« Raconte-moi une histoire... »

Pays :
Italie, France, Royaume-Uni
Genre :
Conte, Fantastique
Réalisation :
Matteo Garrone
Avec :
Salma Hayek, Vincent Cassel, John C. Riley, Toby Jones...
Durée :
2h13
Sortie :
1er Juillet 2015

Avertissement : cette critique peut contenir des spoilers.

Synopsis :
Il était une fois trois royaumes voisins où dans de merveilleux châteaux régnaient rois et reines, princes et princesses : un roi fornicateur et libertin, un autre captivé par un étrange animal, une reine obsédée par son désir d’enfant… Sorciers et fées, monstres redoutables, ogre et vieilles lavandières, saltimbanques et courtisans sont les héros de cette libre interprétation des célèbres contes de Giambattista Basile.

Critique :
C’était un peu la surprise du dernier Festival de Cannes : un film fantastique, onirique, adaptant Il Pentamerone, le recueil de contes de Giambattista Basile qui a inspiré ou en tout cas précédé d’au moins 200 ans les œuvres de Charles Perrault et des Frères Grimm, et réalisé par Matteo Garrone (Gomorra, Reality, Terra di mezzo…) ! C’est donc un genre complètement différent auquel s’attaque le cinéaste et un genre à mon avis souvent sous-représenté au Festival de Cannes et dans le cinéma sud-européen. Et pour supporter cette intrigante mais néanmoins bonne surprise, un casting plutôt quatre étoiles puisqu’on retrouve Selma Hayek (qui a enflammé le Red Carpet soit dit en passant) en Reine obsédée par son désir d’enfant que n’arrive pas à lui donné son Roi interprété par le grand John C. Reilly. On a aussi le plaisir de découvrir un Vincent Cassel complètement « cassellien » dans un rôle de Roi déjanté et obsédé par la luxure et ça faisait franchement longtemps qu’on l’avait pas vu s’éclater comme ça au cinéma (non pas qu’ailleurs il ne s’éclate pas en tant qu’acteur, au contraire c’est un de ces rares acteurs qui suinte la passion du jeu, mais ça faisait un sacré bail qu’on ne l’avait pas vu revenir à un rôle aussi loufoque et drôle) ! Un bout du casting de différents Harry Potter vient compléter le casting puisque l’on retrouve Toby Jones (qui faisait la voix de Dobby l’Elfe de maison) dans le rôle d’un autre Roi cette fois obnubilé par un étrange insecte et qui fuit ainsi ses responsabilités de père et Shirley Henderson (Mimi Geinarde) qui interprète ici Imma, une vieille teinturière qui accepte mal de vieillir et qui subit les décisions et les plans farfelus de sa sœur interprétée par Hayley Carmichael. On complète le tableau avec la jeune Bebe Cave (la sœur de Jessie Cave qui jouait Lavande Brown dans Harry Potter et le Prince de sang-mêlé) qui interprète (plutôt très bien) la fille délaissée du Roi joué par Jones qui s’ennuie au château à un âge où elle est sensée trouver un époux et partir découvrir le Monde à l’extérieur de ses murs, ainsi que Guillaume Delauney qui interprète son Ogre de futur promis.

Le film entremêle un triptyque de contes (La Biche ensorcelée, La Pouce et La Vieille écorchée) prenant place dans trois royaumes voisins en prenant ici et là des éléments des autres contes du recueil pour faire une sorte de fresque onirique et métaphorique. Le premier par exemple nous raconte l’histoire d’une Reine ne pouvant avoir d’enfant et qui apprend de la bouche d’un nécromancien qu’en faisant cuire le cœur du monstre marin locale par une vierge et en le mangeant elle(s) tomberai(en)t instantanément enceinte. Le Roi meurt dans l’opération mais elle a son fils (et la vierge le sien et que la Reine interdit de visite au château). On peut d’ailleurs y voir un peu de Le Prince et le Pauvre. Les deux « frères jumeaux » vont tout faire pour rester ensembles jusqu’à ce que Jonah (le pauvre) soit forcé de quitter le Royaume. Il finira perdu dans un grotte où une chauve-souris géante le piègera et quand Elias (le prince) viendra à son secours et tuera le monstre, ce dernier se changera en sa mère.

Dans le second conte, le Roi du Royaume de Altomonte vit avec sa fille Violette. Cette dernière, qui aime son père plus que tout n’arrive guère à attirer son attention lorsque ce dernier se prend d’affection pour une puce qu’il va nourrir et choyer jusqu’à ce qu’elle devienne géante et finisse par mourir. Dévasté par cet évènement, et sous la pression de sa fille qui cherche à vivre dans le Monde en prenant un époux plutôt que de rester enfermée, le Roi va organisé un concours et offrir la main de sa fille à celui qui saura dire de quel animal provient la peau de la puce étendue sur le mur. Evidemment, ça ne se passe pas bien et c’est l’Ogre qui trouve et part avec Violette, dévastée que son père accepte prétextant qu’un Roi ne peut pas revenir sur sa parole. Avec l’Ogre, elle va souffrir et grandir et finir par le tuer et revenir femme auprès de son père meurtri de chagrin et montera à son tour sur le trône.

