« iSalaud »

Pays :
Etats-Unis
Genre :
Biopic, Drame
Réalisation :
Danny Boyle
Avec :
Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rodgen, Jeff Daniels
Durée :
2h02
Sortie :
16 Novembre 2015

Avertissement : cette critique peut contenir des spoilers. 

Synopsis :
Dans les coulisses, quelques instants avant le lancement de trois produits emblématiques ayant ponctué la carrière de Steve Jobs, du Macintosh en 1984 à l’iMac en 1998, le film nous entraîne dans les rouages de la révolution numérique pour dresser un portrait intime de l’homme de génie qui y a tenu une place centrale.

Critique :
L’histoire du film Steve Jobs à elle seule pourrait presque donner un film tout aussi complexe et intéressant que son sujet. Bringuebalé à droite et à gauche dans un cycle de développement tumultueux ponctué de la fréquente difficulté, surtout quand il s’agit d’un biopic aussi sensible (on parle tout de même d’une des personnalités de l’informatique les plus influentes du monde), de trouver un réalisateur. Forcément, David Fincher était un temps rattaché au projet, probablement parce que c’est Aaron Sorkin, le scénariste de The Social Network, qui est à nouveau à la tâche du récit du métrage en se basant sur la biographie papier éponyme écrite par Walter Isaacson…Seulement voilà, un différent artistique pousse l’ami David à quitter le projet et c’est finalement Danny Boyle qui prend la suite à la réalisation. Pourquoi pas ? Côté casting, c’est grand luxe : un Michael Fassbender en guise de Jobs (et Leonardo DiCaprio, Ben Affleck, Matt Damon, Bradley Cooper ou encore Christian Bale ont tous été considérés pour le rôle !), la fabuleuse Kate Winslet pour interpréter la courageuse assistante de ce dernier Joanna Hoffman et Seth Rodgen pour jouer l’inénarrable Steve Wozniak, l’autre Steve de la marque à la pomme. Voilà pour le trio de tête qui sera accompagné entre autre par Seth Ortiz qui joue le rôle de Joel Pforzheimer, journaliste chez GQ qui interviewe Steve Jobs pendant le film (et cet acteur a un je ne sais quoi qu’il faut surveiller car il sait toujours jouer ces seconds rôles avec une justesse qui force le respect) ou Michael Stuhlbarg en Andy Hertzfeld, développeur émérite de l’équipe Macintosh originale.

La structure du film diffère largement de celle de Jobs, précédent biopic sur Monsieur Pomme avec le sémillant Ashton Kutcher dans le rôle titre, car contrairement à ce dernier il n’essaye pas de retracer de manière littérale la vie du personnage en en montrant les étapes clefs d’un point A à un point B mais nous propose plutôt de suivre les coulisses en temps réel de trois keynotes (conférences de lancement de produits) clefs de l’histoire du bonhomme et de ses marques (oui, SES). Et c’est plutôt brillant comme idée car ça permet de découvrir l’homme tel qu’il était vraiment (ou tel qu’on veut nous raconter qu’il était) dans ces moments particuliers où sa transformation en orateur opère alors qu’il est sans cesse rattrapé par son passé et ses erreurs. Et Danny Boyle a en plus la bonne idée de casser la chronologie des ces moments. On ressent le malaise, on ressent les problèmes des personnages et la tension est en permanence palpable. Les évènements choisis par le film sont le lancement du premier Macintosh, le lancement du Cube de NEXT (la société que Steve Jobs a fondé quand il a été viré d’Apple) et le lancement de l’iMac au retour du fondateur de la société. Trois produits clefs dans l’histoire de l’informatique et personnelle de Jobs : la réussite incomprise, l’échec et le retour en grâce. On retrouve d’ailleurs ici un schéma d’apprentissage et de quête car le fond du propos du film c’est bien ça : la quête de Steve Jobs pour s’intégrer et comprendre les êtres humains. Et cette idée est portée par le personnage de Kate Winslet, témoin de la lutte constante de Jobs contre ses maux mais surtout celle qui lui permettra de se sauver lui-même et de garder la tête hors de l’eau. En ce sens, l’actrice crève littéralement l’écran par sa présence et la justesse de son jeu et éclipserait presque Fassbender, pourtant très bon. C’est son personnage qui maintient l’odieux Steve dans la réalité du monde qui l’entoure et qui finit par lui faire prendre conscience qu’il se conduit comme un salaud avec les autres (en particulier son ex-petite amie avec qui il a eu une enfant qu’il a longtemps refusé de reconnaître et qui est le point de pivot central entre Steve Jobs et le monde réel, le ramenant toujours brutalement à la réalité), ceux-là même qui ont petit à petit pris leur distance, fait leur deuil de la relation conflictuelle qu’ils ont eu avec le co-fondateur d’Apple et enfin qui l’ont pardonné.

La mise en scène à la fois simple mais très sophistiquée, et très cut, elle émerveille tout au long du film et pour cause : Alwin H. Küchler, le chef opérateur, a choisi de tourner le film dans un format différent pour chaque époque. En effet, les séquences de 1984 (lancement du Macintosh) sont tournées en pellicule 16mm, les séquences de 1988 (lancement du Cube de NEXT) sont tournées en pellicule 35mm et les séquences de 1998 (lancement de l’iMac) sont tournées en numérique (Arri Alexa en 2,8K) le tout étant post-produit en 2K (même si bien évidemment le Master final a été fait à la fois en DCP pour les projections numériques ET en kinescopage 35mm de haute qualité afin de permettre de scanner le film en 2 à 9K et ainsi pouvoir le ressortir dans toutes les futures définitions que l’on va nous commercialiser ces 15 prochaines années…). Cela donne une vraie patte visuelle à chaque période et est une véritable prise de risque à une époque où les studios hollywoodiens semblent être de plus en plus frileux quant à la manière de travailler préférant très souvent un workflow type. Cependant, on ne peut s’empêcher de prêter attention au revers de la médaille : le film ne serait-il pas en train de nous regarder de haut ? En effet, à force de réussite esthétique aussi marquée, le film ne devient-il pas également aussi prétentieux que son sujet ? On ne peut en effet s’empêcher, malgré toute la réussite de ce dernier, de voir dans sa mise en scène, sa structure et sa technique la même prétention artistique et mégalo qui animait Steve Jobs au point d’être un vrai reflet de la personnalité du bonhomme, avec ses hauts et ses nombreux bas et de nous les envoyer en pleine poire. A moins que ce soit ça, la réussite du film ?

Note : 8/10

Brisant les habitudes des biopics opportunistes dont Hollywood a le secret (depuis longtemps, très longtemps…) en proposant une structure intéressante au service et/ou à l’image de son sujet, Steve Jobs est un film aussi fascinant qu’irrémédiablement tête-à-claques que son personnage… Ce qui fait que finalement Danny Boyle a réussi à transcender son sujet et à en faire un véritable objet filmique passionnant. iBravo.