette seconde moitié de l’année et l’année suivante. Je suis tellement fière d’en être l’un des artisans ».