Imaginez un instant que Hitler revienne brusquement à notre époque, comme si 70 ans après son suicide, le temps n’avait pas eu prise sur lui.

Absurde ? C’est pourtant le postulat du livre Er ist wieder da de Timur Vermes, adapté au cinéma par David Wnendt. Hitler se remet vite de ses émotions et ambitionne de repartir à la conquête de l'Allemagne, puis du monde…

Inutile de rentrer dans la polémique charriée par les œuvres où figure un nazi pour personnage principal, en s’insurgeant par exemple qu’Hitler ne soit pas représenté en mangeur d’enfants ou en démon à cornes. Qu’on le veuille ou non, les nazis étaient des êtres humains, ils foulaient le sol et respiraient le même air que nous. Et c’est sans doute le plus effrayant ! Le livre Er ist wieder da et le film éponyme creuse d’ailleurs le sillon de la « banalité du mal » conceptualisée par Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem. En gros, avec le conditionnement prévu à cet effet, les hommes deviennent lâches, égoïstes et se soumettent facilement à l’autorité d'un chef. Pour preuve, je renvoie à L'expérience de Milgram, ainsi qu'à sa réactualisation en 2010, Le jeu de la mort par Christophe Nick.

Personnellement, ce qui me dérange et fascine à la fois dans le film, ce sont les « à-côtés », les écarts que se permet le réalisateur par rapport à l’œuvre originale. De mémoire, le livre de Timur Vermes présente du début à la fin le regard avide d’Hitler sur le monde d’aujourd’hui.

Sauf que dans le film, Hitler est littéralement lâché dans les rues touristiques d'Allemagne, et les prises de vue « en live » se multiplient. Les passants croient forcément à une farce, impression renforcée par la présence d’une équipe de tournage. De plus, tout ce qui touche de près ou de loin au nazisme est sévèrement encadré par les comités de censure en Allemagne. Donc, pour les promeneurs, il ne saurait être question de propagande ou de politique « pour de vrai ».

Or, le récit du film nous persuade qu’il s’agit du vrai Hitler… ce qui est impossible dans la tête des gens. Soyons sérieux : le plus farfelu des conspirationnistes ne peut croire en la réincarnation d’Hitler. Même si un sosie aurait pris sa place dans le bunker en avril 1945, le vrai est né en 1889, ce qui ferait de lui aujourd’hui le centenaire le plus fringuant de la galaxie (il a la cinquantaine dans le film) ! Et quand bien même Hitler reviendrait par magie à la vie, ce serait l’homme le plus recherché par les services secrets pour lui faire payer ses crimes : que viendrait-il faire en pleine lumière à parader devant le public et les caméras ?!

Contrairement au livre, qui assume son caractère fictionnel à 100%, le film montre un Hitler au milieu de la foule afin d’observer les réactions. Le réalisateur tend donc des pièges aux individus croisés par Hitler, mais également au spectateur, qui ne sait plus où s’arrête la frontière entre sketch jouée par des comédiens, et tournage sauvage à la Jean-Yves Lafesse.

Par ailleurs, je précise que j’aime ce type de gags et ne me lasse pas des « Caméras planquées » de François Damiens. J’apprécie également les reportages « coup de poing » de Michael Moore. Mais avec eux, que ce soit dans la catégorie « humour » ou « documentaire », le contrat avec le spectateur est transparent : les seules victimes sont les personnes dans le poste de télévision.

Dans Er ist wieder da, je me pose des questions. Quand on voit Hitler discuter avec des anonymes : cette fille pense-telle sincèrement qu’il y a trop d’immigrés dans son pays comme le suggère le « vrai-faux » Hitler ? Ce type est-il vraiment en train d’avouer à Hitler être sympathisant aux idées d’extrême droite ? Combien de scènes jouées avec des acteurs ont-elles été intercalées entre les deux ? Combien de passants ont « joué le jeu » d’Hitler, pour faire le clown avec lui ? Où est le vrai, ou le faux ? Un seul élément permet de savoir que la séquence n’est pas simulée, c’est le floutage des visages que l’on voit par exemple sur les clients d’un kébab qui font le salut nazi sur le passage d’Hitler.

En attendant un éventuel making-of qui permettrait de clarifier les méthodes employées, je reste en plan avec mes questions et j’ignore si le réalisateur s’est par moment payé ma tête. Une situation qui m’est assez inconfortable… Je suis au final assez surpris de cette adaptation cinématographique, qui emprunte plusieurs voies pour mieux délivrer son message : Hitler n’a jamais été aussi vivant, et nous avons tort de nous en foutre. A méditer !