Une montagne dont la silhouette évoque le mystère. Je me relève, grain de sable parmi tant d'autres, sans savoir qui je suis. Je glisse sur les dunes sans savoir où je vais, ma cape laissant onduler mes traces de pas éphemères.
Tel un enfant, je découvre mon univers, les images et les sons qui l'habitent. Emporté par une musique venue de l'au-delà, je poursuis mon chemin en me demandant ce qui m'attend, la raison de mon existence au sein de cet espace solitaire.

Solitaire, du moins, c'est ce que je croyais au premier abord. Jusqu'à ce qu'un inconnu croise ma route, et que je réalise qu'il ne s'agit pas d'une intelligence artificielle, mais bel et bien d'un autre joueur comme moi.
Alors, reposant les pieds sur Terre l'espace de quelques secondes, je me rappelle. Je suis en train de jouer à Journey.

 

Troisième création du studio thatgamecompany, après flOw et Flower, Journey s'impose d'ores et déjà comme une oeuvre vidéoludique incontournable, immédiate et d'une puissance évocatrice rare.
Au même titre que ses aînés, ce jeu repose sur des notions de gameplay simplistes, allant droit à l'essentiel : le ressenti émotionnel du joueur.
L'on apprend vite à se mouvoir parmi les dunes, récompensé par des sensations de glisse aériennes, dignes des meilleurs jeux de snowboard, une grace esthétique en plus. Tout aussi rapidement, on apprend à émettre des sonorités et l'on réalise d'emblée leur importance. Même la plus faible d'entre elles semble habitée par une énergie dont on ignore l'origine.

Jusqu'à ce moment salvateur, point de non retour, où notre solitude vole en éclats, anéantie par la rencontre avec un autre. Cet autre, est un joueur dont on ne peut deviner l'identité, et ce jusqu'à la toute fin. Impossible également de communiquer oralement avec lui, non, après tout le langage humain n'a pas sa place en ce monde où le temps semble s'être figé. Cependant, sans que jamais le jeu nous l'indique, on fini par assimiler des valeurs sensorielles qui, irrémédiablement, nous rapprochent de ce joueur inconnu.
Nos premiers contacts se font instinctivement au travers de cette fameuse touche Cercle, génératrice de sons mélodieux; puis, au fil de notre périple, notre solidarité se forgeant au point de devenir invincible, nous piétinons la distance sécuritaire qui régit la relation première entre deux inconnus, et nous rapprochons jusqu'au contact physique. Ainsi, le coeur de nos êtres fragiles et muets se pare d'une chaleur vitale, nous donnant le courage de poursuivre et d'affronter notre chemin.

C'est bien là, la force de Journey. Non point l'unique, mais la plus grande. Une telle expérience n'aurait cependant probablement pas le même impact, si elle n'était mise en valeur par une direction artistique et une réalisation musicale qui confèrent à la splendeur.
Voguant entre les plus beaux films du studio Ghibli et un certain surréalisme, l'univers de Journey dégage une poésie et une mélancolie que seuls des jeux tels que Ico et Shadow Of the Colossus m'avaient données à voir. Chaque décor, chaque plan mettent en valeur un sens inoui de la composition picturale et, sans prétention aucune, se métamorphosent en tableaux mouvants, et émouvants.

Ne faisant qu'un avec la conception sonore, la bande musicale composée par Austin Wintory sublime littéralement l'expérience de jeu. D'une beauté et d'une subtilité renversantes, elle accompagne le joueur dans ses moindres faits, lui offrant même la possibilité d'intéragir avec elle. Plusieurs répétitions sur la touche Cercle vous permettront en effet d'alimenter la partition musicale, tout en communiquant avec votre compagnon de voyage. Un travail remarquable sur l'audio, qui ne fait que valider les efforts des développeurs dans leurs oeuvres antécédentes.
Jamais un jeu n'avait atteint une telle homogénéité entre visuel, son et gameplay. Certaines séquences mémorables m'ont véritablement laissé sans voix ni souffle, tant l'expérience avait fini par me transporter par delà toute convention ludique et artistique.

En deux courtes mais inoubliables heures, j'ai croisé le chemin d'un inconnu, je me suis attaché à lui, je me suis inquiété pour lui, j'ai eu peur de le perdre, j'ai ressenti la solitude en son absence et un réconfort incroyable en le voyant revenir.

J'ai perdu tout repère spatial et temporel, pour finalement retrouver la notion même du voyage. J'ai appris à ne plus craindre l'inconnu, pour finalement redécouvrir la notion même de tolérance.

Non, je ne me suis pas égaré au beau milieu du Sahara. J'ai terminé Journey.