Prenez soin de bien tenir cet article hors de la portée de vos enfants. Ou de la vôtre. C'est vous qui voyez.

 

        Ah. Vous vous prépariez peut-être, après avoir trituré de votre curseur l'intitulé de cet article, à vous retrouver devant un texte redondant dont la principale caractéristique sera de se lamenter sur l'évolution réprimable du domaine vidéoludique, parce que bon, comme tous les sempiternels homo videoludicus blasés le savent, "les jeux vidéo, eh ben c'était mieux avant". 

Ça tombe bien, ça fera partie de l'ensemble. Car je traiterai ici le sujet de la transformation progressive (ou régressive, selon les cas, d'autant que comme vous le savez, j'adooore me plaindre) du secteur des jeux vidéo à thématique horrifique, principalement celle de mon genre de prédilection, le survival horror, victime d'un mal qui touche tous les genres et que j'aime appeler : "noumène de casualisation". Les survival horror ne sont que très peu répandus actuellement, quand tant de titres reprenant le concept ont pu fleurir du temps de la première Playstation, et antérieurement.

Alone in the Dark (1992), réalisé par notre Frédérick Raynal national, est, comme vous le savez tous, le premier jeu vidéo de type survival horror. Et en 3D, qui plus est. 

        Que ne donnerai-je pas pour retrouver sur nos plateformes actuelles ces sensations si exaltantes et atypiques provoquées par un de ces premiers Silent Hill ou Resident Evil ! Quelques titres récents, dont je parlerai plus loin dans l'article, sont parvenus à me transcender, ne serait-ce que quelques courts instants, ou au moins à me proposer une balade champêtre des plus appréciables ; mais aucun n'a pu engendrer un malaise comparable à celui que l'on éprouve face à un Tyrant surboosté reconverti en stalker professionnel ou un tueur aux sécateurs qui, lui, contrairement à la chimère de laboratoire, est une entité pleinement consciente, et donc en mesure de mettre réellement mal à l'aise, supplantant l'effroi occasionné par le seul fait qu'une difforme engeance puisse en vouloir à votre vie. 

Avec l'évocation d'un tueur à sécateur, certains d'entre vous se sont sans doute remémoré la ravissante image de Bobby Barrows, premier psychopate de la série Clock Tower, prenant un malin plaisir à couper-décaler (veuillez m'excuser pour cette référence, qui est dans le cas présent des plus abjectes), à l'aide d'une énorme paire de ciseaux, des jeunes filles ayant eu le malheur de s'être rendues dans un manoir, qui, fort heureusement pour le protagoniste, se présentera comme un labyrinthe de cachettes diverses ; car dans ces jeux, il n'est certainement pas question de combattre l'antagoniste, non. Vous vous contenterez bien aimablement de vous planquer dès que le son caractérisant l'entrechoquement des deux lames affûtées résonnera dans un des luxueux couloirs, jouant au jeu du chat et de la souris, résolvant quelques énigmes par-ci par-là afin d'échapper au mieux à votre poursuivant. Ce faisant, et comme la tradition le veut, vous récolterez des informations sur vos opposants, percerez les origines du mal, comprendrez comment tout ça est parti en cacahuète, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles

Le premier Clock Tower (1995), sorti -entre autres- sur SNES, proposait de gérer l'état psychologique de notre héroïne. Pas très évident, comme vous pouvez vous en douter.