Enfin, dans le troisième conte, le Roi du Royaume de Roccaforte est une espèce de gros pervers obsédé par la luxure et les femmes qui devient fou lorsqu’il entend le chant (magnifique) d’une femme du village en bas du château qu’il s’imagine être une jeune fille magnifique alors qu’en réalité ce n’est qu’une vieille teinturière. Ce qu’il ne sait pas non plus c’est qu’elles sont deux et que la sœur de celle dont le chant lui a tant plu va lui jouer un mauvais tour d’abord en se « maquillant » en jeune pour coucher avec lui, ce qui ne manquera pas de la dégoûter et de la faire jeter par la fenêtre, puis transformer en jeune fille par une sorcière et finalement épouser le Roi. Lorsque sa sœur se rend compte qu’elle a rajeuni, elle lui raconte qu’elle s’est écorchée la peau pour en avoir une nouvelle. Du coup, Imma va payer le barbier pour se faire écorcher vive. Elle va souffrir d’autant plus en comprenant la tromperie de sa sœur mais cette dernière ne sera pas en reste puisque le charme finira par se rompre.

Les trois histoires sont centrées sur l’égoïsme des personnages qui finira par les détruire à cause de leurs désirs lubrique plutôt que l’amour véritable. La Reine obsédée par le désir d’avoir un enfant puis par le désir d’être aimé réciproquement par son fils préfèrera le faire souffrir plutôt que d’accepter que ce dernier a un ami et finira tuée par le fruit de ses entrailles. Le Roi obsédé par sa puce qui perd toute notion de devoir paternel et royale va perdre sa fille aux mains d’un Ogre et quand cette dernière finira par se sauver elle-même et reviendra avec la tête de se dernier, le Roi (le seul personnage à exprimer des regrets) est destitué de son rôle de père et de souverain. Enfin, dans le troisième conte c’est évident : l’égoïsme d’une sœur pour son bonheur auprès d’un Roi lubrique et l’obsession qu’elle partage l’autre sœur pour leur jeunesse perdue va les consumer et les faire atrocement souffrir et au final elle ne se rendra pas compte que le Roi avait finit par trouver la solution à son problème d’addiction alors qu’elle n’en était devenue que le miroir et que ce dernier ne s’en rendait même pas compte.

Matteo Garrone aborde ici des thèmes forcément universels (les contes sont quand même une grosse base de nos cultures et de nos principes moraux) avec un juste mélange hypnotisant, voire paradoxale, de simplicité et de sophistication. La caméra est toujours fluide, et cette fluidité se transmet au rythme et au montage, accentués par des cadrages inspirés qui n’hésitent pas à chercher l’esthétisme ou la simplicité brute quand cela s’avère nécessaire et ne fait quasiment jamais de faux pas. On pourra en effet regretter que le metteur en scène n’ait pas filmé le viol de Violette de manière un peu moins superficielle car sans aller chercher du graphique ou du démonstratif (la chose qu’il fallait à tout prix éviter pour rester dans le bon goût) la séquence se démarque un peu trop du reste comme si à ce moment précis le metteur en scène n’arrivait plus à filmer. C’est d’autant plus dommage qu’à d’autres moments du film, il ne s’interdit pas l’économie de moyen au profit d’un onirisme bienvenu et riche (même si, honnêtement, une séquence sur fond vert est complètement loupée). Cependant, le travail de mise en scène reste admirable tout comme le jeu des acteurs avec une mention particulière pour Bebe Cave dont c’est le second rôle dans un long-métrage ainsi que Vincent Cassel qui est fantastique et se paye même sa meilleure entrée en scène depuis bien longtemps dans une scène de… Luxure franchement drôle. Le metteur en scène a su parfaitement retranscrire avec une justesse admirable les contes qui sont sublimés par la bande originale signée Alexandre Desplat qui est somptueuse.

Note : 9/10

Véritable pépite surprise sur la planète Cannes en 2015, Tale of Tales est une magnifique déclaration d’amour au conte, le vrai et la preuve qu’on peut faire du cinéma de genre sérieusement, avec de petits moyens et surtout en Europe (en dehors de l’Angleterre qui s’est toujours montrée très douée pour ça) ce qui devient de plus en plus rare malheureusement de nos jours. Le film a tout d’un film polarisant les critiques mais pour peu qu’on aime se plonger de ces contes oniriques on ne peut que vivre une très belle expérience de cinéma.