        Le fait d'être poursuivi est une des pires sensations pouvant être expérimentées : ce type de peur supplante largement les jump scare, très répandus pour créer de la "peur facile", ou le fameux concept freudien d'inquiétante étrangeté, fort présent dans la saga Silent Hill, notablement dans le 3ème opus, quand Heather se regarde dans un grand miroir qui finit par lui renvoyer une image qu'elle ne peut encore considérer comme la sienne, et qui, allant de paire avec cette non-compréhension ou non-accepation du semblable, se montrera même offensive. Nous retrouvons donc ce type de situation dans la série Clock Tower, Hauting Ground/Demento, qui en est le digne successeur, ou encore quelques Resident Evil (je pense principalement au 2ème et 3ème opus, ainsi qu'à RE:Revelations). Ici, nous sommes immédiatement propulsés au coeur du danger, l'identité de notre agresseur nous est inconnue, il est alors fait appel à un instinct de survie très répandu au sein du monde animal : la fuite. Renvoyé à un stade bestial, sollicitant ses réflexes et son système nerveux au possible, sa capacité d'action cohabitant avec la réflexion pour définir un trajet sécurisé, le joueur connaîtra dans ce type de cas ce qu'on peut appeler une "peur panique". Pourchassé par un Nemesis capable de le réduire en charpie à la seule aide du riquiqui ou encore par un Debilitas, qui, lui, semble plus intéressé par l'aspect sexuel de la chose (c'est du moins ce que pensera en premier lieu le joueur, ces suppositions hyperboliques étant à l'origine d'une peur finalement auto-générée, car il n'est pas, de base, prouvé qu'il y ai une menace tangible), le gamer, frustré de ne pouvoir appliquer une riposte immédiate, et angoissé par les actions s'offrant pourtant à lui malgré son impuissance -comme la direction à choisir-, sera mis à rude épreuve.

Dans Haunting Ground, les courses-poursuite orchestrées par le jeune homme ici-présent seront accompagnées d'un filtre graphique illustrant le niveau de panique de l'héroïne.

      Dans des jeux comme Resident Evil où il est possible d'affronter directement la menace, aussi grande soit-elle, l'accent  est énormément posé sur l'ambiance générale du titre. Qui n'a pas senti ses yeux couler de leurs orbites en voyant ce que donnait le remake GC du 1er opus de la saga, aussi bien sur le plan visuel que sonore ? Tout était agencé de manière à ce que la sensation de réalisme et donc l'immersion soient le plus abouties possible. Ainsi, les pas des S.T.A.R.S étaient accompagnés des craquements prolongés du plancher miteux, ainsi que de nuages de poussière soulevés sans répit ; des insectes rampaient mollement le long des murs, renforçant l'impression d'insalubrité et de désaffectation des lieux. Pour prendre des exemples plus anciens, les cris et hululements lointains présents dans la Raccoon City des 2ème et 3ème opus, ainsi que les débris jonchant les rues, s'avéraient des plus inquiétants pour le joueur, indiquant une menace bien réelle mais pas toujours perceptible dans l'immédiat

Les jeux de la Team Silent et les Project Zero introduisent un mal qui ne peut être expliqué par la science, très psychologique dans le cas de Silent Hill car tirant sa source du mental d'un être humain, qu'il s'agisse de celui du héros ou bien d'une personne inconnue.

Pyramid Head est une figure emblématique de l'univers de Silent Hill, très étroitement lié au protagoniste du deuxième opus, James Sunderland. 

       Silent Hill Downpour et Siren : Blood Curse ont été les bonnes surprises de cette génération évoquées au début de l'article. Si ces jeux sont loin d'être irrépprochables, principalement pour ce qui touche au gameplay, ils ont le mérite, ô combien primordial, de proposer une ambiance ainsi qu'une bande-son soignées, sans oublier un level-design qui fait ce qu'il peut pour ne pas se montrer redondant. Une fois que ces aspects sont réussis, des défauts comme un panel d'ennemis peu varié ou un certain manque de cohérence ou de profondeur scénaristique ne peuvent être totalement réprimandés ; tant que l'immersion est à son paroxysme et qu'aucun défaut majeur n'est là pour handicaper le joueur (je pense notamment à un trop grand nombre d'ennemis qui happe complètement le plaisir de jouer, comme dans certains passages des opus 2 et 3 de Dead Space ou dans RE 5 & 6, ce cinquième opus s'étant pourtant entêté à conserver un gameplay assez rétrograde), tant qu'il se laisse enivrer par le cadre de l'action, qu'il est en mesure d'y prendre ses marques, de se l'approprier pour mieux y évoluer, on peut dire qu'on a affaire à un jeu proposant une expérience qui vaille la peine d'être vécue. C'est de l'ambiance générale et du soin donné aux détails que naîtra la flippe, et plus ces aspects seront aboutis, plus grande elle sera : et c'est là le principal. 

Il ne faut pas non plus oublier que le personnage que l'on incarne est un être humain, vulnérable, infoutu d'auto-régénérer sa chair meurtrie en quelques secondes s'il se planque derrière un buisson (et là *pop*, nombre de références récentes défilent sous vos rétines meurtries par la fatigue), et qui, s'il est confronté à une menace qu'il n'est pas en moyen d'affronter en combat direct, devra soit fuir/se cacher, soit trouver un autre moyen de l'exterminer ; c'est en cela que les jeux Resident Evil m'ont marquée, principalement le 1er opus, qui ne force que rarement à la confrontation armée lors des combats de boss, car le joueur est en mesure de choisir d'autres solutions que celle de la gâchette pour venir à bout de l'ennemi ; par exemple, concocter des herbicides ou entraîner la chute de l'opposant en utilisant les éléments environnants. 

Ce jeu. La nostalgie. Elle... elle me fait mal aux glandes lacrymales.

      Mais ce statut d'homo sapiens offre également au protagoniste un bon nombre d'avantages, comme sa plasticité lui permettant de s'adapter au mieux au monde dans lequel il se retrouve plongé, aussi marginal soit-il, sa sagacité pour déjouer les pièges et explorer les limbes en parvenant à en tirer profit (dans la collecte de ressources, par exemple), ainsi que la formidable présence de ces deux organes préhensiles, ces bonnes vieilles paluches, très utiles quand il s'agit d'utiliser une arme blanche ou même de s'offrir à un pugilat, paraît-il. C'est pour ces raisons que l'action de la réflexion se doit de constituer une part importante du paysage des jeux d'horreur. Il ne doit pas seulement être question de déglinguer autant de dépenaillés que nos lance-grenades nous l'autorise, dans le but de marquer un score de guedin, mais non, que diable ! Non ! Si on se retrouve confronté à un univers parallèle ou à une situation s'immiscant dans le réel qui nous dépasse, il faudra utiliser un tant soit peu sa matière grise, si l'on veut avoir une chance de s'en sortir.

Les jeux rejetant cet aspect réflexif offrent donc à leurs héros un statut de surhommes, comme nous le prouvent ce splendide Chris Redfield, grand amateur de stéroïdes, cette Lara Croft qui se moque bien d'avoir une côte en moins, finalement, ou encore cet Isaac qui, malgré sa combinaison trop swaggysoin, vient juste de se faire percuter par deux grosses lames organiques aussi solides que de l'ivoire de Magohamoth mais non, tout va bien. Le temps où l'on se concentrait devant une carte, échafaudant des plans pour se procurer des médecines, repérant des trajets et des portes à déverrouiller pour échapper à ce Crimson Head-ci ou à ce fantôme assez collant, me semble désormais assez éloigné. Il est dorénavant question de rendre les jeux accessibles à un public aussi large que possible, dans un souci évident de rentabilité, la plupart des séries coupant d'elles-mêmes leurs racines pour s'offrir une nouvelle identité, un nouveau gameplay, de nouvelles préoccupations scénaristiques amorçant un virage bien plus orienté vers l'action pure et dure, directe, linéaire, perméable, versant dans le grand spectacle, et donc le divertissement facilement compréhensible, reniant un contexte intimiste et réellement anxiogène, car après tout, peu de personnes auraient la foi d'y jouer. S'il est question d'aller chercher une clé dans le collier d'un chien enragé pour ouvrir une foutue porte, il n'y a plus beaucoup de monde. Ben ouais, pourquoi s'embêter, si on peut la défoncer à coups de pied ? C'est pas comme s'il fallait faire le moins de bruit possible pour pas attirer l'attention des vilains pas beaux, en plus ! Et puis même, les chiens enragés, c'est méchant et ça fait peur. 

Quant à visiter un lieu abandonné, en pleine nuit, avec pour seules armes nos tatanes et le manche de notre lampe torche ?

N'en parlons pas !

        Le fait d'opter pour la solution de facilité dans le domaine de la progression de l'aventure, soit celle du pan-pan-boum-boum, qui, franchement, ne demande pas tant de synapses que ça, en rejetant la part liée à la compréhension du monde et la "fascination répulsive" que l'on éprouve pour lui, est désormais monnaie courante dans les productions actuelles. On retrouve également une vue commune à quasiment tous les jeux d'horreur, la vue TPS, un hommage finalement un peu lourd et bien trop facile à celle qu'a popularisé (cc NakedVince) Shinji Mikami avec Resident Evil 4, jeu qui, comme chacun sait, a révolutionné le secteur vidéoludique sur bon nombre de plans. 

Pour ma part, la vue idéale à adopter dans un jeu horrifique est également une vue à la troisième personne, mais pas de la même nature ; les angles de vue cinématographiques fixes, souvent aériens et riches en suspens (comme ceux des premiers Resident Evil) ou mobiles (qu'on retrouve dans Silent Hill, Dino Crisis ou encore Parasite Eve) convenaient parfaitement au genre du survival horror. Le joueur se sentait réellement impliqué dans l'action, responsable du personnage qu'il contrôle en tous points, se fixant lui-même ses objectifs, objectifs nécessitant un minimum de jugeote et d'accoutumance à l'espace pour être accomplis, découlant d'un enchaînement bien orchestré des faits, sans être assisté par divers menus et interfaces

Ah ouais. Je. C'est cool.

       Avec des jeux comme Penumbra ou Amnesia, on pourrait considérer qu'une vue subjective, de type FPS, serait même préférable, car elle améliorerait l'immersion ; seulement, j'estime, comme j'en ai déjà fait preuve sur quelques statuts, que cette vue ne propose absolument pas une vision réaliste de l'ensemble, ne limitant notre regard qu'à une petite fenêtre alors qu'en réalité, notre champ visuel est panoramique. J'ai ainsi toujours trouvé cela plus gênant qu'autre chose, ayant l'impression que la visibilité de l'action est entachée, et que l'exploration est rendue plus laborieuse par cette réduction. Après tout, cet article est totalement subjectif, et je sais très bien que nombre de joueurs chérissent cette vue, qui m'a tout de même parue supportable avec des jeux tels que Bioshock (et, euh... eh bien, c'est tout, je crois). 

     Ah, et il ne faut pas oublier, s'il est question d'optimisation de l'immersion, la suppression du HUD. Personnellement, je ne vois le head-up display que comme un énième moyen de faciliter un jeu, proposant directement au joueur des informations  que je qualifieraient de superflues, dans certains cas ; comme l'indication directe d'un objectif (à ce propos, je maudis quelque peu la surbrillance d'éléments interactifs, sans lesquels la progression est rendue impossible ; le temps de l'exploration acharnée est bien loin) sur une petite carte, ou une barre d'endurance (il suffirait de veiller un minimum sur le personnage qu'on incarne pour voir s'il est essoufflé, ce ne serait tout de même pas bien compliqué).

NON MAIS ÇA VA ALLER LÀ OH, CHERCHE UN PEU, FEIGNASSE.

 

  Je concluerai en ajoutant que je n'ai présentement pas développé tous les points que je souhaitais aborder, ceci se fera probablement dans le cadre d'articles ultérieurs, ou encore en commentaires. À voir. 

 

Sur ce. Je vous souhaite la bonne nuit.